L'évolution rapide du secteur spatial au cours des dernières années est venue menacer les acquis industriels et stratégiques de l'Europe sur Terre et sur orbite. Le secteur des lanceurs est confronté à la concurrence très agressive d'acteurs privés, celui des télécommunications à l'essor des constellations qui ont amené un doublement du nombre de satellites sur orbite basse. Les stations spatiales habitées sont appelées à se multiplier et les grandes puissances visent la Lune et Mars.
« L'Europe mène dans de nombreux domaines (observation, navigation, sciences) mais nous sommes confrontés à une concurrence très agressive sur des domaines où nous étions leaders, comme les lanceurs ou les télécommunications, reconnaît Josef Aschbacher, directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA). Nous avons nos forces et nos faiblesses, nous devons nous assurer que les premières contrebalancent les secondes ».
Pour Philippe Baptiste, le nouveau président du CNES, « il faut une volonté politique qui se traduise par des investissements et une appétence à l'innovation pour toujours se projeter en avant vers les ruptures technologiques qui définiront les marchés commerciaux de demain ».
L'Europe reste dans la course
L'Europe ce n'est pas les États-Unis d'Europe rappelle Jean-Marc Nasr, président d'Airbus Space Systems, or pour la souveraineté, il faut une volonté politique forte et une gouvernance « aussi commune que possible » entre les partenaires pour l'exprimer. « Car cette souveraineté a un coût, sur le temps long. La France a investi pendant 40 ans pour y parvenir », rappelle-t-il. L'accord signé entre l'ESA et la nouvelle agence spatiale de la Commission européenne, l'Euspa, va dans la bonne direction. « Le rôle des agences est d'organiser cette gouvernance, pour que l'industrie reste au meilleur niveau », souligne le patron des activités spatiales chez Airbus.
Point de vue partagé par Hervé Derrey, PDG de Thales Alenia Space, pour qui la souveraineté européenne - sa capacité à assurer ses missions - passe par un accès aux technologies stratégiques, comme celles des semi-conducteurs, dont Thierry Breton a fait un de ses chevaux de bataille, un soutien à la R&D (Recherche et Développement), et des grands programmes. « Nous n'avons pas à rougir en termes de compétence face aux Américains, nous l'avons prouvé en remportant des appels d'offres internationaux », fait-il valoir.
Ainsi, la constellation quantique multi-orbite proposée par le commissaire européen, avec ses défis technologiques et stratégiques, notamment pour la résilience, apparaît comme une réplique nécessaire à ce qui se profile outre-Atlantique avec le partenariat de SpaceX et Microsoft. Une plus grande implication des financements privés, aux côtés des budgets publics, est également nécessaire, si l'on veut rester compétitif, estime André Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup. La disponibilité et la compétitivité des lanceurs est évidemment cruciale pour tous les projets, d'où l'effort mis actuellement sur Ariane 6 et Vega C, pour qu'ils soient opérationnels au plus tôt, et sur les initiatives de nouvelles technologies, dont le moteur Prometheus, qui permettra de réduire les coûts et d'ouvrir la voie à la réutilisation.
Quelle place pour l'Europe dans l'exploration spatiale ?
Au-delà des coopérations internationales dont l'Europe s'est fait une spécialité, la question d'une autonomie européenne dans les vols habités - activité motrice chez les autres puissances spatiales - est récemment revenue sur le devant de la scène. L'industrie est prête et y voit un moyen de préserver les compétences acquises et les transmettre aux nouvelles générations d'ingénieurs. Josef Aschbacher est également enthousiaste sur la question, mais le réalisme des arbitrages budgétaires est toujours là, comme le rappelle Philippe Baptiste : « Il faut que les États se prononcent sur leurs ambitions et n'oublient pas les autres priorités, comme Copernicus ».
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