Comment la filière aéronautique et défense reprend le chemin des usines

La filière aéronautique et défense souffre, mais ne rompt pas pour le moment. Mais le plus dur est à venir, notamment pour les entreprises dont le portefeuille d'activité est très civil. Les patrons dans la défense sont inquiets d'un effondrement d'un sous-traitant dans le domaine civil qui toucherait la défense.
Michel Cabirol
Toulouse, où est basé Airbus et sa supply chain, s'apprête à souffrir, à beaucoup souffrir.
Toulouse, où est basé Airbus et sa supply chain, s'apprête à souffrir, à beaucoup souffrir. (Crédits : Reuters)

La filière aéronautique et défense française a repris le chemin du travail depuis plusieurs jours déjà. "La reprise de l'activité est assez rapide après un arrêt quasi complet, avait observé il y a une dizaine de jours le président du GIFAS, Eric Trappier, au moment de son audition à l'Assemblée nationale. C'est encore lent et faible aujourd'hui avec 30% des effectifs présents sur les sites. Ce chiffre concerne surtout notre supply chain, qui a moins accès au télétravail. 45% en télétravail chez Dassault, plus encore chez Thales et à peu près 25-30% chômage partiel pour l'ensemble du secteur".

D'une manière générale, la filière aéronautique est réputée être bien organisée et solidaire entre les maîtres d'œuvre et les équipementiers, via notamment le GIFAS, qui est référente dans le secteur et qui s'est mis en ordre de combat depuis le début de la crise. Dans cet esprit, Eric Trappier, également PDG de Dassault Aviation, a décidé de réunir autour de lui sur une base hebdomadaire les principaux dirigeants de la filière : Guillaume Faury (Airbus), Philippe Petitcolin (Safran), Patrice Caine (Thales), ainsi que le président du Groupe des Équipements Aéronautiques et de Défense Patrick Daher, le président du Comité Aéro-PME, Christophe Cador, PDG de Satys, et le Délégué général du GIFAS, Pierre Bourlot. Pour autant, il y a quelques grincements de dent de la part de PME à l'encontre de Safran en difficulté avec certains de ses clients. Résultat, le motoriste et équipementier répercute en repoussant ou en annulant des commandes à ses sous-traitants. "On regarde ceux qui ne peuvent pas accepter et on essaie de les aider", explique-t-on toutefois au sein du groupe.

Une reprise contrastée

Ce constat est partagé par le président du CIDEF (GIFAS, GICAT, GICAN) Stéphane Mayer lors de cette audition commune avec les présidents du GIFAS et du GICAN, Hervé Guillou : "Au début de la crise, nous avions jusqu'à 60% des entreprises qui étaient à l'arrêt ou très perturbées. Aujourd'hui, nous observons une généralisation progressive des reprises mais avec un niveau très variable entre 30 et 60%, au maximum 70%, des effectifs au travail", dont seulement 20 à 30% sur site. Très rapidement, la ministre des Armées Florence Parly a adressé un courrier enjoignant les présidents des entreprises de défense à poursuivre les activités industrielles.

Pour sa part, Hervé Guillou a souligné "une certaine difficulté à faire entendre les propos de la ministre des Armées". Si les industriels dans le domaine naval (40.000 emplois très largement français et européens) ont été présents "dans les domaines qui relevaient de l'urgence opérationnelle", pour le reste, "le dialogue avec les partenaires sociaux a été parasité par les incohérences de discours au niveau gouvernemental, en ce qui concerne la continuité", a relevé Hervé Guillou. Le président du GICAN cite en exemple la poursuite en référé au Conseil d'Etat par un syndicat qui jugeait les activités de Naval Group "non essentielles". Il pointe également du doigt le jugement du Tribunal de Nanterre sur Amazon, qui "a permis au juge de donner sa propre interprétation". "Ce sont des signaux auxquels les syndicats et le personnel sont sensibles. Résultat, il y a une confusion du personnel, qui ne sait plus vraiment à quelles injonctions obéir", a-t-il expliqué.

