Le lessivier Unilever offre 60 milliards à GSK pour sa santé grand public... et se prend un savon en Bourse

Unilever, l'un des leaders des produits d'entretien, d'hygiène et de beauté a proposé de racheter GSK Consumer Healthcare, une coentreprise détenue par GSK et Pfizer, pour 50 milliards de livres. Cette offre, qui, si elle était acceptée, correspondrait à la plus forte opération capitalistique de la City de Londres depuis le début de la pandémie, est jugée insuffisante et a été refusée. Poids lourd de la pharmacie, GSK prévoit pour l'instant d'introduire en Bourse GSK Consumer Healthcare, mastodonte dont il détient 68% du capital (Pfizer, 32%), pour se focaliser sur la pharmacie, notamment les vaccins et les médicaments spécialisés.
Jérôme Cristiani
Photo d'illustration: le logo d'Unilever sur la façade du siège de la multinationale anglo-néerlandaise en 2018 à Rotterdam (Pays-Bas), avant donc le regroupement en 2020 des entités néerlandaise et britannique au sein d'une même société 100% britannique dont le siège est désormais Londres.
Photo d'illustration: le logo d'Unilever sur la façade du siège de la multinationale anglo-néerlandaise en 2018 à Rotterdam (Pays-Bas), avant donc le regroupement en 2020 des entités néerlandaise et britannique au sein d'une même société 100% britannique dont le siège est désormais Londres. (Crédits : Reuters)

Samedi, le britannique GlaxoSmithKline (GSK) avait publiquement révélé d'une part que son compatriote Unilever lui avait fait déjà trois offres pour acquérir sa division de médicaments sans ordonnance et de parapharmacie, dénommée GSK Consumer Healthcare, et, d'autre part, qu'elle venait d'opposer un troisième refus à la dernière proposition du lessivier qui renchérissait en mettant sur la table la coquette somme de 50 milliards de livres (presque 60 milliards d'euros).

Loin d'être découragé, Unilever qui vend plus de 400 marques de savons (Dove...), de lessives (Skip, Omo...), de glaces (Magnum, Ben & Jerry's..), de déodorants (Rexona...) de débouche-évier (Domestos), de potages (Knorr...), de soin corporel (Fabergé...) et qui veut désormais se développer dans "la santé, la beauté et l'hygiène", persiste et signe. Mais les investisseurs, eux, n'ont pas apprécié et l'action d'Unilever a chuté de plus de 6% ce lundi en Bourse, tandis que celle de celle de GSK grimpait de plus de 4%. 

Pourquoi Unilever s'accroche à cette acquisition

Unilever, dans son communiqué publié ce lundi 17 janvier (qui succède à celui, très sobre, de samedi où il se contente de confirmer en quelques lignes l'offre faite à GSK) s'étend plus longuement sur ses motivations, indiquant qu'à l'issue d'une vaste revue stratégique, ses instances dirigeantes ont décidé de repositionner son portefeuille d'activités (actuellement constitué de marques de produits alimentaires, de beauté et d'hygiène domestique) dans des secteurs à plus forte croissance - la future acquisition de GSK Consumer Healthcare s'inscrivant dans le droit fil de cette nouvelle orientation stratégique.

"[Après réflexion, nous avons conclu que] la future orientation stratégique d'Unilever consiste à se développer sensiblement plus dans les secteurs de la santé, la beauté et de l'hygiène. "

Le mot clé ici, c'est "santé". Car la beauté et l'hygiène sont des domaines que maîtrise déjà la multinationale, alors que la santé, un secteur qui a vu ses profits exploser avec la pandémie, est celui où il voudrait prendre pied.

Et le moins qu'on puisse dire est qu'Unilever y met le prix. Car 50 milliards de livres (presque 60 milliards d'euros), cela représente bien plus que le chiffre d'affaires annuel d'Unilever (52 milliards d'euros en 2019, et quelque 50,7 milliards en 2020).

"Le segment des produits de santé de grande consommation serait très complémentaire pour Unilever avec un bon potentiel de synergies" et GSK Consumer Healthcare, serait une acquisition stratégique forte", selon un communiqué d'Unilever.

