Bourse : l'automobile restera sous pression malgré un excellent cru semestriel

Dans un contexte sectoriel très dégradé, l'industrie automobile française est parvenue à montrer sa grande résilience notamment en taillant dans les coûts. Pour autant, les 18 prochains mois pousseront le secteur vers de nouveaux défis très incertains, mais pas insurmontables...
Nabil Bourassi
(Crédits : Arnd Wiegmann)

Une heureuse surprise ! Le secteur automobile français ne s'en est pas si mal sorti au terme de ce premier exercice semestriel de l'année 2019, et ce, malgré la très forte détérioration du marché... En Europe, le marché a confirmé les craintes en enregistrant une baisse de 8% des immatriculations. Même chose du côté des Etats-Unis où le marché s'est contracté... Mais c'est en Chine que se focalisent tous les regards. Le premier marché automobile du monde a poursuivi son plongeon, loin de la stabilisation attendue.

"Le secteur automobile s'est laissé surprendre en 2018 par une succession d'événements inattendus comme le ralentissement très fort du marché chinois et le goulot d'étranglement qu'a été le passage à la norme WLTP, qui ont perturbé l'activité des constructeurs. Le dernier trimestre 2018 a été très dur avec un secteur en baisse de 25% et certains équipementiers qui ont baissé de 45%. Le rebond du premier trimestre a été de courte durée, rattrapé par la détérioration du marché chinois dont on pensait qu'il allait se stabiliser", rappelle Catherine Garrigues, directrice de la stratégie d'investissement Conviction Actions européennes chez Allianz Global Investors.

Frédéric Rozier, gérant de portefeuille chez Mirabaud France, insiste lui sur "la norme WLTP qui a fait énormément de mal au secteur. Certains constructeurs l'ont moins bien anticipé que les autres, notamment les allemands".

Les Allemands lourdement pénalisés

Le secteur automobile germanique a effectivement été violemment impacté par cette alignement négatif des planètes. De Mercedes à BMW, en passant par Continental, la puissante industrie teutonne n'a cessé d'envoyer des signaux alarmistes entre avertissements sur les résultats, profits en dessous des attentes, ou baisse de leur rentabilité opérationnelle. Paradoxalement, de l'autre côté du Rhin, les Français ont plutôt bien résisté. Faurecia et PSA sont sortis du lot grâce à un exercice semestriel exceptionnel.

L'équipementier automobile, dont PSA possède encore un peu plus de 40% du capital, a ainsi affiché des résultats solides. Mieux encore l'entreprise dirigée par Patrick Koller a enregistré un free cash-flow en hausse de 4%. De son côté, PSA a insolemment amélioré sa profitabilité. La marge opérationnelle du constructeur automobile français a grimpé de 1 points à 8,7%, soit quasiment deux fois plus que son compatriote Renault (hors Avtovaz). Plastic Omnium a également satisfaits les analystes. Premier à présenter ses résultats, l'équipementier a récolté tous les effets de ce bon cru français. Seuls Valeo et Renault ont le moins profité de cette embellie. Valeo, lui, vit encore sous le joug de la défiance des marchés.

"Valeo a été moins réactif et a pris du retard. La défiance s'est installée vis-à-vis du management qui n'a pas vu le coup venir. En outre, Valeo, en vertu de son statut de valeur tech, est plus contrainte que les autres à investir, elle doit donc dégager davantage de Capex", souligne Frédéric Rozier de Mirabaud France.

De son côté, Renault voit ses résultats en forte baisse, mais Thierry Bolloré considère qu'ils traduisent une bonne résistance surtout en l'absence d'actualité produits (aucun modèle n'a été lancé au premier semestre). En outre, Renault est parvenu à rassurer les marchés sur la continuité opérationnelle de l'entreprise, et ce, malgré le chamboulement managérial qui a suivi la chute spectaculaire de Carlos Ghosn, que d'aucuns craignaient hautement périlleux... Le secteur automobile français a donc montré une très forte résilience face à un retournement de cycle que même les meilleurs cabinets d'analyse n'avaient pas anticipés.

"On a le sentiment que le plus dur est derrière nous. Face à une contraction du marché, les constructeurs mais également les équipementiers ont prouvé une bonne maîtrise de leurs coûts, avec une grande flexibilité qui leur a permis de s'adapter à ce retournement de cycle", explique Frédéric Rozier.

