Le recrutement : le grand défi des géants français du luxe pour continuer leur folle croissance (LVMH, Hermès…)

Tailleurs, couturiers, maroquiniers, orfèvres… Le secteur du luxe est confronté à une pénurie de main-d'œuvre au moment où les ventes sont au plus haut. Ce manque de bras est d'autant plus problématique que des milliers de départs à la retraite sont prévus au cours des prochaines années en France. Pour répondre à la demande et éviter de devoir réduire la production, les grandes maisons tentent de mettre en place des solutions en interne de recrutement et de formation. Sensible à ce secteur crucial pour l'économie tricolore, le gouvernement promet également de mettre en place des mesures qui permettront de maintenir le leadership français dans le luxe, notamment à travers son plan « France 2030 ».
Toutes les entreprises du luxe font désormais face à une pénurie de main-d'œuvre et, à ce jour, ce sont 20.000 postes qui seraient vacants selon le Comité Colbert.
Toutes les entreprises du luxe font désormais face à une pénurie de main-d'œuvre et, à ce jour, ce sont 20.000 postes qui seraient vacants selon le Comité Colbert. (Crédits : DR)

Alors que de nombreux secteurs sont étranglés par la crise énergétique mondiale, le marché du luxe ne s'est jamais aussi bien porté. Selon le cabinet Bain & Company, il va terminer l'année sur une hausse spectaculaire de 13% par rapport à l'année précédente, à 1.400 milliards d'euros au niveau mondial.  A lui seul, le segment des produits personnels de luxe doit connaître une augmentation de 15% en 2022, et devrait encore croître de 3% à 8% en 2023. Une performance qui s'explique notamment par « l'allégement des mesures de lutte contre le Covid-19 en Chine à la suite du mouvement de protestation », selon Harry Wolhandler, directeur de la gestion actions de Meeschaert Amilton AM. Problème : un tel dynamisme des ventes de produits de luxe met le marché du travail sous tension.

Aussi, les grandes maisons peinent-elles à recruter artisans et petites mains qui travaillent dans leurs ateliers. « Le salon "Les de(ux) mains du luxe" témoigne de notre niveau d'inquiétude et de l'urgence de la situation », alerte Bénédicte Epinay, déléguée générale du Comité Colbert qui a organisé la toute première édition de l'événement mi-décembre 2022 à Paris en comptant parmi ses invités pas moins de trois ministres, Rima Abdul-Malak, en charge de la culture, Olivia Grégoire, en charge du commerce et des PME et Carole Grandjean, déléguée à l'enseignement et la formation professionnelle.

L'objectif de cette association professionnelle qui réunit 92 grandes enseignes françaises telles Baccarat, Chanel, Hermès, Lacoste, Louis Vuitton... : tirer la sonnette d'alarme sur la pénurie de main-d'œuvre et mettre en place les mesures nécessaires pour former et recruter les nouveaux talents. Une condition sine qua non pour ne pas freiner leurs ventes et assurer la continuité de la production.

20.000 postes à pourvoir dans le secteur du luxe

Il y a urgence comme en témoignent les besoins estimés par LVMH. En septembre 2021, le groupe avait annoncé un plan de recrutement de 25.000 jeunes dans le monde, dont 5.000 en France. Une mission aujourd'hui accomplie, et « nous allons continuer », confie-t-on en interne.

« 3.000 postes sont encore à pourvoir dans les ateliers du groupe d'ici 2024 », a souligné Alexandre Boquel, directeur du développement des métiers d'excellence LVMH.

Lire aussiLVMH va recruter 25.000 jeunes d'ici un an : "c'est une question de survie"

Même inquiétude au sein de la maison Hermès, où la pénurie de main-d'œuvre ne permettra pas à l'entreprise de satisfaire une hausse de la demande globale. Et pour Van Cleef & Arpels (groupe suisse Richemont), « ces tensions touchent désormais tous les types de métiers du luxe, des hôteliers aux joailliers », décrit Nicolas Bos, le président.

A ce jour, ce sont 20.000 postes qui seraient vacants selon le Comité Colbert. « Le phénomène est ancien mais devient criant depuis un an et demi, avec la très forte reprise post-pandémie et l'envolée des ventes en Chine et aux Etats-Unis malgré l'inflation galopante », détaille Bénédicte Epinay. Et de préciser que « sur un spectre plus large allant du mécanicien textile aux métiers de l'hôtellerie de luxe, nous sommes encore bien au-delà » du chiffre avancé.

Or, dans un domaine où la valeur ajoutée réside dans la qualité de sa main-d'œuvre, ces difficultés de recrutement constituent un réel danger. Une menace d'autant plus forte  que les départs à la retraite dans le luxe vont s'accélérer dans les prochaines années. Dans la maroquinerie, ce sont pas moins de 30.000 artisans qui s'apprêtent à quitter leur poste, alors que le secteur est déjà en difficulté, prévient le Comité. Entre 5.000 et 6.000 postes sont à pourvoir par an dans ce secteur, selon Edgard Schaffhauser, président de la Fédération de la maroquinerie.

« La génération qui détient le savoir termine sa carrière au moment où les ventes sont en forte croissance », déplore Bénédicte Epinay.

Rappeler les artisans partis en retraite

Ainsi, les grandes marques misent-elles sur la formation des futures petites mains. « Former une nouvelle personne prend du temps, il faut donc une véritable transmission de savoir-faire entre générations afin d'assurer la continuité de la production », déclare Hubert Barrere, directeur artistique de la maison Lesage. Or, la formation demande « un minimum de cinq à sept ans » pour atteindre le niveau exigé par les grandes maisons, précise Edgard Schaffhauser.

