L'annulation vendredi dernier par le géant de la location d'avions Avolon d'une commande de 75 Boeing 737 MAX et de quatre A330Neo, ainsi que le report lointain d'un certain nombre d'autres avions, ont fait frémir l'ensemble de la planète aéronautique. Pour de nombreux experts, en effet, cette annulation significative marque le point de départ d'une vague d'annulations et de reports de la part des sociétés de leasing, qui représentent 50% du carnet de commandes d'Airbus et de Boeing.
"Je ne serais pas surpris de voir d'autres grands loueurs d'avions prendre les mêmes décisions qu'Avolon", explique à La Tribune un banquier spécialisé dans le financement d'avions.
Reports de loyers contre extension de la durée de location
Et ce pour des raisons qui vont au-delà d'un simple mimétisme des comportements chez les loueurs d'avions ("quand Avolon bouge, par exemple, les autres comme Aer Cap bougent aussi et vice-versa", commente le même banquier). Car les sociétés de leasing d'avions se retrouvent sous pression. Relativement stable en temps normal, leur "business-model" de tampon entre les compagnies et les banques est mis sous tension avec le choc qui frappe l'aviation. Les loueurs d'avions sont en effet assaillis de demandes des compagnies aériennes pour reporter les loyers des avions, pour la plupart cloués au sol. Des reports d'échéances qu'ils acceptent pour préserver leur base de clientèle, en contrepartie le plus souvent d'une extension de la durée de location des avions. Ceci, alors que les loueurs doivent payer leurs propres échéances de prêts aux banques pour rembourser les sommes empruntées pour acheter les avions. Résultat, les sociétés de leasing se retrouvent dans la même situation que les compagnies aériennes : d'un côté, aucune recette ne rentre dans les caisses, de l'autre des frais (financiers pour le coup) sont maintenus. Le cocktail est explosif et les tensions sur le cash sont très fortes.
"Les sociétés de location d'avions ont encore moins de cash que les compagnies aériennes", estime Christian McCormick, directeur général d'Athyenia Finance, une société spécialisée dans le financement d'avions, en précisant que les lignes de crédit tirées récemment par certains loueurs ont été déjà bien utilisées.
Au sein d'un établissement bancaire, on nuance néanmoins le propos concernant les gros loueurs comme Gecas, Avolon, Aer Cap, Air Lease Corporation, BOC, CMBC.., lesquels , grâce aux lignes de crédit tirées, "disposent d'un matelas de cash leur permettant de tenir sans aucune recette pendant plus d'un an" pour les plus solides d'entre eux. Pour autant, "la priorité est à la préservation du cash", ajoute-t-on.
D'où la tentation d'annuler des commandes d'avions ou de reporter à plus tard des livraisons d'appareils. "C'est le levier activable pour les loueurs pour préserver leur cash", explique un autre expert.
Les besoins d'avions vont diminuer au cours des 5 prochaines années
Le risque est d'autant plus fort que la problématique de préservation du cash à court terme s'accompagne d'une problématique "marché". Au-delà de l'arrêt quasi-complet du transport aérien aujourd'hui, le pessimisme sur le dynamisme de la reprise du transport aérien remet évidemment en question les commandes d'avions. Non seulement en ce qui concerne les commandes qui avaient été passées pour répondre aux besoins de croissance des compagnies aériennes, mais aussi celles répondant aux besoins de renouvellement des flottes, en raison de l'extension de la durée des locations des avions acceptée en contrepartie du report des paiements des loyers. Selon, Marc Durance, partner chez Archery, un cabinet de consulting, "la demande d'avions neufs va diminuer diminuer de 40 à 60% au cours des cinq prochaines années". Selon lui, il faudra en effet trois ou quatre ans pour revenir au niveau de trafic observé avant la crise et une dizaine d'années pour récupérer le trafic qui aurait été probablement enregistré sans la crise du coronavirus.
Le B737 MAX vulnérable
Dans ce schéma, certains avions sont plus en risque que d'autres. Le B737 MAX notamment. "Comme la date-anniversaire de la suspension des vols de cet avion a été passée et que la production est également à l'arrêt, les facilités juridiques d'annulation des commandes sont plus faciles aujourd'hui du côté des MAX ", explique le même banquier. Même son de cloche chez Archery : "le MAX est plus vulnérable car les termes en matière d'annulation sont plus favorables", indique Marc Durance.
Les loueurs d'avions et les compagnies qui ont commandé directement à Boeing n'auront en effet probablement aucun état d'âme à annuler des commandes de MAX, d'autant plus avec l'incertitude du degré d'acceptation des passagers à voler sur un avion qui a été cloué au sol pour des raisons de sécurité.
Comme dans le transport aérien, la crise risque d'entraîner la disparition de petites sociétés de leasing et déboucher sur une consolidation. "Certains ne survivront pas", admet Christian McCormick.
Souvent rattachés à des institutions financières, les gros resteront. Ceux qui sont "affiliés" à des Etats, comme certains loueurs en Chine par exemple, aussi.
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