Le retrait du service anticipé dès 2022 des deux Transall C-160 Gabriel, dédiés au renseignement d'origine électromagnétique, pose "problème", avait estimé début mai l'ancien Délégué général pour l'armement Joël Barre lors d'une audition au Sénat. Connue depuis plusieurs mois, ce trou capacitaire est complètement assumé par l'armée de l'air. Le numéro deux de l'armée de l'air, le général Frédéric Parisot le rappelle dans une audition récente à l'Assemblée nationale. « Je suis le responsable de l'arrêt des Transall Gabriel et je l'assume : dix Transall nous coûtaient plus de 80 millions d'euros par an, pour une disponibilité de 20 %. Plutôt que de faire des coupes ailleurs, j'ai choisi de les retirer du service », explique-t-il. C'est clair, net, précis et sans langue de bois. Il est vrai aussi que les Transall ont été acquis par la France à partir de 1967, il y a 55 ans...
Choix contraints, budgets non extensibles
Cette décision de retirer les deux Transall C-160 Gabriel est la conséquence de choix contraints effectués habituellement par les armées. En dépit d'une réelle remontée en puissance depuis 2017, les chefs d'état-majors actuels (Terre, Air et Mer) doivent faire face à des lacunes capacitaires programmées par leurs prédécesseurs, ou en prévoir de nouvelles faute de budget suffisant. La France n'a pas la capacité de tout financer et surtout très rapidement, à l'exception de quelques urgences opérationnelles détectées dans le cadre d'opérations extérieures (OPEX), qui pourraient générer d'éventuelles répercussions politiques.
Les armées doivent donc étaler leurs investissement pour faire entrer "l'édredon" de leurs besoins capacitaires dans une valise budgétaire contrainte. D'où ce modèle d'armée complet mais « échantillonnaire ». C'est le cas avec les deux Transall C-160 Gabriel, qui étaient pourtant une des capacités opérationnelles cruciales de la France pour les OPEX. Une capacité qui permet également de discuter avec les Etats-Unis. Ces moyens contribuent aux missions de renseignement de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE).
C'est d'ailleurs très clairement expliqué par le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Stéphane Mille dans son audition devant les sénateurs de la commission des affaires étrangères et de la défense en octobre 2021 à propos du retrait des deux Transall C-160 Gabriel. « On a fait des efforts dans le cadre de la construction du projet de loi de finances (PLF) pour réaliser des économies là où c'était possible et financer ainsi une amélioration de disponibilité et des rééquipements du Rafale », a-t-il confirmé. Pourquoi ce choix ? Pour « préserver un socle indispensable à l'activité organique Rafale », a expliqué en octobre à l'Assemblée nationale le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace. Et, ainsi, les deux Transall C-160 Gabriel seront retirés du service plus tôt que prévu, dès 2022. Ce retrait des C-160 Gabriel est raisonnable au regard des coûts insupportables de MCO (Maintien en condition opérationnel, ndlr) que nécessite une flotte « échantillonnaire ».
« On savait qu'il faudrait faire face à un trou capacitaire entre la fin de service des C-160 et la livraison de son successeur, l'Archange (Avion de renseignement à charge utile de nouvelle génération) », qui doit être mis en service en 2026, a expliqué le général Stéphane Mille.
Comment les armées vont surmonter ce trou capacitaire
Selon le major général de l'armée de l'air, le général Frédéric Parisot, les capacités des deux Transall C-160 « sont couvertes en partie » par la nacelle ASTAC (Thales), qui a pour mission d'assurer le suivi de l'environnement électromagnétique et la reconnaissance électronique tactique d'une zone d'opérations, les quatre AWACS de l'armée de l'air et l'ALSR (Avion Léger de Surveillance et de Reconnaissance). La Loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit un parc de huit appareils ALSR en service dans l'Armée de l'air à l'horizon 2030. Le patron de l'armée de l'air avait expliqué en octobre 2021 au Sénat qu'il était « plus rationnel d'augmenter la durée de latence entre le C-160 Gabriel et l'Archange, dans la mesure où la capacité de renseignement sera en partie délivrée dans l'intervalle par les ALSR, le Reaper, le satellite CERES qui sera lancé en 2022, les missions ASTAC ». Ce qui rend la France en partie dépendante de systèmes américains (drones Reaper, avions ALSR).
