Guerre cyber, spatiale, informationnelle : la France est-elle prête à faire face à une guerre hybride ?

De nouvelles logiques d’affrontements apparaissent et nécessitent de nouvelles doctrines d’emploi militaires. La France est-elle armée face à la guerre hybride ? Le colonel Thierry Bauer, chef du pôle opérations du COMCYBER, le colonel Guillaume Bourdeloux, commandant des opérations spatiales de l’armée de l’air et de l’espace et le général Pascal Ianni, conseiller communication et porte-parole du chef d’état-major des armées, ont esquissé les contours de ce nouveau champ de conflictualité lors du Paris Air Forum, organisé par La Tribune.
Aujourd'hui, la guerre informationnelle est une donnée importante, sinon majeure, de tous les engagements opérationnels des armées françaises, explique le général Pascal Ianni, conseiller communication et porte-parole du chef d’état-major des armées.
"Aujourd'hui, la guerre informationnelle est une donnée importante, sinon majeure, de tous les engagements opérationnels des armées françaises", explique le général Pascal Ianni, conseiller communication et porte-parole du chef d’état-major des armées. (Crédits : La Tribune)

C'est une autre forme de guerre, qui combine désormais des moyens et des actions ambigües, militaires ou non, des forces conventionnelles ou irrégulières à l'image du conflit en Crimée en 2014. La guerre hybride se joue dans des zones grises tels que les océans, l'espace, les champs cyber et informationnel. Des zones grises dont la maîtrise est primordiale pour anticiper les attaques et pourquoi pas être en mesure de répliquer. Avec la guerre informationnelle, les cyberattaques, l'espionnage de satellites, la guerre a clairement changé de forme et ne se cantonne plus aux trois domaines air-terre-mer. Ces nouveaux champs de conflits obligent les armées à s'adapter face à ces menaces d'un nouveau genre.

"L'hybridité est la combinaison de plusieurs modes d'actions dans le temps et dans l'espace. La particularité de la guerre hybride ou de l'hybridité est qu'elle va mêler des modes d'action purement militaires à des modes d'actions politiques, diplomatiques, économiques, sociaux, culturels. Toute la difficulté dans l'hybridité est de parvenir à synchroniser et coordonner les effets produits dans le temps et dans l'espace pour atteindre l'objectif politique qui est fixé par l'autorité politique", explique le général Pascal Ianni, conseiller communication et porte-parole du chef d'état-major des armées.

Guerre informationnelle, guerre d'influence

La guerre informationnelle sort de l'ombre : l'état-major des armées a "inauguré" récemment lors de ses points presse hebdomadaire un point sur ce volet en particulier. "Aujourd'hui, c'est une donnée importante, sinon majeure, de tous les engagements opérationnels des armées françaises", explique le général Pascal Ianni. Manifestations hostiles à la France en Afrique de l'Ouest, rumeurs sur les réseaux sociaux... l'état-major des armées se structure pour faire face à ces nouvelles menaces - décrites comme "un rouleau compresseur, une lame de fond, porté par des intérêts qui sont plutôt proches de la Russie voire de la Russie elle-même", analyse le porte-parole de l'état-major des armées. "C'est un combat de tous les jours et un combat coordonné à tous les niveaux".

C'est également le cas pour la guerre cyber. Le colonel Thierry Bauer, chef du pôle opérations du COMCYBER, enjoint à "poursuivre l'effort" dans le domaine de la lutte informatique défensive... mais aussi offensive. "Nous travaillons à être en position de nous-même effectuer des attaques informatiques sur les systèmes adverses". Même si les actions militaires portent essentiellement sur le volet défensif. La « matière grise », les spécialistes, sont des denrées rares, c'est pourquoi l'effort se porte également sur les ressources humaines : "il y a un vrai challenge d'attirer les cerveaux dont on a besoin", car ces mêmes profils sont également très recherchés par les industriels.

L'espace, lieu hybride par excellence

Si l'espace est immense, il se densifie de plus en plus. Pour le colonel Guillaume Bourdeloux, commandant des opérations spatiales de l'armée de l'air et de l'espace, "on est dans une nouvelle ère spatiale". "Il faut qu'on comprenne que maintenant la guerre dans l'espace n'est pas un mythe et qu'elle a lieu quasiment au quotidien. Il faut vraiment qu'on opérationnalise ce milieu", estime-t-il. Ce qui rend ce milieu hybride, c'est son caractère dual, il est donc "difficile de distinguer une action civile qui pourrait être à portée militaire".

