
En dépit d'une loi de programmation militaire (LPM) de réparation prévue sur la période 2019/2025, les armées françaises présentent encore à ce jour un sérieux manque d'épaisseur, voire des lacunes capacitaires au regard du conflit russo-ukrainien. Un conflit qui n'a pas réellement révélé ces trous dans la raquette mais les a très fortement accentués. Résultat, les armées ont dû faire remonter ces dossiers, qui n'étaient pas jusqu'ici prioritaires avant l'invasion russe en Ukraine, en haut de la pile des achats urgents. Ces dossiers sont d'ailleurs très bien identifiés depuis plusieurs années par les armées.
« Il y a un certain nombre d'objectifs capacitaires à réaliser », a-t-on convenu dans l'entourage d'Emmanuel Macron. C'est notamment le cas des munitions (stocks d'obus, de missiles...), des munitions rôdeuses, des drones, des systèmes de défense sol-air et des missiles de croisière indispensables pour des frappes dans la profondeur. A côté de ces achats urgents, qui doivent être casés dans la nouvelle LPM, il existe des dépenses intangibles comme la dissuasion nucléaire que l'Élysée veut « robuste et crédible », et désormais la cyber, un domaine où l'État français souhaite disposer d'une résilience de premier rang.
Un retard incroyable dans les drones
« C'est vrai, il faut être lucide et ne pas se mentir. Nos armées, pour un certain nombre de raisons, ont tardé à prendre le virage des drones. Il y a plusieurs raisons qui sont du côté des armées, qui sont du côté de la DGA (Direction générale de l'armement, ndlr) et de l'industrie parce qu'on doit pouvoir plus vite s'adapter, évoluer et peut-être surmonter certaines préventions », rappelle-t-on à l'Élysée. Les armées se sont progressivement adaptées à cet outil capacitaire aujourd'hui indispensable sur un théâtre d'opérations, à l'image du conflit en Ukraine mais aussi au Haut-Karabagh, au Sahel... « Il est clair que le drone est un élément qui change la donne tactique », avait expliqué en juin 2022 dans une interview accordée à La Tribune le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Pierre Schill. L'armée de Terre disposera cette année d'une flotte de 3.000 drones. Soit une trame complète offrant à chaque niveau tactique - de la section au corps d'armée - un segment drone adapté à ses besoins.
« On a comblé le segment des drones tactiques et nos combattants, en particulier, à terre, nos forces spéciales disposent de drones. Mais effectivement, il faut qu'on aille plus loin », assure-t-on dans l'entourage du président.
Cette nouvelle LPM poursuivra donc l'effort sur les drones. Notamment dans le segment des MALE. « On a dans le domaine des drones de moyenne altitude et de longue autonomie, ce qu'on appelle « les drones MALE », une ambition forte », affirme-t-on à l'Élysée. La France, qui dispose déjà de plusieurs systèmes américains Reaper, développe et conçoit en partenariat avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne un nouveau drone MALE « Made in Europe », l'Eurodrone.
Défense sol-air, munitions rôdeuses
La défense sol-air est devenue un enjeu majeur pour la protection des combattants sur un théâtre d'opérations mais également pour les Français en métropole comme en outre-mer. « On doit faire un effort dans le domaine de la défense sol-air parce que la dissuasion ne nous met pas complètement à l'abri maintenant d'une attaque ponctuelle sur notre territoire parce que la dissémination des technologies drones de longue portée ou missiles balistiques fait que des organisations non étatiques peuvent se voir dotées de ces capacités et peuvent surprendre, le cas échéant, ou vouloir surprendre notre pays en reprenant des initiatives à l'encontre de nos concitoyens, y compris en métropole », fait-on valoir à l'Élysée.
La France ne dispose que de dix systèmes Mamba (le SAMP/T de MBDA et Thales), dont huit seulement seront rénovés (SAMP-T NG). C'est peu. Les nouveaux systèmes arriveront en 2027 avec trois ans de retard sur le planning initial. Pour autant le ministère des Armées, qui a fourni deux systèmes Crotale à l'Ukraine, pourrait rapidement s'offrir de nouveaux systèmes moins onéreux que les missiles Aster 30 (2 millions d'euros par exemplaire), qui arment le SAMP/T. Le système de défense aérienne terrestre et naval de courte portée, VL Mica, développé sur fonds propre par MBDA, pourrait faire l'objet d'une première commande par l'armée française. Par ailleurs, la défense sol-air basse couche (Mistral) de l'armée de terre doit faire l'objet de commandes en vue d'une modernisation.
« Il faudra bien sûr remplacer et augmenter nos moyens dans ce domaine-là. Donc ça pourra se faire de façon plus ou moins rapide si on dégage les ressources nécessaires et en temps utiles pour finalement augmenter nos capacités dans ce domaine » souligne-t-on à l'Elysée.
S'agissant des munitions rôdeuses ou téléopérées, la France va en acheter. « On doit développer celui des munitions téléopérées dont on a vu aussi bien dans le Caucase au moment de la confrontation entre Arménie et Azerbaïdjan qu'en Ukraine, leur rôle croissant ». Problème, les industriels français n'en produisent pas. D'où la volonté d'acheter sur étagère (à l'étranger). Le ministère des Armées a évalué « le Switchblade américain » fabriqué par la société américaine AeroVironment. Pour autant, note-t-on à l'Élysée, « beaucoup de petites entreprises sont porteuses de solutions et on ne doute pas effectivement que pour les munitions téléopérées, on puisse développer ces capacités-là ».
Enfin, les armées vont continuer à investir dans le domaine de la frappe dans la profondeur à investir. « On doit savoir porter des effets à distance, estime-t-on dans l'entourage du président. On doit engager évidemment nos combattants lorsque c'est nécessaire, mais engager d'autres moyens si finalement, il est possible de moins exposer ». MBDA devrait être mis le grill pour produire beaucoup plus vite les missiles de croisière SCALP (aérien) et MdCN (naval), qui a besoin d'environ quatre à cinq ans pour livrer de nouveaux missiles. C'est beaucoup trop. D'où la volonté d'Emmanuel Macron de lancer une loi de programmation militaire de transformation pour l'adapter au monde évolutif d'aujourd'hui.
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