Le programme CERES, une constellation de trois satellites ayant des capacités de renseignement électromagnétique spatiale, permet à l'armée de l'air de disposer très régulièrement de données, les satellites passant toutes les heures et demie au-dessus du même point. Il s'agit du premier système satellitaire de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) en Europe. Le système est actuellement en phase de mise en service, les premières données ayant été transmises à l'occasion de la crise ukrainienne. « Il sera mature à la fin de l'été », estime le général Frédéric Parisot. Par ailleurs, le Délégué général pour l'armement a assuré en mai dernier pour compenser le retrait anticipé des Transall C-160 Gabriel et le retard du programme Archange que la DGA avait « accéléré le déploiement des ALSR », une plateforme développée par Beechcraft (Raytheon).
En outre, l'armée de l'air a lancé un appel d'offres afin de disposer d'une capacité intérimaire. Il s'agirait d'un avion de type Saab 340, bimoteur turbopropulseur, afin de réaliser des missions de sept à huit heures. « Ses capteurs de toute nouvelle génération nous donneront une capacité intérimaire très intéressante. Sa location nous permettra d'en changer rapidement auprès du prestataire si des capteurs de meilleure qualité arrivent sur le marché, ce qui est très important », précise-t-il. Par ailleurs, le Reaper Block 5 disposera "bientôt d'un pod de reconnaissance électromagnétique qui permettra de compléter notre panoplie", constate-t-il.
Enfin, l'armée de l'air s'est également attachée au maintien du savoir-faire des équipes. Certains personnels de l'armée de l'air ont été mutés sur ALSR, « ce qui nous permet de bénéficier de leurs compétences en matière de Communications Intelligence (COMINT) - d'écoute des radios et des téléphones », fait valoir le major général. D'autres, qui se comptent sur les doigts des deux mains, ont été affectés au centre d'expertise aérienne militaire (CEAM) au sein de l'équipe de marque Archange afin de « faire le tuilage avec Archange, machine redoutable, lors de sa mise en service en 2026 ». Pour autant, les besoins en ressources humaines dans ce domaine seront multipliés par quatre, compte-tenu du développement des drones, des ALSR et du remplacement des Transall Gabriel par Archange. Pour satisfaire ce besoin, le périmètre de recrutement a été élargi et est ouvert à des militaires du rang techniciens de l'air.
Retard du programme Archange
Le programme Archange (Avion de Renseignement à CHArge utile de Nouvelle GEnération) repose sur trois Falcon 8X de Dassault Aviation équipés d'une Capacité universelle de guerre électronique (CUGE) développée par Thales. La commande des deux premiers appareils a été notifiée le 30 décembre 2019. Conformément à la LPM 2019-2025, trois systèmes remplaceront les deux Transall C-160 Gabriel. Une plateforme d'entraînement au sol dont le déploiement est prévu sur la base aérienne d'Évreux complètera le dispositif. La LPM prévoyait la livraison à l'armée de l'Air d'un premier système Archange à partir de 2025. Mais le programme a pris du retard.
"Le successeur du C-160 Gabriel, le système Archange, est attendu en 2026 au mieux", a averti en octobre 2021 lors d'une audition à l'Assemblée nationale, le général Stéphane Mille. Ce qu'avait confirmé vaguement début mai au Sénat Joël Barre : "le déploiement, en remplacement, de l'Archange prendra un certain temps. Nous sommes en train d'assurer le démarrage de la réalisation de cet avion".
Le niveau de performances attendu des Falcon Archange nécessite un travail d'intégration très poussé au cœur des savoir-faire de Dassault Aviation et de Thales. Pour autant, la DGA a eu certaines inquiétudes en début d'année sur le développement de cet avion alourdi par rapport à la cellule civile. A tel point que la DGA s'est interrogée sur les capacités de Dassault Aviation à développer cet avion, selon nos informations. Mais l'avionneur a réussi à surmonter toutes les difficultés de développement. En version avion d'affaires, ce tri-réacteur peut transporter jusqu'à huit passagers et trois membres d'équipage sur une distance de 12.000 km.
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