Qu'est-ce qui intéresse tant Unilever ? Dans le détail, GSK Consumer Healthcare possède des marques leader dans l'hygiène dentaire (Sensodyne,  Parodontax, Aquafresh, Polident), il est numéro un des décongestionnants des voies respiratoires sans ordonnance (Theraflu, Otrivin...), mais aussi un leader des anti-douleurs de première intention (Voltaren, Advil, Panadol...), avec également un portefeuille conséquent de marques dans les vitamines, minéraux et compléments alimentaires (Centrum, Caltrate, Emergen-C...), ainsi que dans la santé digestive "et autres" avec des produits contre les brûlures d'estomac, l'inconfort gastrique (Eno et Tums) mais aussi antitabac (Nicorette, Nicotinell...) .​

Bref, cet éventail de produits de santé grand public, sans ordonnance, relève bien toujours de la grande consommation, un des domaines d'expertise majeurs d'Unilever.

Une offre record

Pourquoi GSK a-t-il rejeté ce pactole? (La dernière offre, en date du 20 décembre, atteignait le faramineux "total de 50 milliards de livres, dont 41,7 milliards de lives en numéraire et 8,3 milliards de livres en actions d'Unilever".) Parce que lui comme son coactionnaire Pfizer estiment que le prix est très sous-estimé, que leur filiale vaut bien mieux que cela, selon les informations du Sunday Times britannique:

"Le conseil d'administration de Glaxo et le géant américain du médicament Pfizer, qui détient une participation minoritaire dans la division, ont rejeté les offres au motif qu'elles étaient trop bon marché. Glaxo a déclaré que même la troisième offre sous-évaluait « fondamentalement » l'entreprise", écrit le Times dans son édition du week-end.

Sur la question du prix, l'an dernier, la société de courtage Jefferies avait évalué l'ensemble à 45 milliards de livres.

Même en l'état, s'il se concrétisait, un accord de cette taille serait le plus important au monde depuis les débuts de la pandémie.

Pour GSK et Pfizer, vendre n'était pas prévu

Pourtant, il faut prendre en compte une autre donnée dans les raisons de ce refus. Ce n'était pas du tout dans les plans de GSK et de son allié Pfizer de vendre cette entité à quiconque. En effet, dès 2018, quand ils fusionnaient leur divisions médicaments sans ordonnance et de parapharmacie, les deux labos envisageaient, dans les trois années suivant la création de cette coentreprise, une scission d'avec GSK afin de faire une entrée en Bourse séparée sur le marché londonien.

Si l'on approuve la (pré)vision de Pfizer selon laquelle cette nouvelle coentreprise sera "la plus grande entreprise mondiale de santé grand public", avec des activités allant de l'anti-douleur aux vitamines en passant par les traitements des troubles digestifs et cosmétiques, cette scission suivie d'une IPO garde aujourd'hui tout son sens.

En 2020, le laboratoire GSK a affiché des ventes à 34 milliards de livres, dont 10 milliards pour la seule division "médicaments sans ordonnance et de parapharmacie" GSK Consumer Healthcare.

Les soucis d'Unilever

Mais, autre grille de lecture, cette offre non sollicitée intervient alors que les deux géants sont chacun de leur côté aux prises avec des problèmes de stratégie et donc des actionnaires mécontents. De fait, si elle se faisait, cette opération pourrait régler bien des problèmes et profiter aux deux adversaires.

Unilever, géant aux 400 marques distribuées dans 190 pays, à cause de la pandémie et de la réduction consécutive des rapports sociaux, a vu les ventes de ses produits d'hygiène baisser (savon, déodorants, maquillage...), tandis que les marges s'amenuisaient avec le renchérissement du coût des emballages plastiques qui a suivi l'envolée du prix des matières premières pétrochimiques.

Mais surtout, la situation boursière de l'entreprise est particulièrement critique, dans un contexte qui a vu les achats alimentaires et d'articles ménagers grimper à la faveur de la pandémie, et dont tous les acteurs n'ont pas profité de la même façon, loin de là.