"Il y a une difficulté à redémarrer les chantiers navals car les travaux à bord sont très difficiles à réaliser car cela nécessite une grande proximité entre les agents, a expliqué le président du GICAN. C'est une des difficultés principales avec 50% d'activité à l'arrêt aujourd'hui, qui s'accompagne d'une pénurie de masque FFP2. La deuxième spécificité du naval réside dans le fait de faire venir les travailleurs dans les bateaux".

L'étape du 11 mai marquera la poursuite de l'amélioration voire "une accélération de ces ratios", a estimé le patron du GICAT, Stéphane Mayer. Après le 11 mai, "nous savons que les gestes barrières persisterons et cela nous obligera à continuer le télétravail, a-t-il averti. D'autres obligations et leurs conséquences dans nos entreprises restent à mesurer. Le port de masques a été lui anticipé avec des commandes groupées dans les différents secteurs industriels ; il y aura des situations particulières à évaluer tel que la garde d'enfants et d'autres situations d'ici-là".

Des tensions sociales à  venir

C'est l'aéronautique civil qui connait une situation économique très aggravée. "Cela concerne tout le monde aussi bien Airbus que Boeing avec une supply chain, qui est très dépendante de ces deux entreprises", a expliqué le PDG de Dassault Aviation, Eric Trappier. La création d'un groupe ad hoc au sein du GIFAS a pour but d'analyser les difficultés de celle-ci avec la direction générale des entreprises (DGE), la direction générale de l'armement (DGA) et la banque publique Bpifrance "pour identifier et aider celles qui pourraient être touché par des faillites". Selon un document de France Industrie datant de fin mars, les entreprises du secteur avaient de quoi tenir en trésorerie jusqu'en mai/juin. Depuis, beaucoup d'entre elles, notamment les grands maîtres d'œuvre, ont réussi à augmenter leur capacité de financement (par exemple avec l'obtention de ligne de crédit syndiquée).

Au-delà des mesures immédiates prises par le gouvernement (chômage partiel, prêts et aides), qui sont utilisées par les sociétés de la filière, principalement la supply chain, "la grande inquiétude de toute supply chain porte sur la question suivante : quand les avions vont-ils pouvoir à nouveau voler ? Clairement, pas tout de suite et les clients principaux, les compagnies aériennes, sont à la limite de la faillite".

Toulouse, où est basé Airbus et sa supply chain, s'apprête donc à souffrir, à beaucoup souffrir. C'est un sentiment quasi général qui prédomine dans la filière, même si certains font encore la politique de l'autruche. "Ce n'est pas seulement du court terme car, même si les mesures de l'État permettent de voir venir la sortie, la crise du trafic aérien va durer entre 18 et 24 mois sans être sûr d'un retour à la normale, a résumé Eric Trappier. La baisse de la cadence va créer des tensions sociales. Cela va toucher aussi les avions d'affaires et les hélicoptères encore plus touchés par la chute des prix du pétrole. Il y a une crainte pour la supply chain et l'ensemble du secteur face au risque de l'effondrement d'un sous-traitant dans le domaine civil qui toucherait la défense".

Ce n'est pas encore le cas même si la direction d'Aequs Aerospace Aubigny dans le Cher, déjà en difficulté avant la crise du Covid-19, n'a pas eu d'autre choix que d'effectuer une déclaration de cessation des paiements début avril. D'une façon générale, les groupes ayant un portefeuille d'activités diversifiées dans le domaine civil et militaire s'en sortent mieux que ceux, qui ont un portefeuille centré uniquement sur le civil. "En attendant que cela reprenne, nous identifions ceux qui ne vont pas bien, pour être surs qu'ils ne déposent pas le bilan. L'inverse est aussi vrai. Une grande société peut elle-aussi être mise en difficulté, parce qu'elle ne peut pas livrer", a souligné le président du GIFAS.

