Drones : la Marine nationale se jette à l’eau trop ( ? ) prudemment

Pour compenser le manque de moyens de la Marine nationale, les drones pourraient être une des alternatives. Ce qui n'est pas encore le cas, les navires français embarquant peu de drones.
Michel Cabirol
Disposant d'une autonomie de trois heures, le mini-drone SMDM peut évoluer dans un rayon d'action limité de 50 kilomètres. Il va renforcer les capacités ISR des navires emportant les SMDM.
Disposant d'une autonomie de trois heures, le mini-drone SMDM peut évoluer dans un rayon d'action limité de 50 kilomètres. Il va renforcer les capacités ISR des navires emportant les SMDM. (Crédits : Ministère des Armées)

Le constat sur les capacités de la Marine nationale est accablant : pas assez de frégates de premier rang, pas assez de sous-marins nucléaires d'attaque, pas assez de patrouilleurs, un seul porte-avions... La liste est loin d'être exhaustive. Dans un monde qui se durcit de plus en plus, notamment sur toutes les mers du globe, la Marine n'a aujourd'hui plus les moyens de faire face à tous ces nouveaux enjeux. Et à terme elle ne pourra plus remplir ses contrats opérationnels qui lui seront demandée, avec le format actuel. Comment la Marine nationale, en dépit de son savoir-faire et de ses équipements de haut niveau mais trop échantillonnaires à l'image des deux autres armées (Air et Terre), peut-elle rester dans le cercle des marines qui comptent ?

L'une des solutions pour compenser le manque de plateformes habitées est de lancer une stratégie de dronisation de la Marine nationale pour créer de nouvelles capacités et offrir de nouvelles marges de manoeuvre, comme le préconise une étude très récente de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Ainsi, la surveillance des immenses espaces maritimes français relève aujourd'hui de plusieurs outils possibles : les satellites, les drones, les moyens aériens et maritimes. « Les contraintes pesant sur la Marine nationale font du drone une solution pertinente », estime d'ailleurs l'auteur de l'étude de l'IFRI, Léo Péria-Peigné. Contraintes essentiellement budgétaires même si le budget des armées a augmenté depuis 2018. Mais les trois armées sont parties de loin, de très loin pour se remettre à niveau. Et la loi de programmation militaire de réparation n'a pas encore gommé toutes les lacunes capacitaires. C'est le cas pour la Marine nationale :

« On constate de très fortes réductions temporaires de capacités ; tous les segments de la marine sont concernés, a expliqué fin juillet le chef d'état-major de la Marine, l'amiral Pierre Vandier, à l'Assemblée nationale. On va descendre à quatre SNA pour les deux prochaines années, compte tenu du rythme de réparation des cinq sous-marins que nous détenons et des livraisons des suivants. S'agissant des patrouilleurs, la cible va descendre à 50 % de ce qui est prévu pour 2030. Pour les patrouilleurs outre-mer, on remontera à 100 % en 2025. Par ailleurs, nous n'aurons que deux bâtiments ravitailleurs de force (BRF) d'ici à 2029, au lieu de quatre ».

Drones : des capacités trop (?) limitées

Mais le constat en matière de dronisation dans la Marine nationale est également inquiétant. Il y a trop peu de drones actuellement en service dans la Marine nationale, qui ne doit pas rater à l'image des deux autres armées (Terre et Air) cette plus-value capacitaire, qui arrive aujourd'hui dans les marines. « Les drones constituent un élément de transformation majeure (de la Marine nationale, ndlr), que j'attends avec grande impatience », expliquait en octobre 2021 le chef d'état-major de la Marine à l'Assemblée nationale. L'amiral Vandier souhaite, a-t-il expliqué fin juillet, « employer des drones pour toutes les missions qui n'impliquent pas d'emport d'armes ».

Mais près d'un an plus tard, très peu de drones sont finalement montés à bord des navires de la Royale. Pire, le cycle trop long des programmes pourrait limiter « la pertinence des systèmes mis en service, comme le constate justement l'IFRI. À moins d'une conception extrêmement modulaire, les systèmes risquent d'être partiellement obsolètes à leur entrée en service, les composants utilisés ayant évolué depuis leur intégration dans l'architecture du système ».

