Alimentation : pas de « hausses de prix injustifiées » des industriels, selon le Sénat

L'essentiel des augmentations demandées aux distributeurs par leurs fournisseurs dépend bien de la hausse de leurs coûts de production, conclut un rapport publié mardi par la chambre basse du Parlement. Mais les renégociations commerciales restent très tendues.
Giulietta Gamberini
D'après les représentants des fournisseurs, plusieurs d'entre eux refuseront purement et simplement de produire et d'approvisionner les distributeurs si les hausses de tarif demandées ne sont pas acceptées, car la situation actuelle les rendrait quotidiennement déficitaires, craint le Sénat.
"D'après les représentants des fournisseurs, plusieurs d'entre eux refuseront purement et simplement de produire et d'approvisionner les distributeurs si les hausses de tarif demandées ne sont pas acceptées, car la situation actuelle les rendrait quotidiennement déficitaires", craint le Sénat. (Crédits : Reuters)

Les soupçons soulevés par Michel-Edouard Leclerc à propos des augmentations des tarifs, requises par les fournisseurs aux distributeurs, ne sont pas fondés. C'est la conclusion à laquelle parvient la commission des Affaires économiques du Sénat, qui mardi 19 juillet a déposé un rapport d'information sur les relations commerciales. Le 30 juin, sur BFMTV et RMC, le président du comité stratégique des centres E. Leclerc avait estimé que « beaucoup des hausses demandées sont des hausses d'anticipation, voire de spéculation », et avait appelé le Parlement à se saisir du sujet.

« Il ne semble pas y avoir de phénomène massif de 'hausses suspectes', comme avancé dans le débat public, c'est-à-dire des tentatives généralisées de la part des industriels de profiter d'un effet d'aubaine. Aucun acteur entendu, pas même les distributeurs ayant fait part de leurs doutes, n'a été finalement en mesure de prouver le contraire », répond finalement l'institution, après avoir mené plusieurs auditions.

Une flambée des coûts de production

Au contraire, « les sénateurs ont constaté, lors de leurs travaux sur les négociations commerciales, que l'essentiel des augmentations demandées était bien en lien avec la hausse des coûts de production », écrivent-ils

A cause, tout d'abord, de la reprise économique post-Covid, puis d'aléas climatiques et enfin de la guerre en Ukraine, les prix des matières premières agricoles, comme industrielles, se sont en effet envolés depuis 2021, rappelle la commission. L'augmentation moyenne de 3% de leurs tarifs, obtenue par les industriels vis-à-vis des distributeurs dans le cadre des négociations commerciales annuelles sur les grandes marques, qui se sont conclues le 1er mars, s'est donc très vite révélée insuffisante. Non seulement, elle couvrait dès le départ la seule hausse des prix des matières premières agricoles, consacrés par la loi Egalim 2 de 2021, qui a rendus ces derniers non négociables. Aussi, elle est devenue très rapidement caduque, à cause de la flambée incessante de l'inflation.

Lire: Avec l'Ukraine, l'accord sur les prix alimentaires est mort-né : les négociations doivent reprendre, dit le gouvernement

Les industriels se sont donc retrouvés confrontés à « deux choix », reconnaît le Sénat : tenter de répercuter les hausses de leurs coûts sur leurs tarifs auprès de la grande distribution, ou rogner « considérablement leurs marges, déjà malmenées par neuf ans de déflation des prix alimentaires ». Or les renégociations encouragées par le gouvernement dès le 1er mars, toujours en cours « sur plus d'un millier de produits de grande consommation », se déroulent à « un niveau de tension rarement atteint », déplore le Sénat, les distributeurs voulant préserver le pouvoir d'achat des consommateurs comme leurs marges.

Lire: Prix alimentaires : renégociations à couteaux tirés entre distributeurs et fournisseurs

Un risque réel de ruptures d'approvisionnement

Les sénateurs constatent notamment des « pratiques contestables » de la part de certains distributeurs, mais aussi d'industriels. Concernant les premiers, ils pointent du doigt « des demandes de transparence s'apparentant à de l'ingérence », ainsi que des stratégies consistant à rompre les contrats de fourniture pour pouvoir continuer à pratiquer les anciens tarifs pendant des périodes de préavis pouvant s'étendre jusqu'aux prochaines négociations, tout en augmentant en parallèle les prix en rayon.