Enfin, pour le moment, a estimé Hervé Guillou, les entreprises dans le naval n'ont pas besoin d'une prise de participation de l'Etat. "Il n'y pas de cas avéré aujourd'hui", a-t-il affirmé. "Le besoin essentiel, c'est de retrouver des volumes et de l'activité. Pas besoin de fonds propres supplémentaires. A la limite, des facilités de trésorerie. C'est ce qui permettra de redémarrer un cycle vertueux", a fait observer le patron du GICAN. C'est également le cas dans le domaine de l'armement terrestre. "Il n'y en a pas pour le moment le besoin", a noté le président du GICAT. "Le secteur de la défense a un très mauvais moment à passer, mais la menace n'est pas existentielle au point de devoir avoir un recours, au-delà de ce qui existe déjà, qui irait jusqu'à la prise de participation de l'État", a-t-il expliqué.

Dans l'armement, une DGA au centre du jeu

Avec la crise, les industriels se sont naturellement tournés vers la DGA. "Le dialogue avec la DGA est régulier et nominal avec chaque société pour faire un point sur conséquences sur chaque programme et préparer le retour à une certaine normalité", a expliqué Eric Trappier. "En concertation étroite avec la DGA, nous avons cherché à comprendre la priorisation des activités et il nous est apparu que la priorité était émise au soutien des matériels, mais aussi à la dissuasion et à la défense aérienne", a précisé pour sa part Stephane Mayer.

La DGA a mis l'accent sur "l'importance des qualifications et de livraisons des équipements neufs", a-t-il souligné. Pour autant, les industriels ont accusé "des retards inévitables en production" en raison du confinement décidé par le gouvernement. "Il s'agit d'un cas de force majeur, prévu par les contrats qui ne conduira pas à l'application de pénalités", a assuré Stéphane Mayer. Les chaines de production n'ont pas échappé à la mise en pause provoquée par le confinement. Toutefois, les industriels ont veillé à assurer la continuité des activités des forces armées  la mission armées en fournissant les matériels indispensables.

Nexter, Thales et Arquus "travaillent activement pour se rapprocher le plus possible des objectifs de livraison inscrits dans la LPM : 128 griffons et 4 jaguars. Cet objectif ne sera très probablement pas atteint à 100%".

Des actions ont été menées au niveau de la DGA, qui a ouvert un numéro vert qui est accessibles aux PME, moins résilientes que les grands groupes. Le ministère des Armées et la DGA ont mis en place des mesures pour accélérer et réduire les délais de paiements. D'une façon générale, l'État a également mis en œuvre des outils pour toute l'industrie comme les prêts garantis, les reports de charges sociales et fiscales indispensables pour un certain nombre d'entreprises particulièrement les plus petites d'entre elles. Par exemple, dans le domaine naval, la première priorité a concerné des domaines essentiels comme notamment l'Ile Longue à Brest.

Comment relancer la filière ?

Au-delà du plan de relance en préparation dans la défense, Eric Trappier préconise dans l'aéronautique civile de "changer les avions, ce qui permettrait de redynamiser aéronautique et de rendre les compagnies aéronautiques un peu plus vertueuses en ayant des avions moins polluants". Soit une sorte de "prime à la casse". Il a rappelé que les États-Unis ont mis "deux priorités stratégiques de relance : l'aéronautique et l'industrie de défense", soit un plan de 50 milliards de dollars. "Ce n'est pas à la France de mener un plan de cette amplitude en faveur des compagnies aériennes. Est-ce que l'Europe va le mettre en place ? Nous y travaillons, le commissaire Breton y réfléchit sérieusement", a expliqué Eric Trappier. Et de prévenir d'ores et déjà que l'Allemagne "se prépare à une reprise rapidement" grâce notamment aux Landers. C'est le cas également de la Chine, qui "reprend son activité" dans l'aéronautique.

