PSA-Renault : un match désormais inégal

Par Alain-Gabriel Verdevoye  |   |  1831  mots
La petite Peugeot 208 (à gauche) affronte la Renault Clio IV (à droite)
Voici en six "rounds" (présence en Europe, ventes à l'international, attractivité des modèles, rentabilité...) les points forts et les faiblesses respectifs des deux constructeurs automobiles français. Aujourd'hui, grâce à l'alliance avec Nissan et à ses modèles à bas coûts, Renault apparaît structurellement en meilleure posture que son rival tricolore.

Renault et PSA Peugeot-Citroën connaissent chacun de graves difficultés. Les deux champions tricolores de l'automobile, dont la production ne cesse de plonger dans l'Hexagone, ont affiché de mauvais résultats financiers semestriels. Ils pâtissent de leur trop grande exposition à un marché européen en chute sévère et subissent de plein fouet la concurrence de leurs vieux rivaux germaniques beaucoup plus rentables, ainsi que l'offensive du géant coréen Hyundai-Kia.

Les deux constructeurs affrontent la crise avec des atouts différents. Fort de son réseau d'alliances intercontinentales avec le japonais Nissan ou l'allemand Daimler, jouissant de l'atout maître des voitures à bas coûts, Renault se révèle ainsi, structurellement, en meilleure posture que PSA, malgré une médiocre image de marque mondiale et des modèles souvent moins attractifs. Voici en six "rounds" le grand match entre nos deux poids-lourds nationaux, avec leurs forces et faiblesses respectives.

Le déploiement hors d'Europe

Renault vendait au premier semestre dernier 50% de ses véhicules hors d'Europe (Russie et Roumanie non comprises), PSA 42%. Ce dernier dispose certes d'un atout géo-stratégique de taille avec la Chine. PSA y envisage plus de 550.000 ventes sur l'année, alors que les volumes de Renault y seront dérisoires, faute d'implantation industrielle jusqu'ici. PSA prend ici nettement l'avantage.

En revanche, partout ailleurs, Renault fait mieux. En Russie, la firme au losange vend trois fois plus de véhicules que PSA avec une seule marque. En outre, Renault y double actuellement son potentiel industriel local. Et ce, sans parler des volumes additionnels d'Avtovaz (Lada), le premier constructeur auto russe dont la firme de Boulogne-Billancourt est en train de prendre le contrôle. Renault est d'ailleurs très rentable en Russie, alors que PSA y perd de l'argent.

Au Brésil, avec deux marques, PSA vend 40% de véhicules de moins que Renault avec une seule marque et moins de modèles. Renault y est bénéficiaire, pas PSA. Ce dernier est certes mieux placé en Argentine que Renault, mais la taille du marché argentin est très inférieure à celle du Brésil.

PSA est en outre absent d'Inde, où Renault compte quasiment doubler ses ventes cette année, grâce au succès du 4x4 Duster produit dans l'usine de l'Alliance avec Nissan à Chennai. PSA a annulé ses projets, faute de trésorerie suffisante.

Avantage Renault

 

Les performances sur le marché européen

Avec ses deux marques Peugeot et Citroën, PSA pèse plus lourd que Renault dans l'Union européenne. Il y détenait, sur les dix premiers mois de l'année, 11,1% du marché des voitures particulières neuves, contre 8,9% pour le groupe Renault. En revanche, PSA a dégringolé sérieusement par rapport à l'avant-crise, c'est-à-dire à 2007. Cette année-là, PSA occupait pratiquement 13% du marché auto européen. Au temps de splendeur commerciale sur le Vieux continent, PSA frisait même les 15% (en 2003). PSA a donc perdu deux points de marché en six ans et quatre en dix !

En revanche, la pénétration du groupe Renault reste quasi-stable par rapport à 2007, mais perd deux points au total en dix ans! Toutefois, cette stabilité sur les dernières années cache un effritement des positions de la marque Renault elle-même, compensée par la croissance de sa marque à bas prix Dacia. Renault seul s'arroge désormais 6,5% seulement du gâteau, contre 7,5% en 2007 et 10,6% en 2003. En revanche, Dacia a grimpé ses six dernières années de 1,1% à… 2,4% du marché de l'Union.