Un exemple récent : en février 2022, deux satellites chinois s'attachent l'un à l'autre, avant que l'un des deux ne soit désorbité par l'autre. Si le motif officiel est expérimental, "l'intérêt militaire est absolument évident", devine le commandant des opérations spatiales de l'armée de l'air et de l'espace. Si un satellite militaire français fait l'objet d'une telle approche inamicale, il sera déplacé. Mais cette manoeuvre coûtera, comme l'explique le colonel Bourdeloux, "plus de trois mois de potentiel de vie à un satellite d'observation, qui est destiné à vivre entre sept et dix ans. Trois mois de potentiel de vie sur une manœuvre d'évitement, c'est énorme en fait". Les moyens de l'armée française sont dirigés vers la surveillance et si une riposte spatiale n'est pas à l'ordre du jour, elle pourrait en revanche se faire par d'autres moyens, en mêlant différentes types de capacités.

La France en phase d'apprentissage

La France est-elle prête à faire face à une guerre hybride ? "Aujourd'hui, en toute honnêteté, non", répond le colonel Guillaume Bourdeloux. Mais le commandement de l'espace a "une feuille de route capacitaire qui va le permettre", souligne-t-il. Cette feuille de route s'inscrit dans la loi de programmation militaire (LPM), qui accompagne une amélioration des capacités de la nouvelle armée spatiale, dotée aujourd'hui de 290 militaires (500 à l'horizon 2025). En outre, la politique spatiale militaire française repose naturellement sur des partenariats internationaux, y compris avec le civil. "Nous ne pouvons pas couvrir seuls nous-mêmes l'ensemble de la planète. Nous travaillons avec nos alliés, qui sont les Américains au premier plan, mais également, pour regarder de l'autre côté de la planète, avec l'Australie, le Japon, et potentiellement la Corée du Sud", précise le colonel Guillaume Bourdeloux.

Dans la guerre informationnelle, le général Pascal Ianni, estime également que les armées ne sont pas "complètement à maturité" en dépit de quelques succès, comme celui de Gossi au nord du Mali, où l'armée française a déjoué une nouvelle tentative de déstabilisation pro-russe. "Nous avons bien compris que dans le champ des perceptions et dans le champ informationnel, ce qui compte, c'est d'imposer notre narratif", estime le général Ianni. Résultat, en quelques heures, l'armée française a décidé de déclassifier des vidéos de drones montrant des mercenaires de Wagner enterrant des cadavres à proximité de l'ancien camp français. "Il fallait aller très vite pour tout de suite tuer dans l'œuf l'attaque informationnelle ou la manœuvre informatique", indique-t-il.

Dans le domaine cyber, la France "est prête mais il faut en permanence se préparer surtout dans ces domaines qui évoluent en permanence", estime le colonel Thierry Bauer. Pour le chef du pôle opérations du COMCYBER, "on ne pourra jamais se reposer sur nos lauriers". Car le glaive et le bouclier évoluent sans arrêt. "Nous sommes prêts mais nous aurons toujours à travailler et à développer nos modes opératoires pour s'adapter au bouclier et être capable de le transpercer le jour venu", précise-t-il. "Celui qui gagne, c'est celui qui est souple et qui est capable d'innover en fonction de l'évolution de la situation", rappelle le général Pascal Ianni.

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Commentaires 6
à écrit le 16/06/2022 à 20:23
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Bonjour, La France s'est toujours battues courageusement.... La France d'aujourd'hui n'est pas différents de la France d'hier... Sauf que la mise en sommeil de la conscription, nous laisse sans instructions militaire élémentaire... Cela est très ...

à écrit le 16/06/2022 à 10:02
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On fait la guerre avec des hommes un peuple motivé près à se défendre des résistants et bien sur le tout soutenu par plus ou moins de technologie qui disparait avec le temps comme en Afghanistan il faut des hommes.. Ensuite, le bazar intérieur ambia...

le 16/06/2022 à 13:02
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les dirigeants peut etre mais pas le peuple de france deja nos dirigeants son incapable d'organiser la securite des francais au quotidien sans oublier leur divergence au sein de leur parti et puis la france ne produits plus d'arme individuel et en...

à écrit le 16/06/2022 à 9:42
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Vous loin du compte... Dans la guerre hybride il y a surtout des attaques pseudos naturelles qui s'appuye par exemple sur la propension de zone de l'ocean atlantique à engendrer des ouragans et d'aider la nature dans cette tache... Créer des tremblem...

à écrit le 16/06/2022 à 6:56
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La France n'est prête a rien puisque enchainé avec ses voisins dans une vision dogmatique et non pragmatique de l'avenir; qui voudrait que chacun s'adapte en complementarité et confiance!

le 16/06/2022 à 12:22
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J'ai peur que vous ayez raison, la France n'est prête à rien. Au lieu de "toucher les dividendes de la paix", elle a plutôt touché le fond. Il nous reste quelques avions, quelques chars, quelques canons Caesar, mais pas de munitions pour s'en servir....

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