Stéphane Mayer espère "un programme de reprise d'ampleur exceptionnel, sinon nous serons derrière les autres". Il a rappelé comment la France était sortie de la crise de 2008 : "l'impact sur l'emploi de la crise 2008 a été de 20% sur les effectifs d'emplois totaux, il n'a été rattrapé qu'en 2015-2016", a-t-il souligné. La France a eu une reprise "très lente et plus lente que chez les Allemands". Ce qui pourrait être préjudiciable pour cette industrie de pointe en France (aéronautique civile, armement et espace). "On ne peut pas créer les commandes que l'on n'a pas ou plus. Tout le monde souffrira en chaine si les achats d'équipements ne suivent pas", a-t-il affirmé. En 2009, le plan de relance de Fillon avait sauvé au moins 5.600 emplois chez les industriels de l'armement, selon un rapport indépendant du Comité des prix de revient des fabrications d'armement (CPRA), supprimé malheureusement par le ministre de la Défense, Jean-Yes Le Drian.

Diversité dans la politique de dividendes

S'agissant des dividendes, les grandes entreprises de l'aéronautique ont toutes renoncées à verser des dividendes, a rappelé Eric Trappier. Mais les problématiques sont différentes pour plus les petites entreprises. Dans le naval, "toutes les sociétés sont très prudentes en ce qui concerne les dividendes, a expliqué Hervé Guillou. Pour ce qui est des PME et entreprises familiales, beaucoup ont été plus prudents et ont renoncées aux aides d'État pour garder un minimum de politique de dividendes, dont les actionnaires familiaux peuvent avoir besoin".

Michel Cabirol

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Commentaires 8
à écrit le 06/05/2020 à 11:34
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Decidemment, on en apprends tous les jours. L'industrie aéronautique française doit tout aux britanniques et aux américains. On savait deja que les réacteurs nucléaires civiles étaient de conception US. Très probablement les réacteurs navalisés égale...

à écrit le 05/05/2020 à 13:41
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Le seconde guerre mondiale ayant pris fin, l'industrie aéronautique militaire britannique continua sa production pendant plusieurs mois, détruisant systématiquement les nouveaux appareils dès leur sortie de chaîne, afin de ne pas provoquer un chômag...

le 05/05/2020 à 22:57
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J'ai bien ris à l'histoire des nouveaux appareils détruit à la sortie des chaînes,rassurez-moi c'était une blague hein ? Non car là il y a du niveau.

à écrit le 05/05/2020 à 10:02
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Fallait pas tout confiner de manière autoritaire et absurde. Quoi qu'il en coûte ? Tout à un prix. La précipitation, l'imprevoyance aggravent les coûts et génèrent des problèmes plus importants que celui à régler.

à écrit le 05/05/2020 à 9:42
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"Les patrons dans la défense sont inquiets d'un effondrement d'un sous-traitant dans le domaine civil qui toucherait la défense" Mêler toujours plus intérêts privés et publics ne peut que mener à des aberrations de ce genre, les états unis, dont ...

le 05/05/2020 à 16:06
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.L'Eur de la défense une naiveté Macrono-Bérouiste Laquelle naiveté, profite à l'Allemagne qui pille la technologie FR .Une défense eur dépend d'abord d'une diplomatie : impossible. L'Eur n'est pas une Nation : addition de 27 Pays de plus en ...

le 05/05/2020 à 16:40
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".L'Eur de la défense une naiveté Macrono-Bérouiste" Espérons franchement que cela ne soit que de la naïveté, espérons que cela ne soit pas fait exprès et que des gardes fous ensuite enquêtent pour connaître la vérité, toute cette "incompétence" ...

à écrit le 05/05/2020 à 8:02
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Je pense que il y aura des difficultes aussi importantes apres la crise avec le virus Corona.C'est ce qui m'interesse c'est le cas avec l'ouverture d'une nouvelle ligne d'assemblage a Toulouse pour A321 et est qu'est-ce que vous allez faire apres la ...

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