 Avantage PSA

 

Alliances et coopérations internationales

Deux stratégies se sont longtemps affrontées. Après l'échec de la reprise de l'américain AMC dans les années 80, puis du mariage avec le suédois Volvo, Renault a pris en 1999 le contrôle du japonais Nissan alors en crise. Il détient aujourd'hui 43,4% de son capital. Déjà propriétaire du du roumain Dacia et du coréen RSM (à 80%), Renault est en train de prendre le contrôle du russe Avtovaz. L'Alliance Renault-Nissan a en outre échangé, il y a trois ans et demi, des participations avec l'allemand Daimler (qui détient Mercedes). Renault en détient 1,55%. Dernièrement, l'Alliance Renault-Nissan a même noué une nouvelle alliance, non capitalistique à ce jour, avec un autre japonais, Mitsubishi Motors.

 PSA a historiquement privilégié de son côté les coopérations techniques et ponctuelles sans alliance (avec Fiat, Renault, Toyota, BMW, Ford…), qui lui ont réussi pendant longtemps. Le président actuel du groupe, Philippe Varin, a voulu changer de tactique et négocier de vraies alliances. Las, il a échoué avec Mitsubishi Motors. Il a certes réussi à sceller fin février 2012 un mariage avec l'américain GM, qui a pris 7% du capital (sans réciprocité). Mais cette « grande alliance » n'a pas porté les fruits promis.

Devant son semi-échec, le constructeur est contraint de négocier actuellement un nouveau rapprochement, avec le consortium chinois Dongfeng cette fois, en vue d'une nouvelle et nécessaire augmentation de capital jusqu'à trois milliards d'euros. Cette opération verrait l'État français et Dongfeng prendre chacun une participation de l'ordre de 20-30% dans le constructeur, d'après l'agence Reuters.

L'Alliance Renault-Nissan, qui s'est révélée l'un des très rares mariages réussis dans le monde de l'automobile, a fait ses preuves et elle est parvenue en plus à nouer autour d'elle de nouveaux rapprochements fructueux. Rien à voir avec la situation actuelle de PSA.

Avantage Renault

 

Les voitures à bas coûts 

Renault a lancé en 2004 sa première Dacia Logan à bas coûts essentiellement destinée aux pays émergents. PSA a attendu en revanche la fin 2012 avec ses Peugeot 301 et Citroën C-Elysée, dont il affirme qu'elles ne sont pas concurrentes d'une Logan. Renault compte produire, sous sa marque ou sous le label roumain Dacia suivant les marchés, plus d'un million de véhicules de sa gamme « Entry » cette année en Roumanie, au Maroc, en Inde, au Brésil, en Colombie…

Plusieurs modèles sont offerts selon les pays : Logan I et II en berline et break sans parler du pick-up, dérivé cinq portes Sandero I et II, 4x4 Duster, fourgonnette et sa version « ludospace » Dokker, monospace Lodgy. Et Renault va effectuer une nouvelle avancée en présentant au prochain salon de New Delhi, en février prochain, une voiture à très bas coûts dans le cadre de son alliance avec Nissan, encore moins chère qu'une Logan, autour de 5.000 euros!

Chez PSA, il n'y a qu'une berline pour chaque marque. La production des Peugeot 301 et Citroën C-Elysée est assurée à Vigo en Espagne pour les marchés méditerranéens et d'Europe de l'est,  à Wuhan, en Chine, pour le marché local. 60.000 ventes ont été réalisées au premier semestre selon PSA, avec une prévision de plus de 100.000 sur l'année. Soit 10% des volumes annuels prévus par Renault.

