Ballons spatiaux : l'industrie française est bien dans le match (2/2)

L'industrie française a beaucoup de projets prêts à être développés à condition de recevoir l'aide des pouvoirs publics français et européens. Thales et Airbus ainsi que Hemeria et Stratolia sont les acteurs les plus prometteurs de cette filière prête à décoller.
Michel Cabirol
Hemeria développe dans le cadre de France Relance pour le compte CNES le projet Balman, un ballon stratosphérique manœuvrant.
Hemeria développe dans le cadre de France Relance pour le compte CNES le projet Balman, un ballon stratosphérique manœuvrant. (Crédits : Hemeria)

En matière de ballons stratosphériques, l'industrie française n'est pas larguée. Elle a des projets dans les cartons, certains en cours de développements (Stratobus de Thales, Balman d'Hemeria), d'autres en phase de tests (Zephyr d'Airbus). Si la Direction générale de l'armement (DGA) suit tous ces projets et en soutient certains (Stratobus et Balman), l'armée n'a pas encore défini une stratégie dans le domaine de la très haute altitude (HAO). En conséquence, elle n'a pas non plus exprimé un intérêt capacitaire urgent. Mais l'affaire du ballon espion chinois récemment abattu au-dessus du territoire américain pourrait provoquer un éveil chez les politiques, et peut-être une éventuelle accélération dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) de l'intérêt stratégique de la très haute altitude, ce nouvel espace conflictuel.

La DGA a commencé à travailler sérieusement sur les ballons stratosphériques dès 2018. « Nous avons mené des études technico-opérationnelles », expliquait Jean-Baptiste Paing, architecte programme des futurs systèmes C4ISR à la DGA, lors du colloque organisé début janvier par l'armée de l'air et de l'espace. Ces études de prospectives permettent de réfléchir aux différents concepts possibles d'un futur système d'armes. Dans le domaine des plateformes stratosphériques, la DGA a identifié trois concepts : les dirigeables (Thales), les ballons manœuvrant (Hemeria) et les ailes volantes (Airbus). « On s'est concentré pour de bonnes raisons sur les dirigeables et les ballons manoeuvrants », avait-il alors précisé.

Des industriels prêts à dégainer

Aujourd'hui, certains industriels sont encore dans l'attente d'une expression capacitaire de la part des armées dans ce domaine. « La plupart des armées de l'air ont des projets sans pourtant avoir quelque chose de tangible », a expliqué le major général de l'armée de l'Air et de l'Espace, le général Frédéric Parisot. En France, une feuille de route est attendue à l'été, où l'armée de l'air va à la fois définir les missions et les moyens pour être présent dans la très haute altitude. Toutefois, par manque d'audace, le projets de Thales, en attente d'aides publiques pour financer le développement de Stratobus, pourrait être déjà prêt. Présenté pour la première fois en 2014, ce dirigeable stratosphérique (120 mètres de long), dont le coût de développement est estimé de 100 à 150 millions d'euros, devait initialement être mis en service à l'horizon 2020. Cela n'a pas été le cas.

Dommage, car ce produit prometteur aurait pu garder un temps d'avance précieux sur la concurrence en étant dès à présent sur le marché. Notamment face à des startup comme Stratolia ou une petite ETI (entreprise de taille intermédiaire) comme Hemeria, qui ont compris qu'il y avait un filon à exploiter et qu'il y avait un intérêt à la fois civil et militaire à développer des ballons manœuvrants destinés à faire de l'observation de la Terre à bas coût. Le premier vol de Stratobus est désormais prévu en 2025 aux Canaries sur l'ile de Fuerteventura (Espagne). Il emportera comme charges utiles de démonstration du lidar et de la guerre électronique (Comint).

« C'est du géostationnaire abordable d'une certaine manière avec un potentiel énorme au niveau militaire mais également au niveau civil. Il offrira la persistance mais également la performance : c'est un couple important pour tout type de missions », a pour sa part souligné lors de ce colloque le directeur général d'Hemeria, Nicolas Multan.

Le dirigeable Stratobus sera placé à 19 km d'altitude, juste en dessous des 20 km, l'altitude qui délimite la souveraineté d'un pays. Il devrait offrir « une permanence sur un point donné pendant un an en continu sur une zone de couverture qui correspond à un diamètre d'environ 1.000 km », avait expliqué le PDG de Thales Alenia Space (TAS), Hervé Derrey, lors du colloque organisé début janvier par l'armée de l'air et de l'espace. Une permanence qui s'explique par un système de propulsion électrique entièrement autonome alimenté par l'énergie solaire permettant au Stratobus de rester sur zone et lutter contre les vents en altitude.

