Hausse des cadences : Safran et Airbus ont "un accord de principe" (Philippe Petitcolin, Safran)

Impact environnemental, problèmes du B737 MAX, montée en cadence de l’A320neo, projet SCAF… Dans la foulée du salon du Bourget, le dirigeant de Safran fait un tour d’horizon de l’actualité aéronautique civile et militaire.
Selon Philippe Petitcolin, pour réduire les émissions de moitié d’ici à 2050, la performance énergétique de chaque avion doit être améliorée de 90 %.
Selon Philippe Petitcolin, pour réduire les émissions de moitié d’ici à 2050, la performance énergétique de chaque avion doit être améliorée de 90 %. (Crédits : R. Meigneux / SIPA)

LA TRIBUNE - La question environnementale a occupé une place centrale au salon du Bourget qui a fermé ses portes dimanche dernier. Quel regard portez-vous sur la mobilisation des industriels de l'aéronautique pour aller vers une aviation décarbonée ?
PHILIPPE PETITCOLIN - Il faut continuer à travailler pour tenir les objectifs fixés par l'Organisation internationale de l'aviation civile (OACI) et de l'Association internationale du transport aérien (Iata) qui visent à stabiliser les émissions de CO2 du transport aérien entre 2020 et 2025 puis de les diminuer pour arriver en 2050 à une réduction de moitié des émissions par rapport à 2005. Cet objectif est extrêmement ambitieux. Car pour réduire les émissions de 50 %, alors que le trafic est appelé à doubler tous les quinze ans environ, il faut que la performance énergétique de chaque avion soit améliorée de 90 % ! L'amélioration des seuls moteurs ne suffira pas. Il faudra également travailler sur les architectures des avions, sur les énergies alternatives, comme l'électrique, sur les biocarburants de type hydrogène, méthane, sur les trajectoires des avions avec les descentes en palier par exemple..., il y a énormément de choses à faire si nous voulons atteindre cet objectif. Nous avons devant nous un spectre de bonnes idées, certaines en rupture, d'autres en continuation, qui n'a jamais été aussi large.

L'un des plus gros enjeux dans la lutte contre les émissions de CO2 sera la succession des avions court et moyen-courriers, les A320neo et les Boeing 737 MAX qui constituent 70 % des ventes d'avions de plus de 100 places. Quelle amélioration de la performance énergétique visez-vous pour ces appareils ?
Il est trop tôt pour s'avancer. Tout dépendra de la date à laquelle ces futurs appareils arriveront sur le marché. Les technologies progressent tellement vite que les gains ne seront pas les mêmes si ces avions voient le jour vers 2028-2030 ou vers 2035-2037. L'évolution du prix du pétrole aura également une incidence. Chez Safran, nous travaillons sur toutes les technologies pour être en mesure de les amener à un niveau de maturité suffisant afin de pouvoir les proposer aux clients le jour où elles seront prêtes. Nous savons travailler à une certaine vitesse. Nous allons augmenter d'ici à 2022 nos investissements dans l'innovation à 600 millions d'euros par an contre 400 à 500 millions aujourd'hui. Nos investissements de recherche et technologie augmentent de manière continue. Nous ne pouvons pas aller beaucoup plus vite car à un moment nous serons face à un manque d'expertise. 75 % de nos budgets de R&T concernent directement ou indirectement des projets qui réduisent l'impact environnemental des avions.

Les industriels américains ont-ils la même approche ?
Ils travaillent à améliorer de manière continue leurs produits actuels mais ils investissent en parallèle dans des startups qui travaillent sur des concepts en rupture complète. J'imagine bien qu'à un moment tout cela va s'agréger et donner naissance à un avion compétitif. C'est clé, et nous ne savons pas le faire aussi bien en Europe.

Voyez-vous les avionneurs reprendre une activité de motoriste ?
Nous entrons dans un changement culturel au niveau de notre environnement. Des consolidations, des regroupements, des changements de business model peuvent arriver.

Safran a engrangé une moisson de contrats au salon du Bourget. Quels enseignements tirez-vous sur l'état du marché ?
Ce fut effectivement un très bon salon en termes de prises de commandes. La valeur des contrats signés par CFM International, la filiale que nous co-détenons à 50-50 avec GE pour la fabrication des moteurs LEAP qui équipent une partie des Airbus A320neo et tous les Boeing 737 MAX, s'élève à plus de 50 milliards de dollars au prix catalogue. C'est supérieur à ce que nous avions prévu avant le salon. Nous n'étions notamment pas certains de trouver un accord avec la compagnie aérienne indienne IndiGo Airlines, et au final, IndiGo a commandé des moteurs pour équiper 280 Airbus A320neo. Cette commande est importante à double titre. Tout d'abord par son volume puisqu'elle représente plus de 600 moteurs en incluant les moteurs de rechange. Et aussi parce qu'elle montre à la concurrence que le moteur LEAP est au meilleur niveau en termes de qualité et de fiabilité. [IndiGo avait jusqu'ici choisi les moteurs de l'américain Pratt & Whitney, ndlr]. Ces prises de commandes traduisent le dynamisme du marché. Il y a toujours une forte demande pour les avions court et moyen-courriers. Le marché manque même d'avions par rapport à la demande. Les taux d'occupation des avions sont supérieurs à 80 %.

