Jour du dépassement : la responsabilité du secteur agroalimentaire en sept chiffres clés

Le 28 juillet sera le jour où l'humanité aura épuisé l'ensemble des ressources naturelles que la Terre est en mesure de régénérer en un an. Fortement responsable de l'exploitation des ressources, le système agricole et alimentaire y contribue largement.
Giulietta Gamberini
52% des terres agricoles mondiales sont dégradées, ce qui diminue leur rendement au détriment des agriculteurs.
52% des terres agricoles mondiales sont dégradées, ce qui diminue leur rendement au détriment des agriculteurs. (Crédits : Reuters)

Depuis 50 ans, chaque année -avec quelques exceptions notables lors de crises énergétiques, financières et sanitaires, comme en 2020-, le rendez-vous tombe un peu plus tôt. En 2022, c'est le 28 juillet que l'humanité aura épuisé l'ensemble des ressources naturelles que la Terre est en mesure de régénérer en un an. Après ce "jour du dépassement", calculé par le Global Footprint Network en comparant leur "empreinte écologique" avec la "biocapacité" terrestre, les humains vivront à crédit, en empiétant ainsi sur le capital naturel de la planète, pourtant nécessaire pour le maintien de la vie. La déforestation, la chute de la biodiversité, mais aussi le changement climatique et le manque d'eau en sont des illustrations patentes.

"Autrement dit : pour régénérer ce que l'humanité consomme aujourd'hui, il nous faudrait l'équivalent de "1,75 Terre" en termes de surface", explique le  Global Footprint Network avec le WWF France.

Si tous les humains consommaient autant que les Français, le jour du dépassement tomberait de surcroît deux mois et demi plus tôt, le 5 mai, calcule le Global Footprint Network.

Une empreinte allant au-delà de l'alimentation

Or, fortement responsable de l'exploitation des ressources, le système agricole et alimentaire, aujourd'hui essentiellement fondé en Occident sur un modèle d'exploitation intensive, contribue largement à ce dépassement, soulignent les deux ONG. Elles rapportent quelques chiffres clés qui expriment très clairement cette responsabilité.

  • 55%: le pourcentage de biocapacité, c'est-à-dire de la surface de zones terrestres et marines biologiquement productives, utilisée au total pour nourrir l'humanité. Calculée à partir de données des Nations unies, cette biocapacité est mesurée en "hectares globaux", afin de pouvoir comparer des surfaces dont la productivité varie selon les régions, les écosystèmes et le temps. Globalement, la biocapacité de la Terre est évaluée à 12,1 milliards d'hectares globaux, soit 1,6 par habitant en moyenne, dont 32 % sont des terres cultivées, 12 % des pâturages, 43 % des forêts, 9 % des pêcheries et 4 % des terres productives occupées par les routes et les infrastructures urbaines.
  • 30%: le pourcentage de l'empreinte écologique humaine totale, c'est-à-dire de la surface permettant de répondre à sa consommation (pour produire les matériaux utilisés mais aussi pour absorber les émissions de gaz à effet de serre), due à l'alimentation. L'empreinte écologique de l'alimentation dépend surtout de la large utilisation de terres cultivables nécessaire pour produire la nourriture, mais aussi des importantes émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'agriculture (23% des émissions de GES mondiaux). L'empreinte du système agricole va d'ailleurs au-delà de l'alimentation: un quart de l'empreinte humaine liée aux cultures est imputable à la production d'agrocarburants ou de biens tels que le coton et le caoutchouc, soulignent le Global Footprint Network et le WWF.

 Un fort impact sur la déforestation et la biodiversité

  • 80%: la part de la déforestation mondiale due à l'agriculture. Or, cette déforestation représente environ 12% des sources d'émissions de GES anthropiques, et est aussi l'une des principales raisons du déclin de la biodiversité. C'est pourquoi les deux ONG appellent l'Union européenne, deuxième plus grand importateur de produits agricoles associés à la déforestation tropicale, à "adopter un règlement européen ambitieux contre la déforestation", protégeant les forêts comme les savanes et les prairies, couvrant l'ensemble des produits contribuant à la déforestation et fixant des contrôles contraignants. 
    Présenté par la Commission européenne à l'automne, et examiné par le Conseil de l'Union européenne en juin, puis par la commission Environnement du Parlement européen en juillet, le texte du règlement doit faire l'objet d'un vote en plénière des eurodéputés en septembre, puis être de nouveau validé par les trois institutions.