Très clairement, cet atout - la permanence - séduit l'armée de l'air et de l'espace tout comme le poids de la charge utile et la polyvalence d'emport de la plateforme. TAS promet une charge utile de 250 kg, cinq kilowatts de puissance et plusieurs types de charges utiles. « Qui dit charge utile, dit alimentation électrique. C'est le gros challenge de ces gros vecteurs pour avoir suffisamment d'énergie pour alimenter des charges utiles qui sont en général consommatrices », a rappelé le numéro deux de l'armée de l'air et de l'espace. Pour Hervé Derrey, « ce sont des éléments différenciants par rapport aux autres initiatives du même type qui offrent en général des emports beaucoup plus limités. Stratobus permet d'emporter des radars à longue portée, des télécoms 5G dédiés aux militaires ou encore des antennes étendues pour la guerre électronique ».

En outre, les capteurs intégrés à ce type de plateforme, qui sont plus proches de la Terre qu'un satellite, offrent des performances meilleures. Par exemple, « cela permet d'avoir en termes de liaisons télécoms des signaux beaucoup plus forts et donc d'offrir des performances bien meilleures », a souligné Hervé Derrey. Enfin, le prix des ballons sera clairement un enjeu pour les clients. D'ailleurs de tels produits peuvent devenir une menace si certains pays ou organisations arrivent à développer ce type de ballons stratosphériques low cost, capables d'emporter des charges explosives comme le Japon avait pu le faire durant la Seconde Guerre mondiale.

Startup et PME à l'assaut du stratosphérique

Si Thales Alenia Space était l'un des rares industriels à s'être lancé dès 2014 - certes timidement -, il n'est plus seul sur ce marché. Hemeria, qui travaille sur Stratobus, s'impose comme un acteur très crédible de cette filière, notamment depuis que cette ETI de 60 millions de chiffre d'affaires (400 personnes) a mis la main en octobre dernier sur une des pépites du groupe CNIM actuellement en déconfiture, CNIM Air Space, un des leaders européens de la structure souple, qui travaille depuis 25 ans avec le CNES sur des missions scientifiques. « Ce qui positionne Hemeria d'ores et déjà comme étant tout à fait prêt à relever les enjeux et les défis de la très haute altitude ».

Cerise sur le gâteau, Hemeria développe dans le cadre de France Relance pour le compte CNES le projet Balman, un ballon stratosphérique manœuvrant. Il s'agit d'un ballon capable de piloter sa trajectoire dans la stratosphère. « Ce produit ne dérivera pas dans la stratosphère et restera stable sur zone pendant plusieurs mois durant », a expliqué Nicolas Multan. Objectif pour Hemeria, avoir un premier produit opérationnel dans stratosphère début 2025.

En tant que fournisseur de structures souples, Hemeria est également prêt à travailler avec des startup souhaitant utiliser la très haute altitude d'une manière commerciale comme Zephalto (tourisme). L'ETI toulousaine est également prête à coopérer avec Stratolia, une startup créée en 2022 par Louis Hart-Davis qui propose des services d'observation de la Terre par ballon stratosphérique manœuvrant. « Nous allons déployer une flotte de satellites stratosphériques portés par des ballons manœuvrants capables de naviguer à une vingtaine de kilomètres d'altitude et de rester au-dessus des zones d'intérêt allant de six mois à un an. Elle pourra fournir de la vidéo en direct et en haute résolution au-dessus de tout point du globe qui le justifie », a-t-il expliqué lors du colloque de l'armée de l'air et de l'espace.

Et Airbus ?

Airbus a misé sur le Zephyr, une aile volante développée par la société britannique Qinetiq puis rachetée en 2013 par le constructeur européen. Le Zephyr 8, qui vole depuis 2018, est une plateforme qui permet à Airbus d'acquérir de l'expérience en termes de vol dans la très haute altitude et dans la durée. Ce drone propulsé à l'énergie solaire a d'ailleurs effectué un vol de 64 jours avant de s'écraser. Ce qui constitue le record du monde de durée de vol sans ravitaillement. Pour autant, la DGA l'a recalé en raison de ses capacités d'emport moins performantes que sur d'autres plateformes.