Estimez-vous que votre concurrent Pratt & Whitney va rapidement sortir de ses difficultés ?
Ils retravaillent sur un moteur amélioré, qui est supposé mettre derrière eux la majorité de leurs   problèmes de jeunesse. Je n'en sais pas plus.

Le Boeing 737 MAX est cloué au sol depuis le 10  mars à la suite de deux accidents mortels et les livraisons d'avions sont suspendues. Quelles sont les conséquences pour Safran ?
CFM International continue de livrer des moteurs à Boeing. Mais la production est inférieure à ce qui était prévu en début d'année. Nous devions augmenter le rythme de production pour livrer 30 moteurs par semaine à Boeing. Nous avons atteint ce niveau pendant quelques semaines, ce qui nous a permis de rattraper nos quatre semaines de retard. Aujourd'hui, nous livrons 20 à 25 moteurs par semaine en lien avec la baisse de la production du 737 MAX, à 42 avions par mois décidée en mai.

Vous aviez prévu en début d'année de livrer 1 .800 moteurs. Pensez-vous tenir cet objectif ?
Le nombre de moteurs livrés sur l'année dépendra de la reprise des vols du 737 MAX. C'est indéniable que cela va jouer, mais nous ne devrions pas être très loin de notre objectif, un peu au-dessus ou en dessous. L'objectif de 1 800 livraisons reste d'actualité.

Quelle date de remise en service du 737 MAX prévoyez-vous pour tenir ces objectifs ?
Je n'ai aucune information sur le sujet. Je pense que l'avion reprendra ses vols commerciaux avant fin août. Mais c'est un avis personnel, qui n'engage que moi.

Au moment de la reprise du 737 MAX, craignez-vous un boycott de l'avion par les passagers ?
Je ne pense pas. Le 737 MAX est un très bon avion. Ce que je crains le plus, pour être honnête, c'est la médiatisation de petits problèmes qui arrivent régulièrement sur les avions sans que personne n'y prête attention, mais qui, pour le 737 MAX pourrait prendre des proportions totalement démesurées.

Avant l'accident du 737 MAX, Boeing planchait sur un « New Midsize Aircraft » ou « NMA », un avion doté d'un rayon d'action de 5. 000 miles nautiques (9 .260 kilomètres) pour occuper le marché des avions de 220 à 280-300 sièges environ. La crise du 737 MAX et le lancement par Airbus d'un avion, l'A321XLR, sur ce marché remettent-ils en cause ce projet selon vous ?
La priorité numéro un de Boeing, c'est la remise en vol du 737 MAX, même si je pense que les travaux de pré-développement du « NMA » continuent. En tant que motoriste potentiel sur ce programme, il est clair que nous avons un peu moins de pression qu'en début d'année. La pré-sélection du moteur aurait déjà dû avoir eu lieu. Elle a été retardée et tout le monde comprend pourquoi.

En début d'année, alors qu'Airbus nourrissait l'ambition de produire jusqu'à 70 appareils, contre 60 aujourd'hui et 63 en 2021, vous aviez dit que vous aviez moins de pression pour augmenter les cadences de production. Est-ce toujours le cas ?
Ce n'est pas à moi d'en parler, mais à l'avionneur. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons trouvé un accord de principe pour aider nos clients à continuer d'augmenter leurs cadences.

Après l'accident en mai, à Moscou, d'un Sukhoï Superjet 100, pensez-vous que ce programme sur lequel Safran est le motoriste avec le groupe russe NPO Saturn est fini ?
Il n'est pas fini, parce que les Russes le font vivre.

Mais après ce nouvel accident ?
On ne sait pas trop. Ce programme n'a pas eu à ce jour le succès qui était espéré à l'origine.

Sur l'A400M, avez-vous mis tous les problèmes de moteur dans le rétroviseur ?
Nous avons réglé les problèmes de la « gear box ». La solution est industrialisée. Mais il reste aujourd'hui des moteurs en service qui ne sont pas encore à ce dernier standard. Notre objectif est de mettre rapidement tous les moteurs de la flotte A400M à niveau. C'est notre priorité.

