Agriculture bio : la Cour des comptes fustige le soutien insuffisant de la France

Dans un rapport, la juridiction financière estime que, « dans tous les domaines, l'action du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire n'est pas en mesure de répondre aux ambitions affichées ». Et s'il n'est pas modifié, le plan stratégique national, censé décliner en France la politique agricole commune (PAC), ne va pas corriger l'écart entre moyens et objectifs.
Giulietta Gamberini
Selon la Cour des comptes, qui a passé en revue la littérature scientifique, les effets bénéfiques de l'agriculture biologique sont déjà assez documentés.
Selon la Cour des comptes, qui a passé en revue la littérature scientifique, les effets bénéfiques de l'agriculture biologique sont déjà assez documentés. (Crédits : REGIS DUVIGNAU)

En plein débat sur la compatibilité entre la transition agroécologique et la nécessité de nourrir une planète menacée par une grave crise alimentaire, la Cour des comptes lance un pavé dans la mare. Dans un rapport publié jeudi 30 juin, la juridiction financière remet en cause le soutien jusqu'à présent apporté par le gouvernement français à l'agriculture biologique, en appelant à le renforcer.

« La Cour constate que, dans tous les domaines, l'action du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire n'est pas en mesure de répondre aux ambitions affichées », déplorent les Sages de la rue Cambon, pour qui la politique de soutien à l'agriculture biologique menée par le ministère de l'Agriculture l'a « au mieux, accompagnée et parfois freinée ».

Ni l'objectif consistant à atteindre 15% de la surface agricole française cultivée en bio, fixé en 2018 dans le programme « Ambition Bio 2022 », ni celui, établi la même année et à la même échéance par la loi Egalim, d'atteindre 20% d'alimentation bio dans la restauration collective, n'ont d'ailleurs été atteints, rappelle le rapport. Avec encore seulement 10% de sa surface consacrée à l'agriculture bio en 2021, la France est également encore loin du but fixé par l'Union européenne dans sa stratégie « De la Fourche à la Fourchette », de 25% de surfaces bio en 2030.

Des bénéfices prouvés

La Cour des comptes assoit ses critiques et ses préconisations sur une revue de la littérature scientifique relative aux bénéfices de l'agriculture biologique, aujourd'hui souvent remis en cause. Elle en conclut que ses effets bénéfiques sont suffisamment documentés, qu'il s'agisse de la santé des agriculteurs et des consommateurs, du bien-être animal, de la biodiversité ou du climat.

«Nous répondons très clairement à cette question», a souligné le premier président de la cour, Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse, en ajoutant: «Notre premier message, extrêmement clair et fort, est donc que le développement de l'agriculture biologique est le meilleur moyen de réussir la transition agro-environnementale et, plus avant, d'entraîner les exploitations agricoles dites conventionnelles vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement ».

Quant à la question de la contribution de l'agriculture biologique à l'autonomie agricole et alimentaire française, particulièrement discutée depuis le début de la guerre en Ukraine, le rapport souligne sa moindre dépendance des intrants, facteur de résilience, mais aussi ses rendements inférieurs de 18% à ceux de l'agriculture conventionnelle. Elle remarque toutefois qu'alors que la productivité de l'agriculture conventionnelle tend à baisser, celle de l'agriculture bio semble pouvoir être améliorée par davantage d'efforts en recherche et développement, ainsi que compensée par une réduction du gaspillage  et de la consommation de protéines animales.

Des aides « sous-dimensionnées »

Malgré ses nombreux atouts, le soutien jusqu'à présent alloué à l'agriculture biologique a toutefois été insuffisant, regrette la juridiction. Entre 2015 et 2020, les aides à la conversion et au maintien en agriculture biologique, prévues par la France dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne (UE), ont été « sous-dimensionnées » par rapport à la demande, au point que la moitié de l'enveloppe a été consommée dès la première année, dénonce la cour, qui point aussi des « retards de paiement et des taux de rejet des demandes d'aide particulièrement élevés en bio ».

En 2017, l'aide au maintien a en outre été supprimée en France, ce qui « a ralenti les conversions à partir de 2020 ». Une décision adoptée seulement par quatre pays dans l'UE, et qui ne répond pas à la nécessité, soutenue par la cour, de rémunérer les services environnementaux de l'agriculture bio davantage que ceux des agriculteurs conventionnels. En conséquence de ces choix, un quart des exploitations bio ne touchent pas d'aides de la PAC, note le rapport.

La Cour des comptes juge également insuffisant le soutien français à l'industrie de transformation de la filière bio, pas encore assez développée. Résultat: les entreprises du secteur, essentiellement des PME ou des ETI, peinent, par manque de moyens d'investissement, à innover et s'imposer sur le marché, et les importations de produits transformés, à plus forte valeur ajoutée, restent élevées.

