En 2017, sur orbite géostationnaire, un satellite russe Olymp, dissimulé sous l'identité d'un satellite-relais Loutch, s'est aventuré à proximité du satellite de télécommunications sécurisées franco-italien Athena-Fidus. Révélée un an plus tard par Florence Parly, ministre des Armées, l'affaire a mis en évidence la vulnérabilité de l'infrastructure spatiale française. Pour la protéger, une stratégie spatiale de défense a donc été définie et dévoilée à l'été 2019. Elle comprend une doctrine et des moyens, existants ou à développer, et surtout un commandement unifié, créé le 8 septembre suivant, pour chapeauter le tout.
"L'espace joue un rôle essentiel et est au cœur d'une compétition sans précédent. C'est un théâtre de confrontation avec ses enjeux propres, rappelle le général Michel Friedling, à la tête de ce Commandement de l'Espace. Pour assurer notre autonomie stratégique, il faut tirer le meilleur parti des outils industriels disponibles, y compris le New Space".
Les moyens sont là. Le Commandement de l'Espace bénéficie d'un vaste soutien politique, qui transcende les partis, et d'une Loi de programmation militaire conçue pour le renouvellement des moyens. Les 5,3 milliards d'euros qu'elle prévoyait pour les moyens spatiaux ont été augmentés de 700 millions d'euros décidés à l'issue de la revue spatiale. "Nous avons les moyens de nos ambitions, et nous avons déjà des résultats, assure le général Friedling. Nous avons signés les premiers contrats de service pour la surveillance de l'espace. Nous avons formé nos premiers opérateurs spatiaux. Nous aurons nos premières infrastructures à Toulouse en 2023 et premier centre de commandement en 2025".
La guerre de l'espace, la guerre du futur
L'industrie planche déjà sur des démonstrateurs pour la capacité d'intervention en orbite voleront dès 2023 et 2024. Sodern travaille ainsi sur des "capteurs d'intrus", qui détecteront les objets approchant des satellites Syracuse 4, basés sur sa technologie de viseurs d'étoiles, tandis que Hemeria étudie des petits satellites patrouilleurs Yoda, pour la protection rapprochée des gros satellites géostationnaires, à partir de son expérience sur le nanosatellite Angels. Pour Franck Poirrier, PDG de Sodern, "l'industrie est là pour servir la souveraineté et c'est pour cela qu'il faut inclure la politique industrielle dans notre réflexion autour de la maîtrise de l'espace".
Représentant des équipementiers au sein du Cospace, le Comité de concertation État-Industrie sur l'espace, Franck Poirrier pointe du doigt les épreuves subies par la chaîne de sous-traitance depuis un an. Paradoxalement, le succès de la ministérielle de l'ESA à Séville fin 2019 a été douloureusement vécu car le succès des maîtres d'œuvres français les a contraint à choisir des équipementiers étrangers pour respecter les règles de retour géographique. "Pour nous, le Covid est arrivé comme une seconde vague qui a mis à mal notre capacité d'autofinancement".
Plan de relance et AID au chevet des PME spatiales
Or un équipementier qui ne peut plus financer ses bureaux d'études risque de perdre ses marchés exports et c'est toute la filière qui est fragilisée. D'où la mise en place, avant même le plan de relance, d'un "plan équipementier", qui a déjà été avalisé par Airbus Defence & Space, Thales Alenia Space et les trois ministères de tutelle (Économie, Recherche et Armées).
L'Agence d'Innovation de la Défense (AID) est également là pour répondre au besoin. "Nous sommes une usine à accélérer les projets, avec un budget d'environ 1 milliard d'euros, explique son président Emmanuel Chiva. Nous sommes là pour piloter et orienter l'innovation de défense, mais également pour capter dans le civil les innovations pertinentes, car le monde spatial est éminemment dual". L'AID a ainsi créé un guichet unique pour les aides à l'innovation, afin de guider les entreprises dans la nébuleuse d'outils et de sources de financements. Un nouveau fonds d'innovation Definnov (200 millions d'euros) sera d'ailleurs bientôt annoncé dans les prochaines semaines.
Pour Philippe Gautier, PDG d'Hemeria, les 100 millions d'euros de financement pour la constellation duale Kineis, dérivée d'Angels, sont aussi la preuve que de l'argent peut être levé auprès d'investisseurs privés. Avec le Commandement de l'Espace et le tissu industriel qui s'y rattache, un nouveau modèle est en train de naître en France et fait déjà des émules, à l'image du UK Space Command dont Londres vient d'annoncer la création. Des partenariats internationaux sont aussi en train de se nouer, en Europe et dans les reste du monde.
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