Avez-vous également réglé tous les problèmes sur le réacteur Silvercrest, notamment le compresseur haute pression ?
Nous avons redéfini le compresseur haute pression, qui remplit maintenant la fonction telle qu'imaginée au départ. Il est au niveau. Cela me fait plaisir car nous sommes à l'objectif. En revanche, il reste encore beaucoup de travail à réaliser sur le programme. Nous avons encore des tas d'améliorations à aller chercher, nous n'en sommes pas encore sortis. Ce programme, qui a un client qui n'est pas pressé [Textron n'a pas encore lancé son appareil, Ndlr], prend beaucoup de temps. Nous avons toujours une Letter of Intent de la part de Textron. Mais ce qui m'intéresse dans le programme Silvercrest, c'est la R&D. C'est un programme qui a une composante R&D me permettant de maintenir ou d'améliorer mon expertise technique et technologique. Et ça c'est très important pour moi. Les progrès sont bons au niveau technique, mais est-ce que ce sera un grand succès commercial ? Je n'en sais rien, c'est beaucoup trop tôt.

Êtes-vous convaincu d'avoir le savoir-faire et les hommes pour développer ce moteur ?
J'ai les hommes et les technologies pour développer des moteurs. Quand je regarde notre feuille de route technologique, j'ai besoin de faire des moteurs de A à Z. Je veux être un motoriste à part entière. Ce ne sont pas que des mots. Nous développons 50% du moteur LEAP après avoir développé 50% du CFM56. Cela génère de très bonnes compétences sur les 50% que l'on développe, mais aussi un déficit potentiel sur les 50% que l'on ne développe pas. Si Safran n'a pas de démonstrateur à développer, nous ne pouvons travailler que sur du papier. C'est toute la différence, et c'est ce que nous a apporté le fait de réaliser le système de compression du Silvercrest. On peut faire des mauvais choix ou faire des impasses. Ce qui est clé, c'est d'avoir à l'avenir des démonstrateurs, de pouvoir développer des moteurs de A à Z. Safran doit maintenir cette expertise de motoriste à part entière.

Pour Safran, développer le Silvercrest vous donne-t-il une légitimité pour développer le moteur du SCAF, l'avion de combat de la nouvelle génération ?
Oui, il existe des communalités, mais on est avec le SCAF dans une autre dimension.

Quel est le problème entre la partie étatique et la partie industrielle sur l'accord signé avec le motoriste allemand MTU ?
Nous avons signé un accord équilibré avec le motoriste MTU.

Mais on a l'impression que les Français souhaitent que les motoristes se coulent dans le moule d'un chef de file et d'un partenaire principal...
C'est la règle prise pour l'ensemble du programme. Est-ce que les moteurs peuvent rentrer dans ce cadre générique comme les systèmes, comme l'avion, ou pas ? Moi, j'y suis favorable. Je ne vois pas pourquoi les moteurs n'en feraient pas partie.

Mais pourtant cela frotte en Allemagne ?
C'est plus du domaine de l'appréciation, de la forme, cela ne change rien au niveau du partage entre MTU et nous. Nous espérons trouver rapidement une solution.

Qu'apporte le programme SCAF à Safran ?
Nous sommes très contents qu'il y ait un projet et cette phase de pré-développement, et que l'on puisse commencer à travailler sur un premier démonstrateur aux environs de 2026. Nous sommes totalement impliqués dans ce programme. Safran le prend avec le sérieux et l'expertise nécessaire pour en faire un succès. Nous ferons tout pour être à la hauteur. Ce programme est important pour Safran, car ce sont des technologies, des expertises, des matériaux nouveaux. Clairement tout ce dont Safran a besoin pour rester dans la course et être un motoriste à part entière.

Dans le domaine de l'espace, il y a semble-t-il une difficulté à aligner les pouvoirs publics et les industriels sur une ambition lors de la prochaine conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne en novembre. Que souhaite Safran ?
J'espère que chacun fera l'effort nécessaire pour rendre l'équation positive à la sortie, et faire en sorte que les engagements, qui ont été les nôtres en 2014 lorsque ArianeGroup a été créé, seront tenus. De notre côté, nous tiendrons les objectifs de 2014. Safran a investi, nous avons respecté nos engagements. On espère que tout le monde pourra respecter les siens.

Avez-vous des inquiétudes sur la pérennité du site de Vernon ?
On ne va pas tirer les conséquences de la ministérielle du mois de novembre aujourd'hui. Le site n'est pas à risque. En revanche, je ne peux pas garantir que l'ensemble des emplois pourra être maintenu, dès lors qu'il y a chez ArianeGroup un plan de suppression de plus de 2 000 emplois.

Votre mandat se termine l'année prochaine, comment voyez-vous la suite à la tête de Safran ?
C'est au conseil d'administration de décider de la suite, je n'ai pas à m'exprimer sur le sujet.

Cette interview a été publiée le vendredi 28 juin dans notre hebdomadaire

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2019 à 19:22
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Pour avoir travaillé 36 années dans le groupe SAFRAN, un paramètre important dans la réduction des émissions (principalement le CO2) est la recherche de la diminution de la consommation spécifique des turboréacteurs. A ce jour, ce domaine est resté q...

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