Un plan stratégique national à revoir

Selon la cour, « ce décalage entre moyens et ambitions ne pourra pas se résorber dans la prochaine PAC à partir de 2023 si la France maintient le projet actuel de plan stratégique national »(PSN), retoqué par la Commission européenne en mars et qui fait ces jours-ci l'objet des dernières corrections du ministère de l'Agriculture, engagé à le finaliser «avant l'été ».

«En effet, non seulement les enveloppes dédiées aux mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) seraient seulement maintenues, mais en outre le futur 'écorégime' serait accessible au même niveau de rémunération à des exploitations engagées dans des démarches environnementales moins exigeantes que l'agriculture biologique », dénonce la Cour des comptes.

En publiant son rapport -déjà connu par l'administration- à point nommé, la rue Cambon espère d'ailleurs influencer les décisions du gouvernement, a admis Pierre Moscovici.

Le soutien au label HVE pointé du doigt

Les critiques de la cour portent en outre, au-delà des politiques publiques de promotion de l'offre, sur celle de la demande, en baisse de manière inédite depuis une année. La communication sur les effets bénéfiques de l'agriculture bio -qui vient tout juste de faire pour la première fois l'objet d'une campagne publicitaire, menée par l'Agence Bio de concertation avec les interprofessions agricoles- est notamment jugée insuffisante.

« L'Agence Bio, principal opérateur de l'État pour la filière bio en France, ne dispose pas de moyens à hauteur de ses missions, en particulier pour la communication. La campagne de communication sur le bio du printemps 2022 a montré la difficulté de trouver un slogan (...) acceptable pour l'ensemble des acteurs, bio et non bio, et reste trop modeste pour avoir un impact sur les ventes.  Ce constat est d'autant plus préoccupant que les interprofessions agricoles restent peu mobilisées sur l'agriculture biologique, encore minoritaire au sein de leurs filières, alors même que les acteurs des filières bio sont tenues de leur verser des cotisations interprofessionnelles étendues (CIE) en vertus d'actes réglementaire de l'État », détaille le rapport, en adhérant ainsi pleinement aux revendications de l'Agence Bio.

Par un crédit d'impôt, une préférence dans l'approvisionnement des cantines publiques et l'accès au futur 'écorégime' de la PAC prévu dans le PSN, le gouvernement soutient en outre, « au même niveau de l'agriculture bio », des labels concurrents et moins exigeants, tels que la Haute valeur environnementale (HVE). Cela contribue à la confusion des consommateurs et à la baisse du marché du bio, dénonce la Cour des comptes.

Une invitation à investir plus dans l'agriculture bio

Pierre Moscovici invite donc le gouvernement « à s'engager pleinement en faveur de la transition environnementale » et à engager « plus d'investissements en matière d'agriculture bio ».

La Cour des comptes lui recommande notamment de « rehausser fortement le niveau d'exigence du cahier des charges applicable à la certification environnementale », de « proportionner le niveau des aides en fonction des bénéfices environnementaux des divers labels et certifications », et de suivre « l'impact environnemental et de santé publiques des mesures de la PAC mises en oeuvre ».

Elle suggère aussi de renforcer les moyens de recherche et de communication, de créer un fonds d'investissement pour les industries agroalimentaires bio, et d'appliquer rapidement la loi Egalim 2 et ses dispositions incitant à la contractualisation entre les divers maillons de la chaîne.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 5
à écrit le 01/07/2022 à 12:56
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La Cour des comptes devrait être plus prudente car aucune étude scientifique ne conclut vraiment que les produits bio sont plus bénéfiques pour la santé que les produits de l’agriculture industrielle. Et subventionner le bio comme elle le propose rev...

à écrit le 01/07/2022 à 10:17
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Avec Bercy , la cour des comptes est certainement une des «  administration » les plus efficace … Elle remet les pendules à la heure et recentre les débats …. L état veut- fait ou on lui demande de faire trop de chose … il s éparpillé et finit par ê...

à écrit le 30/06/2022 à 17:24
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La FNSEA qui est la boussole niveau production agricole en France est-elle pour ou contre le bio ? Ceci peut expliquer cela. Imaginer un jour, lointain, en 100% bio, le Gvt n'y pense même pas, inutile, impensable, aberrant (on a une industrie forte ...

le 30/06/2022 à 18:55
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tout a fait. le baratin pro bin du ministere c ets pou rles electeurs mais derriere c est la FNSEA qui tire les ficelles: et elle ne veut pas entendre parler du bio . les subventions c est pour les paysans FNSEA qui poulluent, pas question de partage...

à écrit le 30/06/2022 à 16:45
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merci la cour des comptes. Enfin, des gens sensés dans la start up nation !!!!

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