Le mur des objectifs CO2

Sauf que d'autres nuages sont en vue... Ils sont nombreux et vont lourdement peser sur le secteur. Les nouveaux objectifs normes de CO2 sont le plus gros dossier des 18 prochains mois... L'enjeu réside dans les sanctions qui seront prises par Bruxelles en cas d'infraction aux objectifs. Frédéric Rozier ne cache pas son scepticisme: "très peu de spécialistes pensent que les constructeurs atteindront les objectifs de CO2". D'après une étude JATO qui a projeté les ventes 2018 aux objectifs applicables en 2020, les amendes infligées s'élèveraient à des milliards d'euros.

Catherine Garrigues ne croit pas non plus à une explosion du marché de la voiture électrifiée et qui serait salutaire pour les constructeurs. "Nous ignorons à ce stade s'il y aura un marché de masse à partir de 2021 : il y a une grande incertitude à ce sujet qui fait courir en effet un risque sur la profitabilité du véhicule électrique". Et de pointer

"Le risque serait que les constructeurs manquent à leur discipline de prix pour faire du volume..."

Mais la directrice de la stratégie d'investissement chez Allianz GI regarde aussi du côté des équipementiers : "on ne sait toujours pas si les équipementiers ont plus à perdre ou à gagner de cette transition vers la voiture 100% électrique". L'électrification doit supprimer toute la chaîne de traction et l'ensemble des équipements de dépollution, soit une perte de valeur qui peut atteindre 40% de l'ensemble du véhicule et qui était jusqu'ici le privilège des équipementiers.

Jusqu'ici, Valeo avait fait de sa joint-venture avec Siemens la réponse à cette transformation du marché. Mais les investisseurs ont des doutes sur la solidité de cette JV qui voit ses prises de commande ralentir, et qui pèse lourdement sur les coûts R&D de Valeo. Jacques Aschenbroich, lui, continue de porter ce projet sans ciller. Valeo estime qu'en vitesse de croisière, cette JV pourrait rapporter jusqu'à 10 milliards d'euros de chiffres d'affaires complémentaires par an.

La Chine, d'Eldorado à piège à loup

L'autre grand dossier qui va peser sur les valeurs automobiles, c'est bien entendu la Chine. Les investisseurs ont été échaudés par les erreurs de modélisation qui n'ont pas permis d'anticiper la chute enclenchée en 2018. Ils pourraient dès lors devenir plus prudents encore, et ce malgré, les perspectives déjà alarmistes. AlixPartners estime que le premier marché automobile du monde pourrait s'affaisser de 3 millions d'immatriculations par an à horizon deux ans...

Faurecia a d'ores et déjà répondu en annonçant la fermeture de huit usines en Chine afin de redimensionner son empreinte industrielle. De son côté, PSA a les deux pieds pris dans le piège à loup de ses deux joint-ventures avec les constructeurs locaux, et empêtrés dans des lourdeurs de process décisionnels. "Les surcapacités de PSA en Chine restent un gros problème avec 65.000 véhicules vendus au premier semestre, pour une capacité annuelle totale de production de 1,2 million", s'inquiète Catherine Garrigues.

Ainsi, si le secteur automobile français a bien résisté face au ralentissement de ces 18 derniers mois, c'est sur les 18 prochains mois que les investisseurs ont désormais des doutes.

"Le secteur a montré une bonne résilience notamment en coupant dans les coûts, mais les sous-jacents ne sont pas bons, et les anticipations mondiales ont encore été révisées à la baisse", résume Catherine Garrigues avant de confier ses "gros doutes sur les dividendes".

De son côté, Frédéric Rozier veut "relativiser la baisse du marché, nous ne sommes pas dans un effondrement. Mais l'effet de base sera très défavorable au second semestre". Aux incertitudes sur les normes CO2 et le marché chinois, Frédéric Rozier rappelle que "les besoins en capex vont également continuer à peser sur les cours. Sans parler de la guerre commerciale qui pourrait notamment pénaliser les constructeurs allemands, ou Renault à travers Nissan".

Les valeurs auto pas chers ? Oui mais...

De cette analyse sectorielle, nos analystes estiment qu'il faudra néanmoins regarder les valeurs au cas par cas. "Il y aura une accentuation des différences entre valeurs. Il y aura des gagnants et de perdants", prévient Frédéric Rozier. "L'automobile européenne n'est pas très cher... Même si certaines valeurs sont en haut de cycle, elles ont peu de marges haussières, comme PSA. A l'inverse, une valeur comme Renault est une des moins chers du marché".

De son côté, Catherine Garrigues se veut plus prudente : "en termes de valorisation, nous pourrions penser que nous sommes dans un creux du marché... Mais les valeurs ne sont pas aussi peu chères qu'elles en ont l'air. Si le price to book (prix sur capitaux propres), qui est l'indicateur le plus regardé dans le secteur automobile, est bien valorisé, j'ai de gros doutes sur les dividendes..."