« On peut emporter sur un dirigeable et sur un ballon beaucoup plus de kilos de charges utiles que sur une plateforme de type aile volante. C'est important : si on cherche une permanence, on va vouloir avoir besoin des charges utiles comme des radars, des équipements qui permettent d'observer de manière persistante indépendamment des conditions météo et indépendamment des jours et des nuits », a expliqué Jean-Baptiste Paing.

En dépit de son manque d'emport, le Zephyr a certaines qualités comme la capacité de rentrer dans les espaces aériens non permissifs, selon Stéphane Vesval, senior vice-président chargé des ventes et du marketing systèmes spatiaux d'Airbus Defense and Space. Comment ? Il a été développé avec l'objectif « d'avoir la signature radar la plus faible possible », a-t-il expliqué. Cette aile volante, qui est complémentaire aux satellites en orbite basse, embarque OPAZ, une charge utile, qui permet de faire de l'observation (imagerie et vidéo) avec une résolution de 18 cm. « On peut assurer une vidéo à 18 cm sur 1 km² », a précisé Stéphane Vesval. Toutes ces qualités ont séduit les Britanniques qui s'intéressent à la très haute altitude à travers le programme Zephyr.

Quels marchés et quels paris technologiques ?

Quels sont les marchés pour ce type de produits ? Dans le domaine de la défense, les ballons ou dirigeables stratosphériques peuvent faire du renseignement pendant plusieurs mois sur une zone ciblée (observation et radar). En revanche, a averti Hervé Derrey, les ballons sont vulnérables dans les conflits de haute intensité et les espaces non permissifs (effecteurs et brouillage). Les deux systèmes (satellites et ballons) restent complémentaires. Dans le domaine de la sécurité, ils pourront servir à surveiller les frontières, les côtes, les infrastructures offshore (plateformes et parcs éoliens) ainsi que le trafic maritime (lutte contre la piraterie) et à mieux neutraliser les grands feux de forêt. Ils peuvent également aider à assurer la sécurité de grands événements comme des JO ou des festivals.

Dans le domaine civil, outre le vol habité et les opérations marketing dans la stratosphère, les ballons pourront aider à optimiser les opérations de logistique aussi bien pour les entreprises que pour les États dans le cadre de tremblements de terre et d'inondations. Ainsi, ils permettront aux assurances de mieux modéliser les risques et de mieux évaluer l'ampleur des dégâts. Ils pourront aussi mettre en place des moyens de  communications grâce à des relais télécoms embarqués. Enfin, en embarquant des capteurs hyper-spectraux, ils permettront de détecter la présence de molécules comme le méthane, le dioxyde d'azote...

Pour autant, a rappelé Jean-Baptiste Paing, il reste des défis à relever pour gagner le pari des ballons stratosphériques. Il a évoqué la fabrication des enveloppes de très grande envergure. Il semble que ce défi pour CNIM Air Space, compte tenu de son expérience dans les ballons du CNES, ne soit pas insurmontable. En revanche, le défi de la qualité des capteurs sollicités continu sur une période de six mois à un an reste une compétence à construire. « On rentre dans un nouveau concept où potentiellement les armées vont avoir besoin de faire fonctionner pendant un an des capteurs de manière continue, a précisé Jean-Baptiste Paing. C'est un pari de disposer d'une qualité d'électronique qui permette cela. Il y a des paliers à passer. Ce n'est pas forcément complètement acquis dès le départ ».

Michel Cabirol

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Commentaires 5
à écrit le 14/02/2023 à 14:11
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Visiblement "le ballon" c'est tendance en cette année 2023 ! A t'on prévue quelque chose pour l'année prochaine ? ;-)

à écrit le 14/02/2023 à 7:27
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Bonjour, La france tres bien placé sur les ballons espions... Ils faudrai encore pour cela que nous souhaitons espionner un voisin... Dans cette histoire certain industrielle souhaitent avoir des aide financières pour développer leur industrie......

à écrit le 13/02/2023 à 6:49
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Cabirol s'est rendu sur ChatGPT et a demandé "écrivez-moi un article sur les ballons et assurez-vous de vanter les mérites de mes sponsors de l'industrie de la défense !".

à écrit le 11/02/2023 à 20:54
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Ballons spatiaux : vous voulez certainement parler des tirs du PSG en coupe d'Europe ? on est effectivement très bien placé.

à écrit le 11/02/2023 à 10:52
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"Ballon espion chinois" moi j'ai lu un truc d'une source inconnue qui disait que c'était un laboratoire stratosphérique avec des pangolins à l'intérieur, ils s'apprêtaient à lancer le covid "macaron-421" sur les usa. Sur le système de guidage, il y ...

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