
Protégée par une barrière qu'on ne franchit qu'après avoir montré patte blanche à deux reprises, l'élégant bâtiment en brique laisse à peine entrevoir ses grandes arches censées évoquer « le galop du cheval ». Nous sommes sur une ancienne friche industrielle qui abritait hier une usine de pressage de disques vinyle de Philips. L'ensemble se trouve à un jet de pierre du centre historique de Louviers : l'une de ces villes moyennes qu'affectionnent les dirigeants d'Hermès pour implanter leurs ateliers de fabrication. Le géant du luxe y a construit sur plus de 6.000 m2 une nouvelle manufacture de maroquinerie, la 21ème en France.
Mais le visiteur cherchera en vain un panneau ou une enseigne qui signale sa présence. Ici comme ailleurs, on ne déroge pas à cette culture qui érige « la discrétion et l'humilité » en vertu cardinale. Dans les couloirs de la « maison » ainsi qu'il convient de l'appeler, seuls le produit et le savoir-faire artisanal ont droit de cité. Ainsi, chez Hermès, on ne goûte guère affèteries tape à l'oeil du marketing, la retenue est de mise. « Les objets sont toujours mis en avant. Nous ne faisons pas appel à des égéries », tient à rappeler le patron du site, François Pierre de Feydeau. Est-ce pour cette raison que la manufacture lovérienne ressemble à un curieux assemblage du monde d'hier et de demain ?
L'automatisation, non merci
Premier bâtiment industriel français à s'enorgueillir du (très exigeant) label E4C2 qui certifie son autonomie énergétique, nanti d'une vaste « place de marché » intérieure qui n'est pas sans évoquer un espace de coworking, tout ou presque est y encore fabriqué manuellement. Une singularité assumée fièrement par le maître des lieux. « Hermès a toujours refusé l'automatisation de ses procédés ». Seule entorse à ce catéchisme, le traçage des formes sur les peaux tannées réalisé grâce au laser et leur découpage à la lame électrique.
Pour le reste, les 170 artisans (bientôt 250), majoritairement des femmes, employés dans les ateliers lovériens, cousent, collent, estampent et piquent à la main avec aiguille et fil de lin. Tablez sur une bonne semaine pour la livraison d'une selle sur mesure -les premières élaborées hors du site historique du Faubourg Saint-Honoré en écho au patrimoine équin de la Normandie. Comptez au moins 24 heures pour le sac Kelly, l'un des produits vedette de la maison dont la fabrication nécessite pas loin d'une centaine de manipulations, toutes effectuées de bout en bout par chaque collaborateur affecté à leur réalisation.
Popularisé en son temps par la princesse Grâce de Monaco, le plus petit modèle, vendu plus de 6.000 euros, n'est pas à portée de toutes les bourses mais, pour ce prix, revendique une longévité sans égale. « Nos objets se transmettent souvent sur plusieurs générations et sont conçus pour durer. Avec 220.000 réparations effectuées en 2022 (vs 161.000 en 2021 ndlr), cet engagement constitue une réalité opérationnelle partout dans le monde », assure Emmanuel Pommier, directeur général du pôle maroquinerie sellerie. Le contraire de l'obsolescence programmée en somme.
Une cote d'amour en hausse
Au reste, cette recette ancestrale ne semble pas prendre une ride. Au contraire. Elle fonctionne même plus que jamais, portée par l'engouement des acheteurs, asiatiques en tête, pour le luxe à la française. En attestent les résultats étincelants d'Hermès International. Le chiffre d'affaires de plus de 11 milliards et demi d'euros a bondi de 23% l'an dernier, le résultat net de 38%. Sur le segment de la maroquinerie qui est fabriquée en totalité à l'intérieur de nos frontières, les ventes ont augmenté près du quart jusqu'à représenter 43% des ventes. De quoi conforter les dirigeants du groupe dans leur intention de créer une manufacture de cuir par an en France « sans en fermer une seule », nous précise-t-on.
En plus de celle inaugurée ces jours-ci, trois autres sont en passe d'ouvrir leurs portes d'ici 2026 dans les Ardennes, en Auvergne dans le Puy-de-Dôme, et dans les Charentes. A quoi il faut ajouter des extensions de capacités. Illustration dans les ateliers maroquiniers créés en 2017 à Val-de-Reuil, une cité voisine de Louviers, qui vont voir leurs effectifs passer de 180 à 250 artisans. Détail croustillant, la ville en question a pour maire Marc Antoine Jamet qui n'est autre que le secrétaire général de LVMH. On y verra la preuve que les héritiers de Thierry Hermès, qui avaient très mal vécu le raid (avorté) mené en 2010 par Bernard Arnault, savent mettre leur rancune entre parenthèses quand les affaires l'exigent.
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