Boeing pourra-t-il surmonter le crash du 737 MAX ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1532  mots
Le 13 mars 2019, la Federal aviation administration (FAA) cloue au sol tous les Boeing 737 MAX. (Crédits : Gary He)
Affaibli par les déboires de son moyen-courrier, le géant américain a un genou à terre. Mais sa survie n’est pas en jeu aujourd’hui. Pour autant, le groupe se trouve dans une situation stratégique délicate par rapport à son rival Airbus. Analyse.

Des résultats financiers 2019 dans le rouge pour la première fois depuis 1997 après une dégringolade de 11 milliards de dollars par rapport à 2018 ; une crise du 737 Max qui a déjà coûté près de 20 milliards de dollars ; une image détériorée auprès des compagnies aériennes et des passagers ; son grand rival, Airbus, en position de force : avec des vents contraires aussi forts, Boeing peut-il se relever ?

Une réponse tranchée est impossible. Tout dépendra évidemment de l'évolution de la situation du 737 Max, son best-seller moyen-courrier cloué au sol depuis près d'un an à la suite de deux accidents consécutifs, qui ont fait 346 morts et dans lesquels le système anti-décrochage de l'avion est mis en cause. Pour l'heure en tout cas, malgré l'ampleur de l'impact financier du Max, Boeing n'est pas au bord de la faillite. Encore moins au seuil de la mort. Le poids et la rentabilité de ses activités dans la Défense et le secteur spatial lui permettent de limiter la casse.

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Deux scénarios envisageables

« En 2018, avant la crise du 737 Max, Boeing dégageait un free cash flow de 13,6 milliards de dollars (- 4,3 milliards en 2019). Les coûts du B737 Max seront étalés sur plusieurs années et si tout revient à la normale d'ici à 2023 avec des retours à des free-cash flow dépassant 13 milliards de dollars, c'est gérable », explique Yan Derocles, analyste chez Oddo-BHF, qui précise qu'une partie des coûts du Max seront pris en charge par les assurances et que le reste sera en grande partie supporté par les fournisseurs qui se verront imposer un nouveau tour de vis avec des contrats revus à la baisse. En revanche, ajoute-t-il, « si de nouveaux problèmes apparaissaient sur l'appareil ou si les passagers boycottaient l'avion, les apports de cash ne reposeraient que sur le seul long-courrier B787, dont une partie est déjà consommée par le développement d'un autre gros-porteur, le B777X ».

Un retour à la normale du Max ne sera pas une sinécure. Il doit passer par la certification des modifications apportées à l'avion d'ici à cet été en espérant que l'Europe ou la Chine ne traîneront pas trop les pieds, puis par la remise en service des quelque 400 appareils qui volaient avant l'immobilisation de l'appareil en mars 2019 et des quelque 400 autres que Boeing a continué de construire jusqu'à fin décembre, mais aussi par une remise en route du système de production, suspendu depuis janvier, pour atteindre 57 livraisons par mois comme Boeing le prévoyait avant la crise. Le tout, rappelons-le, en croisant les doigts pour que de nouveaux problèmes sur l'appareil n'apparaissent pas et que les passagers ne refusent pas de monter à bord. Et là, rien n'est gagné. Entre ceux qui parient sur un retour à la confiance au bout de quelques mois d'exploitation et ceux qui assurent que la médiatisation des problèmes du Max va en dissuader plus d'un, le débat reste ouvert.

Une chose est sûre néanmoins. Boeing se trouve dans une situation extrêmement délicate sur le plan stratégique par rapport à Airbus. Tout d'abord, la crise du B737 Max a complètement gelé, pour ne pas dire tué, le projet de Boeing de lancer un NMA (New Midsize Aircraft), un appareil d'une capacité de 220 à 260 sièges capable de franchir des distances de 9.000 kilomètres. Déjà baptisé par les spécialistes « B797 », ce projet devait, avant l'accident du Max, être annoncé en juin dernier pour une entrée en service à l'horizon 2025-2026. Crise du Max oblige, il a été repoussé sine die et les chances de le voir revenir sur la table du conseil d'administration sont bien minces. Du moins dans la façon dont il avait été envisagé.

Car Airbus occupe le terrain. L'avionneur européen a en effet lancé en juin dernier l'A321 XLR, une version long-courrier de l'A321, capable de transporter près de 200 passagers sur des vols de 10 heures. Prévu pour 2023, cet appareil coupe l'herbe sous le pied de Boeing. D'autant plus qu'il multiplie les commandes.