L'amiral Pierre Vandier a pleinement conscience de cette problématique : « pour la marine, l'économie de guerre, c'est la capacité de l'industrie à booster la performance des systèmes d'armes actuels et à répondre à des besoins opérationnels nouveaux dans un temps court : les drones ». Léo Péria-Peigné ne peut qu'abonder : « des programmes plus resserrés dans le temps auraient permis à la flotte de s'acculturer à ces systèmes nouveaux et d'élaborer des cadres d'emploi et retours d'expérience permettant d'entraîner un cercle vertueux, avec une meilleure définition des besoins et des évolutions à apporter ».

Pourtant, le ministère des Armées n'en prend pas encore le chemin. « Le décalage de la livraison du système de drone aérien pour la marine (SDAM) à la fin de l'actuelle décennie n'est pas une bonne nouvelle, même si nous disposerons du prototype en avance », avait expliqué en octobre 2021 à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de la marine nationale. La Marine nationale, la Direction générale de l'armement (DGA) et les industriels doivent pourtant accélérer pour ne pas se faire décrocher sur le plan opérationnel, technologique et industriel. Les Américains et les Chinois ont compris tout l'intérêt de la dronisation en termes de plus-values capacitaires. Les Turcs et les Israéliens également.

Pourquoi tant d'hésitations ? « La crainte d'une éviction budgétaire au profit de systèmes nouveaux auxquels la Marine est encore peu acculturée inhibe son intérêt alors que son budget est déjà insuffisant pour maintenir l'ensemble de ses capacités à des niveaux satisfaisants, analyse Léo Péria-Peigné. La dronisation pourrait limiter les opportunités de carrière, en réduisant les besoins humains pour un bilan capacitaire égal ». La contrainte budgétaire pèse également sur le lancement de programmes de drones, qui ont fait l'objet d'arbitrages défavorables ces dernières années dans les armées, dont la Marine.

La technologie peut être également un frein. Ainsi, le système de communication est encore le point faible du drone. « Sous la mer, les ondes radio ne passent pas : une fois largué, le drone sous-marin doit avoir une forte part d'automatisme et il peut être perdu », a souligné fin juillet l'amiral Vandier. Enfin, sur le plan opérationnel, « les concepts ne sont pas encore complètement mûrs », a-t-il affirmé. Notamment pour une flotte de surface dronisée.

Autre frein, l'armement des drones. « Peut-on franchir la limite que constitue l'emploi d'un système d'armes létales autonome (SALA) ? », s'est interrogé fin juillet le chef d'état-major de la marine. C'est un sujet sur lequel s'est d'ailleurs penché le comité d'éthique de la défense. « Confier des armes puissantes, voire, comme les Russes le prétendent, des armes nucléaires, à des systèmes automatiques est pour le moins problématique », a-t-il estimé tout en rappelant que « la France avait souhaité débrancher les systèmes d'armement des premiers drones Predator qu'elle avait acquis afin qu'ils ne puissent être armés ».

Une montée en puissance trop (?) lente

Pourtant la Marine nationale découvre tout l'intérêt des drones en opérations. « Nous avons mené la première opération de lutte contre la drogue en Atlantique, avec le Mistral et un drone Schiebel, qui est resté quatre heures en vol, en alternance avec l'hélicoptère. Le potentiel de ce dernier est démultiplié par le drone », a reconnu l'amiral Pierre Vandier. A terme, la Marine disposera de six drones Schiebel, qui sont en cours de certification. Elle va d'ailleurs monter en puissance en matière de drones aériens. Ainsi, la semaine dernière, la DGA a annoncé avoir livré trois systèmes de mini-drones aériens embarqués (SMDM), qui vont équiper les petits patrouilleurs, les avisos, les patrouilleurs outre-mer (POM) de la Marine nationale. Ils étaient déjà attendus pour la fin de 2021...

Commandés fin 2020 à la PME Survey Copter (Airbus), les SMDM équipés d'une boule optronique doivent prochainement être déployés en opération. Au total, 11 SMDM ont été commandés par la DGA pour un montant de 19,7 millions d'euros et seront livrés jusqu'en 2023. Disposant d'une autonomie de trois heures, ils peuvent évoluer dans un rayon d'action limité de 50 kilomètres. Ils vont renforcer les capacités ISR des navires concernés. Le SMDM va leur permettre d'étendre « jusqu'à une vingtaine de nautiques leur bulle de connaissances, en communication directe », a précisé l'amiral Vandier.

