Dans le monde d’après, les compagnies aériennes payent leurs avions en cash

Cash ou crédit pour payer votre nouvel avion ? Avec la reprise des livraisons en sortie de crise, le choix des compagnies aériennes s'est largement porté sur la première solution, avec une évolution considérable à en croire une étude tout juste dévoilée par Boeing. Un phénomène qui trouve racine dans le contexte de fort endettement, mais aussi de déséquilibre dans la reprise du trafic et des livraisons. Explications.
Léo Barnier
Le rééquilibrage des livraisons entre les différentes zones du monde devrait se ressentir dans les choix de financement.
Le rééquilibrage des livraisons entre les différentes zones du monde devrait se ressentir dans les choix de financement. (Crédits : Randall Hill)

Avec la reprise du trafic aérien vient la reprise des livraisons d'avions. Entre Airbus et Boeing cumulés, le nombre d'appareils livrés a augmenté de 50 % entre 2021 et 2022. Et ce chiffre devrait encore croître sensiblement en 2023. Mais encore faut-il que les compagnies aériennes puissent financer ces achats massifs après une crise sans précédent. A en croire la dernière étude de Boeing, consultée en avant-première par La Tribune, le montant des financements pour les achats d'avions va retrouver son niveau d'avant crise dès cette année. Pour autant, des variations dans les modèles de financement se font sentir par rapport à ce qui a pu se faire avant et pendant la crise, à commencer par l'origine des fonds.

Lire aussiAir France reçoit une flopée d'avions neufs : comment est-ce possible en pleine crise?

Les compagnies aériennes vont investir pas moins de 94 milliards de dollars dans l'achat de nouveaux avions commerciaux en 2023. C'est du moins la prévision établie en ce début d'année par Boeing, qui englobe les appareils régionaux, moyen et long-courriers à travers le monde. C'est un tiers de plus qu'en 2022, où le marché était de 69 milliards de dollars, et surtout quasiment autant qu'en 2019 à quelques milliards près. Sans être au niveau des années fastes comme en 2018, où les montants se sont envolés jusqu'à 126 milliards de dollars, le volume d'investissements redevient très conséquent.

Lire aussiJackpot pour Airbus et Boeing en Inde : Air India commande près de 500 avions

Retour aux niveaux de financement d'avant crise

Interrogé par La Tribune, Vasgen Edwards, directeur général chargé des marchés de capitaux et des relations extérieures de Boeing Customer Finance, analyse la situation. Après avoir affirmé être conscient « d'un certain nombre de défis encore à relever » et de « la volatilité (qui) reste incertaine dans certaines régions », il déclare : « 2022 a montré une augmentation raisonnable après les défis que nous avons tous connus en 2020 et 2021. Nos prévisions pour 2023 sont très proches de celles que nous avions juste avant la pandémie. Il s'agit donc d'une étape rassurante en ce qui concerne nos attentes. »

Ce phénomène devrait aussi bien concerner le marché en général que Boeing en particulier, même si les effets sont amplifiés par le retour du 737 MAX, interdit de vol et de livraisons entre mars 2019 et fin 2020. Le chiffre d'affaires lié aux livraisons d'avions neuf en 2023 pourrait ainsi dépasser celui de 2019, mais Vasgen Edwards se garde bien de donner tout chiffre absolu concernant son entreprise.

Lire aussiCommandes, livraisons : comment Airbus a surpassé Boeing en 2022

Le cash s'impose en 2022

Le dirigeant se montre plus loquace sur les variations dans les modèles de financement et notamment la forte augmentation pour les compagnies aériennes et les sociétés de leasing de l'utilisation de leur trésorerie, de leur cash pour payer leurs avions. Alors qu'elle était reléguée en troisième ou quatrième position derrière le crédit bancaire, le recours aux marchés de capitaux et le crédit-bail (« sale & leaseback », système permettant à une compagnie de vendre à une société de leasing un avion commandé en propre, puis de prendre ce même avion en location), cette solution s'est imposée comme le principal moyen de financement pendant la crise.

Son importance a encore crû en 2022. L'utilisation de cash est passée de 22 % en 2019 à 35 % l'an dernier. Derrière, le crédit-bail s'est lui maintenu à plus de 20 % durant toute la période avec tout même un pic en 2021, dépassant même le recours à la trésorerie cette année-là.

A l'inverse, Vasgen Edwards note qu'il y a eu un degré d'incertitude sur certaines plateformes de financement, et sur les marchés des capitaux en particulier. Très important juste avant la crise, l'appel à ces marchés s'est réduit pour passer de 25 % en 2019 à 14 % l'an dernier, malgré un petit rebond en 2021. De même, le recours au crédit bancaire n'a cessé de dégringoler durant toute la période, sans doute en raison de l'endettement déjà contracté par ailleurs par les compagnies pour renforcer leur trésorerie face à la crise, passant de 32 % en 2019 à 15 % l'an dernier. Reste les agences de crédit à l'export, mais dont la part est restée relativement faible tout au long de la période.

Ce renversement des équilibres est encore plus flagrant pour les avions livrés par Boeing. En 2022, 54 % des financements étaient en cash, quand le crédit-bail plafonnait à 18 %, le crédit bancaire à 15 % et les marchés de capitaux à 9 %.