Airbus devrait creuser l'écart

À cette déconvenue sur le marché des avions de 220-260 sièges s'ajoute évidemment celle observée sur le marché des monocouloirs, celui du 737 et de l'A320, le plus gros marché de l'aéronautique avec plus de 70 % des ventes. Boeing n'a plus la main. Et ce, quel que soit le scénario. Même si la situation du 737 Max se normalisait d'ici à 2023, Airbus se trouvera à ce moment-là en position de force.

L'avionneur européen aura en effet profité de ce laps de temps pour mettre derrière lui les soucis de production constatés sur l'A321 et pourra augmenter ses cadences de production (une soixantaine d'avions produits par mois aujourd'hui) afin d'écouler plus rapidement son carnet de commandes et par ricochet engranger de nouvelles commandes. Certains clients sont en effet réticents à commander des avions qu'ils ne recevront pas avant six ou sept ans. Bref, alors que la famille A320 dominait déjà le 737 Max avant ses problèmes, Airbus est bien parti pour creuser l'écart et atteindre, selon certains experts, plus de 60 % de parts de marché, « voire plus ». À condition que Boeing ne décide pas de brader ses Max.

Mais c'est sur un autre scénario, celui de l'arrêt du programme 737 Max qu'Airbus se retrouverait encore plus en position de force. Si, pour une raison ou pour une autre (nouveaux problèmes sur l'appareil après sa remise en service ou boycott des passagers), Boeing décidait de lancer un nouvel avion, Airbus aurait en effet le luxe de pouvoir attendre avant de réagir. Car, en l'absence de nouvelles technologies concernant les moteurs pendant au moins cinq ans, le lancement d'un nouveau programme américain dans les deux ou trois ans déboucherait sur un appareil dont les performances seraient certes supérieures à celles de l'A320 Neo, mais pas suffisantes pour créer un écart substantiel avec l'avion européen. D'autant plus que l'A320 Neo peut encore être optimisé.

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En lançant un tel avion qui n'arriverait pas sur le marché avant 2027-2030, Boeing prendrait donc le risque de voir Airbus, conformément à son plan actuel, attendre quelques années avant de lancer à son tour un nouvel avion, lequel apporterait pour le coup un véritable saut technologique par rapport aux avions actuels. L'avionneur européen table sur le lancement du programme du successeur de l'A320 Neo au milieu de la prochaine décennie, pour une mise en service au début des années 2030. Et là, difficile, pour ne pas dire impossible cette fois, pour Boeing de relancer un nouvel avion à 15 milliards de dollars quelques années après avoir mis la même somme pour lancer le successeur du B737 Max.

Dans l'hypothèse d'un lancement dans les deux ou trois ans par Boeing d'un successeur du Max, reste à savoir si Airbus maintiendra son calendrier pour proposer un avion en rupture dans les années 2030. Ou au contraire, s'il marquera Boeing à la culotte en lançant dans la foulée le successeur de l'A320 Neo, de peur de voir son rival américain reprendre du poil de la bête commercialement.

Ce schéma serait préjudiciable à l'ensemble du secteur. Car il ne pousserait pas les avionneurs à relancer un nouvel avion au cours des années 2030, étape jugée cruciale pour atteindre les objectifs ambitieux du transport aérien de réduire de 50 % les émissions de CO2 en 2050 par rapport à 2005. L'enjeu environnemental sera déterminant dans les choix stratégiques. La montée en puissance de la sensibilité environnementale et la montée en flèche de la taxation sur les compagnies aériennes peuvent en effet pousser les compagnies à attendre un tel avion qui ferait baisser les émissions de CO2 et inciter par conséquent Airbus à attendre. D'autant plus que l'A320 Neo peut encore être optimisé.

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Pour autant, selon certains industriels français, Boeing pourrait, s'il lance un nouvel avion pour remplacer le Max, concevoir un appareil qui couvre aussi le marché du NMA. Un appareil qui permettrait à son partenaire Embraer (que Boeing est en passe de racheter) d'occuper le marché des avions de 100 à 150 places (voire un peu plus) et de lancer un avion de 170 à 270 places selon les versions. Toutefois, cet avion ne résoudrait pas l'équation du manque de technologies aujourd'hui nécessaires pour concevoir un modèle permettant de sauter une génération.

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REPÈRES

  • 8 MARS 2017 L'Agence fédérale de l'aviation (FAA) accorde sa certification au Boeing 737 Max.
  • 29 OCTOBRE 2018 Un Boeing 737 Max s'abîme en mer après avoir décollé de Jakarta. 189 morts.
  • 10 MARS 2019 Un Boeing 737 Max s'écrase après son décollage d'Addis-Abeba. 157 morts.
  • 13 MARS 2019 La FAA cloue au sol tous les Boeing 737 Max.
  • 29 JANVIER 2020 La facture de la crise atteint 18,4 milliards de dollars pour Boeing.