Outre le SDAM, un drone tactique qui vise à doter les navires de premier rang (frégates FDI, FREMM, FDA, et porte-hélicoptères) d'une capacité leur permettant d'accroître leur portée de détection des menaces et leur maîtrise de la situation tactique, la marine réfléchit dans le cadre du programme Avion de surveillance et d'intervention maritime (AVSIMAR), à une combinaison du drone et de l'avion. « Nous avons déjà acheté sept Falcon 2000. Les suivants pourront être renforcés ou complétés par des drones, qui opéreront depuis la côte, pour la surveillance, à l'instar des avions de patrouille maritime », a expliqué le patron de la Marine. A cette occasion, l'Eurodrone pourrait faire l'objet d'une acquisition « pour peu que la charge utile employée soit cohérente et que le radar embarqué soit satisfaisant », explique-t-on à La Tribune. La Marine est dans les phases d'études.

Ces drones aériens « sont des appareils simples centrés sur des missions de surveillance. Nous pouvons gagner des heures de vol pour les drones avions par rapport à des avions qui sont plus complexes. Nous gagnons en termes de MCO à iso heures de vol. Il y a une réelle plus-value à opérer les drones parce que le coût global des missions va baisser », avait précisé l'amiral Pierre Vandier dans une interview accordée à La Tribune en juillet 2021.

La Marine nationale a également beaucoup avancé sur les drones sous-marins. Ainsi, l'ensemble de la force de guerre des mines sera entièrement dronisé dans les vingt prochaines années avec le programme franco-britannique SLAMF, un projet lancé en 2016 avec trois ans de retard. Actuellement en essais, le premier des quatre systèmes commandés doit être livré cette année. « On rentre dans le monde des drones de hautes performances et on peut donc imaginer des drones de patrouille profonde et lointaine », avait-il expliqué à La Tribune. En outre, sur les gros drones sous-marins, Naval Group a lancé des études en vue d'élaborer un prototype. « Nous étudions les concepts avec eux », a précisé fin juillet l'amiral Pierre Vandier. La Marine a également engagé une réflexion sur la coopération entre le sous-marin et le drone sous-marin. Le Suffren, qui vient d'être admis au service actif, peut conduire une opération spéciale en plongée, grâce au hangar de pont qui peut héberger des commandos ou des drones.

La Marine s'est également lancée dans la course à la surveillance des grands fonds, notamment des câbles sous-marins. Elle va acquérir un drone AUV et un Remotely Operated underwater Vehicle (ROV), un véhicule sous-marin téléguidé capable de descendre jusqu'à 6.000 mètres de fond. Enfin, l'amiral Pierre Vandier a estimé fin juillet que les drones de surface pourraient « jouer un rôle d'accompagnateur des forces. Ils pourraient être dotés de systèmes de guerre électronique et, éventuellement, de quelques armes, et aller 40, 50, 100 nautiques en avant, pour éclairer et défendre au loin une force aéronavale ». Les drones semblent avoir un très grand avenir dans la Marine, à condition de leur donner leurs chances.

Michel Cabirol

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Commentaires 3
à écrit le 10/09/2022 à 13:32
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Bonjour, Bon ils est regrettable su'ils n'y est pas de grand programme en coopération entre kes trois armées ( terre, air , mer ) ... car chaqu'un dois inventé le fils a coupé le beurre... du coups les avancé des un , n'apporte rien a l'ensemble......

à écrit le 06/09/2022 à 14:23
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Les drones de la Marine ?! Mais la France a une ( très ! ) longue expérience depuis les années 1960. Quand je commandais le groupement CT-20 sur "l'Ile-d'Oléron" en 1965 !

à écrit le 06/09/2022 à 7:11
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Bonjour Malheureusement, la france a toujours une guerre de retards... Les programmes de développement de drone sont encore restreint et souvent sans vrais coordination entre materiel ou les armées.... Pour la marine , pour s'est drone aérien, ...

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