Ainsi le directeur général d'Unilever, Alan Jope, est particulièrement sous pression alors que les actions de son entreprise cotée au FTSE (137,7 milliards de dollars de capitalisation) chutaient de -10% au cours de l'année écoulée, alors que, par ailleurs, celles de son grand concurrent Procter&Gamble grimpaient de +18% et celles de Reckitt n'encaissaient qu'une petite baisse de -1,4 %.

Terry Smith, le fondateur de Fundsmith Equity, l'un des 10 principaux actionnaires d'Unilever, a critiqué cette semaine le groupe pour avoir promu la durabilité au détriment de la performance.

Depuis qu'il a succédé à Paul Polman en tant que PDG en 2019, Alan Jope a défini une vision pour Unilever qu'il a baptisée "Des marques avec une mission", promouvant une stratégie socialement responsable qui verrait l'entreprise concentrer ses investissements et son marketing sur des marques qui "communiquent un objectif environnemental ou social fort", même au détriment du profit.

Pour Terry Smith, ça ne passe pas. Jouant de l'humour cinglant, il n'y est pas allé par quatre chemins:

"Une entreprise qui estime qu'elle doit définir la mission de la mayonnaise Hellmann's a, à notre avis, clairement perdu la boussole. La marque Hellmann's existe depuis 1913, nous pensons donc que les consommateurs ont eu le temps de comprendre son objectif (alerte spoiler: [la mission de la mayonnaise,] c'est salades et sandwichs )."

Pour autant, l'investisseur explique pourquoi finalement il conserve l'action dans son portefeuille:

"Bien qu'Unilever ait fait, et de loin, la pire performance parmi nos investissements dans le secteur des biens de grande consommation pendant la pandémie, nous continuons à détenir ses actions car nous pensons que ses marques fortes et sa distribution finiront par triompher."

Le retard du vaccin anti-Covid, talon d'Achille de GSK

Pour la patronne de GSK, Emma Walmsley, une telle opération pourrait peut-être représenter une porte de sortie et soulager la pression des investisseurs qui s'est accumulée au cours de l'année écoulée. En effet, les actionnaires activistes ont également fait leur apparition chez GSK cette année.

En avril de l'an dernier, le fonds spéculatif activiste américain Elliott Management, après avoir révélé qu'il avait acquis une participation de plusieurs milliards de livres dans GSK, mettait la pression sur la PDG Emma Walmsley pour qu'elle envisage une transformation de l'entreprise afin de remédier au retard pris par l'entreprise pharmaceutique alliée à Curevac dans la course au vaccin contre le Covid-19 qui accumulait les revers.

Sous la pression du fonds activiste Elliott et de ses critiques sur la stratégie de l'entreprise, la directrice générale Emma Walmsley promettait, mercredi 23 juin, lors de la présentation de sa nouvelle stratégie pour les années à venir, une hausse annuelle de 5% minimum des recettes à taux de change constant.

Un deuxième fonds activiste est sorti du bois, rejoignant Elliott: Bluebell Capital Partners, beaucoup moins puissant que son allié mais déjà, en moins de deux ans d'existence, célèbre pour avoir fait tomber le PDG de Danone l'année dernière, a également pris une participation dans GSK en septembre 2021.

Dans une lettre adressée mercredi à la PDG de GSK, explique The Guardian, Sir Jonathan Symonds, le patron de Bluebell, mettant en cause la compétence de la PDG Emma Emma Walmsley, a appelé l'entreprise à nommer davantage d'administrateurs ayant une expérience scientifique à son conseil d'administration et à mener un "processus approfondi et solide" pour trouver un leader pour le secteur des médicaments et des vaccins, suite à la scission prévue de la division santé grand public l'été prochain. Selon les analystes de Bluebell, les performances financières de GSK ont déçu ces dernières années, et la moindre expertise scientifique de Walmsley dans l'industrie comparée aux autres patrons des Big Pharma est un problème, ont-ils soutenu.

(avec AFP et Reuters)

Jérôme Cristiani

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Commentaire 1
à écrit le 18/01/2022 à 8:59
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Ce qui est bien avec le Blasé c'est qu'il n'évolue jamais (et il ne le cherche pas d'ailleurs... ) si au moins il y a avait de la matière dans ses commentaires cela pourrait amener à débattre, à s'enrichir et évoluer là aussi. Non le beauf dans sa sp...

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