
« La prochaine loi de programmation militaire (LPM) doit être l'occasion de procéder au changement de logiciel désormais nécessaire », estiment les sénateurs Cédric Perrin (LR) et Jean-Marc Todeschini (PS) dans un rapport sur les enseignements de la guerre d'Ukraine. Car, constatent-ils « la guerre d'Ukraine nous oblige à revenir à certaines réalités fondamentales que nous avons eu la chance de pouvoir oublier pendant quelques décennies ». La prochaine LPM 2024-2030 constituera donc « une étape importante de ce retour au réel », assurent-ils. Enfin, préviennent-ils, la France n'est pas l'Ukraine dans son environnement géostratégique ni dans ses moyens, comme l'avait d'ailleurs souligné en janvier à Mont-de-Marsan Emmanuel Macron dans ses vœux aux armées.
« Bien que fondamentale, la dissuasion nucléaire ne fournit pas de solution à tous les cas de figure. Elle ne doit pas être notre nouvelle ligne Maginot », soulignent les deux sénateurs.
Pourtant, selon Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini, alors que « certains de nos alliés - certes, les plus concernés par la menace russe - ont déjà relancé leurs acquisitions et augmenté substantiellement leurs efforts de défense, la France poursuit la trajectoire prévue par la loi de programmation militaire de 2018, dans un contexte géostratégique pourtant bouleversé ». Une critique vis-à-vis de l'actuel gouvernement qui n'a pas financé - ou alors à la marge - de nouveaux achats d'armements, en particulier des munitions et des missiles en dehors de ce que prévoit l'actuelle LPM. Clairement, ils affirment qu'« en reportant l'effort à la prochaine LPM, nous avons déjà perdu au moins un an ». En outre, soulignent-ils, la Revue nationale stratégique (RNS) « manque d'objectifs concrets » et « on y perçoit peu l'ambition et les choix stratégiques qui doivent en découler ».
Renforcer la masse
Les deux sénateurs estiment qu'il est « légitime de s'interroger sur la pertinence » des effectifs des armées (203.000 militaires et 41.000 réservistes en 2021) et des matériels militaires (254 avions de combat, 222 chars et 19 grands bâtiments de surface). Pour autant, la prochaine LPM ne prévoit pas de hausse significative du nombre de militaires. S'agissant des matériels, le rapport annexé de la LPM, qui est en cours de finalisation, donnera un aperçu concret de l'effort capacitaire de la France pour ses armées sur la période 2024-2030. « L'Ambition 2030, telle que fixée par l'actuelle LPM est-elle encore suffisante ? », s'interrogent-ils. Une ambition qui anticipait une nouvelle décroissance (200 chars et 225 avions de combat, dont 185 Rafale).
Ils préconisent également de renforcer les capacités terrestres compte tenu de l'attrition constatée pour la Russie (1.640 chars, 169 LRM, 317 canons automoteurs, 88 systèmes de défense sol-air, 69 avions, 75 hélicoptères, 169 drones et 12 navires). « Ces ordres de grandeur signifient que dans l'hypothèse - purement théorique - où la France serait confrontée à un conflit du même type, on peut dire approximativement que l'ensemble des chars français auraient été perdus à la fin du mois de mars, l'ensemble des VBCI au début du mois d'avril, l'ensemble de l'artillerie (Caesar + AUF1 + LRU) avant la fin avril et l'ensemble des 1.600 Griffon en août », avancent-ils. Pour autant, la prochaine LPM devrait réduire les ambitions de l'armée de terre, comme l'avait indiqué La Tribune avant le discours de Mont-de-Marsan d'Emmanuel Macron.
« Des stocks de munitions renforcés sont également nécessaires, qu'il s'agisse des munitions simples ou des munitions complexes, pour les trois armées », recommandent les deux sénateurs. Compte tenu du rôle de l'artillerie dans le conflit russo-ukrainien, ce ne serait pas du luxe. Ainsi pendant la deuxième phase du conflit l'artillerie russe a tiré environ 20.000 coups par jour et jusqu'à plus de 30.000. Côté ukrainien, c'est en moyenne 5.000 à 6.000 obus par jour et jusqu'à 20 000. En même temps, la France n'a commandé en 2022 que 5.000 obus de 155 millimètres et 8.000 charges modulaires propulsives par le ministère des armées.
Quels efforts capacitaires ?
La guerre d'Ukraine incite à renforcer rapidement les capacités en matière de drones et de munitions téléopérées. Le rapport regrette que « la France évolue lentement sur le sujet des drones armés ». Si le drone américain Reaper en service dans l'armée de l'air est armé, le ministère n'a pas lancé l'intégration d'une roquette guidée laser sous les ailes du Patroller de Safran. « Un socle de 1.800 MTO (munitions téléopérées, ndlr) serait proposé dans le cadre de la LPM », anticipent les deux sénateurs. Par ailleurs, ils dévoilent que les marchés Larinae et Colibri ont été attribués à des consortiums formés autour des industriels MBDA et Safran. En outre, la dronisation est un enjeu majeur dans le milieu maritime. « La dronisation est en particulier un démultiplicateur de forces dans le domaine naval, avec le développement d'engins autonomes évoluant tant en surface que dans l'espace aéromaritime et dans les fonds marins », font-ils observer.
En outre, ils appellent le ministère des Armées à faire un effort sur la défense sol-air et les moyens de lutte anti-drones ainsi que les moyens de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD). Il est vrai que l'armée de l'air ne dispose aujourd'hui que de 18 systèmes de défense sol-air (8 SAMP/T et 10 Crotale). Le ministère a récemment passé commande de missiles Aster. En outre, la lutte anti-drones représente un enjeu de sécurité crucial dans l'hypothèse d'un engagement majeur mais aussi à court terme dans la perspective des grands événements sportifs attendus dans les dix-huit prochains mois (Coupe du monde de rugby 2023 et Jeux Olympiques de Paris 2024).
Il apparaît aussi indispensable pour les deux sénateurs de renforcer les moyens sur les SEAD dans la perspective de conflits dans lesquels la supériorité aérienne de l'armée de l'air serait remise en cause. Cela suppose « le développement de moyens de frappe (de précision hypervéloces ou saturants) et des moyens de guerre électronique », estiment Cédric Perrin et Jean-Marc Todeshini.
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