Lire aussi : Quand boire un café en Europe contribue à la déforestation : Bruxelles veut cesser la "déforestation importée"

  • 70%: la part de perte de biodiversité due à la production alimentaire, à travers l'utilisation massive de pesticides et d'engrais minéraux et la pratique de monocultures. Le Global Footprint Network et le WWF France appellent d'ailleurs au déploiement de "l'agro-écologie partout", soit à l'abandon de l'élevage industriel, à la réduction des intrants chimiques, au développement "massif" de l'agriculture biologique et à l'implantation d'arbres dans les exploitations agricoles. "En développant les pratiques agro-écologiques, nous pourrions diviser par deux les émissions du secteur agricole français d'ici 2050", estiment les deux ONG, selon qui une agriculture moins dépendante d'intrants -souvent importés- contribue aussi davantage à la sécurité comme à la souveraineté alimentaire.
    Dans l'UE, le rendez-vous incontournable sera la mise en œuvre progressive des stratégies "Farm to fork" et Biodiversité du Pacte vert européen, aujourd'hui contestées par de nombreux Etats membres au nom du chamboulement des marchés agroalimentaires mondiaux provoqué par la guerre en Ukraine, qui demanderait un accroissement de la productivité agricole en Europe.
    En France, le WWF et le Global Footprint Network appellent à intégrer les révolutions agro-écologique et du végétal dans la planification écologique mise en avant par Emmanuel Macron pour le nouveau quinquennat: notamment en lançant "un grand programme de conversion des exploitations" agricoles vers plus de durabilité, en finançant le développement de la filière des protéines végétales et en encourageant la végétalisation de l'alimentation.

Lire aussi : Interdiction d'appeler la « viande végétale » « viande » en France : les producteurs étrangers épargnés

Une dégradation qui affecte les agriculteurs

  • 17%: le pourcentage de cultures réservées au niveau mondial à l'alimentation animale. Il atteint même 26% en France et 51% aux Etats-Unis. Chaque année, la France importe pour sa part plus de 3 millions de tonnes de soja pour nourrir ses animaux d"élevage. Or, l'alimentation animale est largement à l'origine de la déforestation comme du changement climatique. Entre 2005 et 2017, le seul soja a été responsable de 31% de la déforestation tropicale intégrée aux importations de l'UE, soit une moyenne de 89.000 hectares par an. Au niveau mondial, réduire la consommation de produits animaux pourrait faire baisser d'au moins 30 % les émissions de gaz à effet de serre provenant de l'alimentation, de 46 % la disparition de la faune sauvage et de 41% l'utilisation des terres agricoles, selon les deux ONG, qui appellent donc les décideurs publics à encourager cette transition.
  • 40%: le pourcentage d'aliments produits dans le monde qui ne sont jamais consommés, à savoir 931 millions de tonnes de nourriture. Un gaspillage qui est responsable de plus de 8% des émissions mondiales de GES. Comme la réduction de la consommation de protéines animales, la réduction de ce gaspillage est fondamentale afin de pouvoir concilier transition écologique et sécurité alimentaire, estiment les ONG.

Lire aussi : : Pour ou contre : avec la guerre en Ukraine, l'agriculture française doit-elle produire plus ? Henri Biès-Péré (FNSEA) face à Claudine Foucherot (I4CE)

  • 52%: le pourcentage de terres agricoles dégradées, ce qui diminue leur rendement. Les agriculteurs figurent d'ailleurs parmi les principales victimes de l'épuisement des ressources naturelles, comme le montrent les conséquences des phénomènes climatiques extrêmes qui se sont multipliés ces derniers mois: sécheresses, canicules et feux de forêts, notent les ONG.

Lire aussi : Sécheresse, grêle, et maintenant canicule: les agriculteurs craignent des baisses de rendements de 20%

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 28/07/2022 à 12:19
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Quelle crédibilité apporter aux dires de Global Footprint Network, groupe de réflexion américain, qui vient donner des leçons à la France ? Peut-être que si nous vivions comme les américains le monde serait merveilleux. Comme on dit faut pas charrier...

à écrit le 28/07/2022 à 9:07
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"Si tous les humains consommaient autant que les Français, le jour du dépassement tomberait de surcroît " quid des Allemands ? Voire les UE_siens, nous sommes en UE je crois mais souvent on fait du nombrilisme. Les élus français dont les dirigeants d...

à écrit le 28/07/2022 à 8:19
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Qui se souvient de la chanson d'Eddy Mitchell "A crédit et en stereo". A réécouter. Ça date d'environ 40 ans...on y était déjà!

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