Peugeot est l'une des valeurs les plus regardées du secteur compte tenu du bilan spectaculaire de son PDG qui est parvenu à redresser l'entreprise en peu de temps, avec des indicateurs de rentabilité qui côtoie les standards premium. La reprise réussie d'Opel a également impressionné les investisseurs. "Peugeot, c'est un peu l'ovni du secteur. Le redressement d'Opel se poursuit. Le pari de redynamiser Citroën se traduit par un bon rattrapage de son pricing". Depuis le 1er janvier, PSA a grimpé de 9%, tandis que Renault a perdu 11% de sa valeur.

Sophie Wittmann, Analyste Crédit chez Allianz Global Investors, insiste sur un autre enjeu pour les groupes automobiles.

"Les constructeurs doivent améliorer leur rating car ils dépendent souvent des marchés financiers pour financer leur branche banque".

De ce point de vue là, Peugeot semble encore creuser l'écart avec son compatriote Renault. "Depuis plusieurs années, Peugeot améliore son profil financier avec une notation de retour en territoire « Investment Grade », ce qui est positif. Pour Renault, la situation est plus compliquée depuis quelques trimestres, notamment car son allié Nissan contribue de moins en moins aux bénéfices et la note a été placée sous perspective négative par S&P en Février 2019", complète Sophie Wittmann.

Lire aussi : Fusion Renault-Fiat: les raisons d'une fusion impossible

Sur Renault, il faudra compter sur le feuilleton du conflit avec Nissan, et d'un hypothétique mariage avec Fiat. Mais pour Frédéric Rozier, la thématique des rapprochements vont probablement animer les marchés dans les prochains mois... "Les valeurs ne sont pas élevées, les rapprochements pourraient animer l'actualité du secteur dans les prochains mois. Mais cela risque également d'accentuer sa volatilité". Pour Catherine Garrigues, "les fortes baisses des cours de ces derniers mois sont justifiées. On ne peut pas attendre de surperformance durable sans une croissance dynamique de résultats". Et de conclure : "tout le monde ne s'appelle pas Peugeot..."

Lire aussi : Fusion Fiat-Renault: qu'en pensent vraiment les marchés

Nabil Bourassi

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Commentaires 8
à écrit le 04/08/2019 à 20:30
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Réponse à # apo: vous semblez tout ignorer de l'hydrogène. le rendement pour produire de l'hydrogène est exceptionnel ce qui en fait le combustible le moins cher, l'essence et le gasoil peuvent toujours s'accrocher ,ils sont largués et cela ne fait s...

à écrit le 03/08/2019 à 18:05
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La voiture telle qu'on la connait aujourd'hui est une manifique réussite, mais aujourd'hui ce modèle a semble-t-il vécu.L'électrique ne semble pas la remplaçante idéale. Probablement la voiture hydrogène pourrait complètement rechanger la donne du f...

le 04/08/2019 à 19:39
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L'hydrogène a aussi plusieurs défauts : -C'est le gaz le plus volatile qu'il soit. Une pile est par définition explosive. -pour produire de l'hydrogène (il n'existe presque pas à l'état naturel), il faut le faire à partir de nucléaire ou autre(gas ...

à écrit le 03/08/2019 à 12:56
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La voiture a été un formidable outil de liberté, et c'est cela qu'il faut tuer. La pseudo pollution n'etant qu'un pretexte, la preuve, la voiture connectée, celle du "progrés" ne nous permettra pas d'aller ou on veut, mais là ou l'IA le decidera.

à écrit le 02/08/2019 à 20:54
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La voiture électrique est une impasse à laquelle seule les politiciens font semblant de croire mais qu'ils se gardent bien d'acheter autrement qu'avec de l'argent public pour l'administration : lesquels roulent à titre privé en voiture électrique auj...

à écrit le 02/08/2019 à 19:14
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Merci pour cette étude intéressante. La valorisation des groupes automobiles est presque nulle... Regardez des groupes comme Autozone, Carmax ou Oreilly, des vendeurs de pièces détachées / vendeurs de voitures d'occasions / mandataires dont la val...

à écrit le 02/08/2019 à 18:39
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Compte tenu de l'incertitude des normes, de la conjoncture économique mondiale, des questions sur la VE, l'heure n'est pas au remplacement d'une voiture, et ça va durer, malgré les inévitables promos, voire primes à la casse qui devraient fleurir. ...

à écrit le 02/08/2019 à 15:26
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"Catherine Garrigues ne croit pas non plus à une explosion du marché de la voiture électrifiée" Avec une Zoé à plus de 30000 euros (n'importe quoi !) il n'y aura aucune explosion c'est une certitude et même pire les gens hésiteront à acheter du c...

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