Chez Christofle, grande maison d'orfèvrerie, cette solution est privilégiée. « Nous rappelons les anciens, parfois déjà à la retraite, afin de créer des binômes de travail avec les apprentis », précise Emilie Metge, présidente de la marque, avant d'ajouter que « cela est essentiel car il n'y a plus aucune école de formation à l'orfèvrerie dans le monde ».

Certaines maisons de luxe décident également de dispenser leurs propres formations. La loi « avenir professionnel » de septembre 2018 a, en effet, permis aux entreprises privées d'ouvrir leur centre de formation à des apprentis (CFA). En septembre 2021, Hermès a par exemple ouvert sa fameuse École des savoir-faire. « Ce dispositif nous permet de valoriser notre formation maison, de transmettre notre savoir-faire et de délivrer un diplôme reconnu par l'Education nationale », explique Vincent Vaillant, directeur des ressources humaines Hermès maroquinerie-sellerie. Ainsi, au sein de ses trois formations de maroquinier, coupeur et piqueur, le groupe accueille déjà 400 alternants depuis 2021.

De même, LVMH a aussi monté sa propre structure : l'Institut des métiers d'excellence (IME). Mais la création d'un CFA n'est pas à l'ordre du jour. Le groupe a plutôt opté pour un système de partenariats avec des écoles privées et une formation en alternance dans ses ateliers. En huit ans, ce sont 2.000 apprentis qui ont été formés par l'IME, et LVMH assure que les trois-quarts d'entre eux ont signé un CDD ou un CDI au sein du groupe.

Au total, quinze maisons de luxe ont ainsi créé leur propre école afin de former les petites mains de demain. Toutefois, les acteurs du secteur estiment en grande majorité que l'offre de formation manque encore en France.

Séduire les jeunes dès le collège

Les enseignes du luxe n'hésitent d'ailleurs pas à aller séduire les plus jeunes. Entre la tournée d'excellence « You and ME » lancée par LVMH, le programme « Manufacto, la fabrique du savoir-faire » créé par la Fondation d'entreprise Hermès, les initiatives des grandes maisons de luxe sont nombreuses afin de sensibiliser les jeunes aux métiers de la main. « Il faut rendre ces métiers plus attractifs auprès du jeune public, raison pour laquelle de nombreux projets voient le jour pour les rendre plus contemporains », explique Nicolas Bos du Comité Colbert qui vise également les lycéens et les collégiens en organisant son salon à l'incubateur parisien Station F.

« Le gouvernement est totalement mobilisé, nous allons mener cette action ensemble », a également lancé la ministre déléguée Olivia Grégoire. L'Etat est même prêt à mettre la main à la poche. Un appel à projets a en effet été lancé début décembre afin de créer des pôles territoriaux pour les métiers d'art. Une mesure de soutien qui s'élève à 50 millions d'euros dans le plan « France 2030 », a rappelé la ministre de la Culture.

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Commentaires 8
à écrit le 22/12/2022 à 10:03
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Nos élites n'ont toujours pas compris que 1000 ingénieurs ne pourront jamais remplacer 1 seul Einstein. Notre économie a misé sur la quantité au lieu de la qualité. Le recours à de la main d'oeuvre low-cost, même dans le management, mène à une dispar...

à écrit le 22/12/2022 à 8:40
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Projet d’implantation d’une usine Vuitton dans mon bourg, projet qui ne verra pas le jour. Un centre de formation ouvert mais échec à cause de l.inimployablité du personnel . Arrêt du projet motif de l’arrêt personnel trop rural un doux euphémisme po...

le 22/12/2022 à 9:19
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19 décembre : LVMH va construire un nouvel atelier de fabrication de sacs Louis Vuitton en Italie.Le géant du luxe prévoit de construire une nouvelle usine en Italie pour produire des sacs Louis Vuitton et d'autres accessoires en cuir, a indiqué ve...

à écrit le 21/12/2022 à 14:36
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Bonjour, Ma réponse risque de refroidir sans doute. Ma fille a fait ses études au lycée privé orienté haute couture, puis galéré dans tout les métiers de couture y compris mobylhomes, matelas de luxe. Retour 2 ans de formation haute couture et bac...

à écrit le 21/12/2022 à 12:02
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Objectif, 80 % des élèves doivent avoir le Bac. Résultat , niveau catastrophique en français, filières scientifiques sacrifiées. Comme pour le reste , notre pays décline sérieusement dans tous les secteurs . Pénurie d'ingénieurs , de médecins, de s...

à écrit le 21/12/2022 à 10:26
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Pour attirer les talents et être attractif 2 stratégies: le salaire qui fait la différence avec d autres secteurs … et les réelles perspectives de carrière avec les milliards engrangés depuis des décennies le matelas le permet : l ´exemple à ne pa...

le 21/12/2022 à 16:29
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Si les primes sont comptabilisées pour la retraite, vous allez toucher encore moins car ca veut dire qu une ponction aura lieu pour justement financer cette retraite. Si vous etes jeunes, il est clair qu il vaut mieux toucher l argent maintenant que ...

à écrit le 21/12/2022 à 9:40
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A oui, il faut mieux payer les gens pour rendre la filière attractive (entendre rendre les métiers du luxe) car si c'est pour être à peine mieux payer qu'indépendant alors que l'exigence est nettement plus élevée, tant en terme de qualité, que de ren...

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