C'était inévitable. « Même si n'on abandonne rien, on priorise certains sujets », explique-t-on dans l'entourage du ministre. En dépit de l'effort inédit de 400 milliards d'euros de crédits budgétaires inscrits dans la loi de programmation militaire (LPM), le ministère des Armées a été contraint de faire des arbitrages. D'autant que l'inflation pèse pour 30 milliards dans cette nouvelle LPM. Pour faire tout rentrer dans la valise budgétaire, le ministère a utilisé une pratique budgétaire vieille comme le monde, l'étalement budgétaire pour certains programmes.
Ces arbitrages entraînent donc de facto une révision des livraisons de certains programmes. C'est le cas notamment pour Scorpion, et à un degré moindre, pour les frégates FDI ainsi que les livraisons de la tranche T5 du Rafale. D'autres programmes ont vu leur cible réduite, comme le système spatial Syracuse 4C, dont le troisième et dernier de la série passe à la trappe, voire l'A400M, dont la le nombre d'appareils livrés reste encore incertain (« au moins 35 »).
Révision des échéanciers de livraison et des cibles
Le renouvellement de la composante blindée de l'armée de Terre (Scorpion) est semble-t-il le programme le plus touché par un nouvel échéancier de livraisons qui va décaler la mise en service de plusieurs centaines de blindés au-delà de 2030 : « une centaine de Jaguar » sur les 300 initialement prévus en 2030 et « quelques centaines » pour chacun des véhicules blindés Griffon (sur les 1.872 prévus en 2030) et Serval (sur les 978 en 2030). Pour autant, « les cibles sont inchangées mais des révisions de cadencement seront discutées avec l'armée de Terre », explique-t-on au ministère. En contrepartie, le ministère va prolonger la vie des VAB Ultima ainsi que des AMX-10RC, qui « sont encore très efficaces » et dont quelques dizaines d'exemplaires vont être livrés à l'Ukraine.
Les livraisons de 42 avions de combat Rafale de la tranche 5, qui devaient être livrés entre 2027 et 2030, sont finalement étirées jusqu'à 2032. « Cet été, on devrait commander, conformément au projet de loi de finances 2023, 42 machines qui seront livrées d'ici à 2032 », précise-t-on dans l'entourage du ministre. En 2030, l'armée de l'Air disposera de 137 Rafale contre une cible initiale de 185. La conversion de la flotte de l'armée de l'air en « tout Rafale » sera quant à elle accélérée et terminée à l'horizon 2035. Enfin, la Marine ne pourra compter en 2030 que sur trois des cinq frégates de défense et d'intervention (FDI).
Les livraisons d'avions de transport A400M, essentiels pour déployer des moyens jusque dans la zone Pacifique, seront accélérées, passant de 20 appareils actuellement à 35 en 2030, mais l'objectif final de 50 appareils reste en discussion. « Les discussions sont en cours avec Airbus pour voir quel cadencement on va donner à ces machines », explique-t-on au ministère. Ces discussions intègrent également l'Espagne où est assemblé l'A400M (Séville). Autre élément du dossier A400M : le programme qui va succéder au Transall, l'avion de transport militaire mythique retiré du service en 2022 dans l'armée française. « Le mix est encore à définir » à l'horizon 2030. Par ailleurs, il n'y aura pas de troisième satellite de communications militaires Syracuse 4C abandonné au profit de la constellation IRIS², dont les contours restent à définir.
Des efforts sanctuarisés
Sont en revanche préservés les programmes liés à la dissuasion nucléaire, gros poste de dépenses. Les deux composantes seront modernisées dans une logique de stricte suffisance. Le calendrier du porte-avions de nouvelle génération (PANG) permettra de faire la jonction avec le Charles de Gaulle à l'horizon 2037/2038. Dans le domaine spatial, la France financera les études de la prochaine génération de satellites Celeste de renseignement d'origine électromagnétique et des futurs satellites espions Iris, qui vont succéder aux satellites CSO. Le ministère lance également un tout nouveau programme, EGIDE qui va succéder au démonstrateur Yoda, deux satellites patrouilleurs destinés à protéger les satellites français dans l'espace. Six milliards d'euros seront consacrés au renforcement des capacités spatiales françaises.
Entre 2024 et 2030, cinq milliards d'euros seront consacrés par la France au renseignement et à la contre-ingérence avec notamment l'arrivée dans la flotte de l'Armée de l'air de trois avions de renseignement à charge utile de nouvelle génération (Archange) au terme de la future LPM. Paris consacrera également deux milliards d'euros au profit des forces spéciales sur toute la durée de la LPM. Elles disposeront de nouvelles capacités comme des avions de transports modernisés, des hélicoptères Caïman FS, des drones plus endurants, une gamme de véhicules renouvelée et des moyens d'action de surface et sous-marins de nouvelle génération. Enfin quatre milliards d'euros seront investis dans la cyberdéfense par Sébastien Lecornu.
Munitions : la nouvelle priorité
Enfin, le ministère des Armées va faire un gros effort sur les munitions, qui ont été longtemps la variable d'ajustement des armées. A commencer par la défense sol-air avec la modernisation des systèmes de missiles antiaérien et antimissile (8 SAMP-T NG), le renouvellement des systèmes d'armes assurant la défense à courte et moyenne portée 9 VL MICA et e 24 Serval Mistral) et un investissement dans la lutte anti-drones. C'est cinq milliards d'euros qui vont être investis dans le renforcement de la défense sol-air.
Par ailleurs, les prochaines années vont permettre aux trois armées de re-compléter leurs stocks de munitions en tout genre. La LPM favorisera également une transition nécessaire vers de futures capacités : feux dans la profondeur comme le canon Caesar NG, portée accrue et autodirecteur amélioré ou encore munitions télé-opérées. Parmi les objectifs de la future LPM, la modernisation des missiles longue portée anti-navire, les capacités Suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD), les missiles de croisière, les missiles surface-air et air-air (familles Aster, MICA et Meteor) ainsi que les torpilles lourdes F21 et la trame anti-char (ACCP, MMP). Au total, les armées pourront dépenser 16 milliards d'euros pour acquérir des munitions sur la période 2024-2030.
Sujets les + commentés