Lire aussiL'incroyable come-back des compagnies aériennes américaines (American, Delta, United)

Début de rééquilibrage en 2023

Pour 2023, le constructeur s'attend à un maintien de l'utilisation de la trésorerie comme principal moyen de financement pour ses avions (il ne donne pas de prévisions pour le reste du marché). « Nous pensons que les liquidités continueront à jouer un rôle très important et cela est dû en partie à la poursuite par certaines compagnies aériennes parmi les plus solides de leur désendettement après les difficultés de 2020 et 2021 », détaille Vasgen Edwards, même s'il estime que cette stratégie va ralentir progressivement avec la réduction effective de la dette d'une part et le retour à des bons niveaux de profits de l'autre.

Il voit ainsi les écarts avec les autres sources de financements se réduire au cours de l'année : « Il y aura à nouveau un bon degré de diversité en termes de demandes de financement et je pense que nos clients s'en réjouissent également. » Il estime ainsi que les menaces qui ont pesé sur certains acteurs du financement aéronautique durant la crise sont aujourd'hui réduites, voire levées.

Lire aussiCoup dur pour Boeing qui doit à nouveau interrompre ses livraisons de 787

Une dimension géographique forte

Pour le directeur général chargé des marchés de capitaux et des relations extérieures de Boeing Customer Finance, ces évolutions s'expliquent en partie par les fortes différences géographiques dans la reprise du secteur, ainsi qu'entre les différentes compagnies. « Il est toujours important de garder à l'esprit où et à qui les avions ont été livrés », prévient-il, avant de poursuivre sa réflexion : « Les marchés les plus actifs en termes de livraisons ont été l'Amérique du Nord et l'Europe occidentale, où sont souvent les compagnies aériennes les plus solides qui ont récupéré plus rapidement des difficultés que nous avons connues en 2020 et 2021. » Les compagnies nord-américaines ont ainsi représenté plus de la moitié des livraisons de Boeing, notamment grâce à la forte reprise de leur trafic domestique, loin devant l'Europe.

Or, ce sont ces compagnies américaines et européennes qui ont cherché à se désendetter en premier après avoir été soutenues pour certaines par leurs Etats. De même, l'envolée des taux d'intérêt due à la situation économique et géopolitique globale a également contribué à freiner le recours à la dette pour financer de nouveaux avions. Le recours à la trésorerie s'est ainsi littéralement envolé en Amérique du Nord. Pas moins de 69 % des livraisons de Boeing dans cette zone ont été financées ainsi, tandis que le recours à la dette bancaire a diminué. Bien plus qu'auparavant. En Europe, cette part est de 43 %.

Lire aussiL'Arabie saoudite commande 78 Boeing 787 pour ses deux compagnies

L'Asie doit revenir dans la partie

A l'inverse, l'Asie-Pacifique et le Moyen-Orient sont encore très en retrait dans les réceptions d'avions neufs, sans parler de la Chine longtemps bloquée par sa politique sanitaire stricte. Or, ce sont ces régions qui faisaient traditionnellement appel à l'endettement bancaire pour financer leurs achats d'avions, avec des banques locales puissantes. D'où une vision quelque peu déformée en 2022. Leur montée en puissance est désormais attendue. L'Asie-Pacifique, où nombre de compétitions ont eu lieu, offre le plus fort potentiel de croissance, mais les compagnies chinoises et moyen-orientales vont pouvoir s'appuyer sur un secteur bancaire local très liquide.

Ce rééquilibrage du marché entre les différentes régions du monde explique en partie l'évolution des financements attendue par Boeing, comme l'explique Vasgen Edwards : « En 2023, lorsque nous commencerons à voir une augmentation des livraisons dans l'ensemble du monde, je pense que nous verrons un peu plus de diversification dans le financement ». Cela devrait notamment se traduire par une remontée du crédit bancaire et du recours aux agences de crédit à l'export. Ce mouvement sera aussi renforcé par le redémarrage des livraisons d'avions long-courriers. Pour les marchés de capitaux, cela dépendra davantage « des fenêtres » qui pourront s'ouvrir pendant l'année.

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 16/03/2023 à 7:18
Signaler
Oh, la France est la première destination touristique du monde. Nous n'avons plus d'industrie... Même la poudre de nos munitions vient de l'étranger...! alors c'est tres egoiste de parler ainsi.

à écrit le 16/03/2023 à 2:44
Signaler
Sont ils au courant de la décroissance pour sauver la planète ? L'avion c'est beurk pour les voyages de masse . L'état va surtaxés les billets pour ralentir le nombre de vols. Il n'y aura plus que L' hippomobile pour aller de ville en ville, de pay...

le 16/03/2023 à 6:23
Signaler
Voyage est un vrai plaisir pour moi depuis 50 ans, j'adore l'avion. Mais je suis de l'avis qu'il faut restreindre fortement le nombre de vols donc de voyageurs. La solution est de taxer forcément le transport aérien, une taxe au niveau mondial de ...

le 16/03/2023 à 7:21
Signaler
C'est la nouvelle tendance bobo ça... Pendant que d'autres travailles et créent de la valeur.. Si les voyages explosent, c'est tout simplement parce que les gens veulent voyager...

le 16/03/2023 à 10:00
Signaler
"L'avion c'est beurk pour les voyages de masse" et les jets privés c'est encore plus beurk ? :-) A part transporter de la marchandise (ce qu'ils font en plus des passagers, la soute n'est pas vide), que demander aux avions ? Rouler sur autoroute pou...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.