Quant aux fournisseurs, ils déplorent des hausses de tarifs très disparates, de un à deux chiffres. Dans un tel contexte, les risques de ruptures d'approvisionnement - parfois utilisées comme une arme de chantage par les industriels, parfois dues à la nécessité d'arrêter les productions lorsqu'elles sont à perte - sont « réels », met en garde le rapport.

« D'après les représentants des fournisseurs, plusieurs d'entre eux refuseront purement et simplement de produire et d'approvisionner les distributeurs si les hausses de tarif demandées ne sont pas acceptées, car la situation actuelle les rendrait quotidiennement déficitaires », souligne-t-il.

Lire: Alimentation: les ruptures d'approvisionnement en magasins ont déjà coûté 1,9 milliard d'euros

Le gouvernement « désintéressé »

La loi Egalim 2, « inflationniste par construction » n'offre pas de véritable solution aux industriels, et n'est pas adaptée « à la période actuelle de renégociations commerciales permanentes », estime le rapport, issu notamment d'un groupe sénatorial dédié au suivi son impact.

Si elle « protège plutôt efficacement les matières premières agricoles durant les négociations commerciales, elle a déplacé l'âpreté des négociations vers le sujet des matières premières industrielles » (énergie, transport, emballage), dont les augmentations « ne sont pas du tout acceptées par les industriels », souligne le rapport.

Elle instaure en outre des clauses de révision automatique des prix librement définies par les parties, et donc susceptibles de se fonder sur des « critères de déclenchement irréalistes », les rendant de fait inapplicables, regrette la commission d'Affaires économiques. Et le gouvernement « semble désintéressé de la situation », dénoncent les rapporteurs.

« Selon plusieurs professionnels entendus », l'utilité du comité de suivi des renégociations commerciales, qui réunit tous les jeudis les représentants des agriculteurs, des industriels et des distributeurs, « est loin d'être évidente puisque aucune décision n'y est actée », précisent-ils.

De mauvais élèves parmi les distributeurs

Selon les données du 7 juillet de ce comité de suivi, citées par l'AFP, 40% des renégociations auraient été conclues pour les marques nationales, et 90% pour les marques distributeurs. Leur état d'avancement est cependant « très hétérogène selon les distributeurs », juge le Sénat, pour qui certaines centrales d'achat « auraient refusé totalement la hausse de tarif demandée dans plus d'un tiers des cas, et ne l'aurait acceptée entièrement que dans moins de 10% des cas ».

Pourtant, l'inflation progresse, bien qu'elle reste inférieure en France à la moyenne européenne. Celle des produits de grande consommation « atteindrait 7 à 10 % en septembre 2022 » selon le Sénat, « soit une hausse de 45 euros environ du panier moyen mensuel ». Pour y répondre, la commission Affaires économiques, qui à dessein publie son rapport au moment où les parlementaires se penchent sur le projet de loi Pouvoir d'achat, appelle à l'adoption de « mesures structurelles fortes de valorisation du travail et de meilleure rémunération ». Elle se dit en revanche sceptique sur les chèques alimentaires promis par l'exécutif, « qui sont autant de pansements sur des jambes de bois, et caduques aussitôt qu'ils sont signés ».

Lire: Chèque alimentaire : les producteurs agricoles réitèrent leur demande d'un dispositif pérenne

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 21/07/2022 à 19:23
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Les distributeurs sont des menteurs … ils s en mettent pleins les fouilles sur le dos des producteurs .. et dû consommateurs seules les multinationales sont capables De leur résister …. Les Leclercq et inter marchés sont les pires ils usent jus...

à écrit le 21/07/2022 à 11:14
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Le senat c'est l'Etat, l'Etat est interessé à l'inflation qui diminue sa dette... Aie confiance Crois en moi Que je puisse Veiller sur toi ... Fais un somme Sans méfiance Je suis làààà Aie confiance

à écrit le 20/07/2022 à 22:03
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L'inflation est toujours un phénomène monétaire. Milton Friedman C'est le resultat des quantitative easing (qu'en termes élégants ces chose là sont dites...) plus clairement appelés : planche à billets....

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