Plus de cinq millions de véhicules ont été produits au cumul par le groupe au losange sur la base Logan. De quoi réaliser de sacrées économies d'échelle… La standardisation, la simplification, sont aussi poussées à l'extrême chez Renault, avec des coûts de fabrication nettement inférieurs à ceux de PSA. Résultat : on évoque des marges nettement supérieures à 10% pour le 4x4 Duster du groupe Renault. "Les marges sont quasi-nulles. Ce n'est pas sûr qu'on puisse gagner un jour de l''argent", nous expliquait en revanche récemment une source interne chez PSA, concernant les modèles du groupe à bas prix pour pays émergents.

Avantage Renault

 

Attractivité des modèles (hors gammes à bas coûts)

On entre dans un domaine plus subjectif : celui de l'attractivité des modèles. Si Renault réalise aujourd'hui des modèles réputés généralement fiables, ses produits les plus anciens (Mégane compacte, Laguna familiale, Latitude de haut de gamme, 4x4 Koleos) sont souvent perçus dans les enquêtes auprès des consommateurs comme ternes, tristes, sans charme, malgré leurs qualités routières et leurs bons diesels. En attendant la prometteuse Twingo III, les deniers modèles Clio IV et Captur sont mieux jugés, mais critiqués par les experts automobiles pour leur qualité perçue comme médiocre où les réductions de coûts sont clairement perceptibles.

PSA a su en revanche lancer récemment des véhicules attractifs du point de vue esthétique comme du plaisir de conduite:Peugeot 2008, 308, 508, dernier monospace Citroën C4 Picasso et prochain C-Cactus, sans parler de la ligne DS chez Citroën, toutefois controversée. La Peugeot 208 souffre, elle, des même défauts de finition que sa rivale, la Clio IV.

Faiblesse de Renault: si ses modèles à bas coûts lui servent de fer de lance à l'international,  ses autres gammes sont quasi-réservées à l'Europe. Les Clio IV, Mégane, monospace Scénic, familiale Laguna, sont pratiquement inconnus hors du Vieux continent. Seule la berline classique à quatre portes Fluence, dérivée de la Mégane, est (un peu) plus diffusée, en particulier en Corée où elle est produite sous le nom de SM3.

Cela ne rehausse pas l'image de Renault, dont les Dacia sont diffusées sous sa propre marque hors d'Europe et de la Méditerranée. Ce phénomène vient encore ternir l'image traditionnellement  bas de gamme de Renault dans le monde, à quelques exceptions près (Corée, Chine...). Coté 'image, Peugeot et Citroën s'en sortent beaucoup mieux.

 Avantage PSA

 

Rentabilité des opérations

Renault a subi une chute vertigineuse, au premier semestre 2013, de son bénéfice net à 39 millions d'euros, près de 20 fois inférieur aux 746 millions dégagés au premier semestre 2012. En cause : les lourdes charges liées selon la firme à l'arrêt de ses activités en Iran et à sa restructuration en France. Sans l'apport de Nissan, Renault serait même dans le rouge. Le  constructeur automobile a affiché cependant un résultat opérationnel de 583 millions, soit 2,9% du volume d'affaires. Dans les seules activités automobiles, il arbore un bénéfice de 211 millions, soit 1,1% du chiffre d'affaires.

Chez PSA, après des pertes historiques en 2012, le déficit net s'est monté au premier semestre 2013 à 426 millions. Le résultat opérationnel courant s'est traduit par une perte de 65 millions, soit -0,2% du volume d'affaires. Dans l'activité automobile, le déficit atteint 510 millions, soit une marge négative de 2,7%.

Renault s'est engagé à dégager sur l'année 2013 une marge dans l'automobile positive et un flux de trésorerie opérationnel également positif. PSA, qui a un cruel besoin d'argent frais d'où sa nécessaire augmentation de capital à court terme, n'a promis pour sa part que de diviser par deux cette année son flux de trésorerie opérationnel. Il devrait donc brûler encore 1,5 milliard d'euros en 2013. Et Philippe Varin ne confirme plus son engagement précédent d'un retour à l'équilibre fin 2014 !

 Avantage Renault