Comment Valeo se transforme en une entreprise « French tech »

Valeo fait la course avec la Google Car. L’équipementier français a présenté ce vendredi à Paris aux Invalides une voiture autonome qui roule toute seule, sans intervention humaine sur les pédales et le volant. Conçu avec l’aide de Safran, ce véhicule n’est pas encore autorisé à rouler, mais traduit bien la stratégie du groupe qui est devenu leader mondial des capteurs, scanners lasers et caméras de conduite et veut conquérir le marché de la voiture du futur. Son directeur général, Jacques Aschenbroich, un X-mines, vient de présenter aux investisseurs son nouveau plan stratégique à cinq ans. A la tête d’une entreprise devenue au sein du CAC 40 une valeur Nasdaq, il n’exclut pas des acquisitions et suit de près les initiatives prises par les Gafa, notamment la Google Car…
« L’avenir, c’est par exemple la clé connectée dans le portable » Jacques Aschenbroich, directeur général de Valeo.

LA TRIBUNE - Vous venez de présenter à Londres aux investisseurs votre nouveau plan stratégique à cinq ans avec un cours de bourse en plein envol. Satisfait du travail accompli ?

Jacques Aschenbroich - Ce résultat et les succès que nous avons obtenus, c'est d'abord le fruit du travail des équipes de Valeo depuis cinq ans. En 2009, au cœur de la crise, quand toutes les entreprises se restructuraient, coupaient dans leurs dépenses de R et D, réduisaient leurs investissements, nous avons eu le courage, ou l'inconscience, d'augmenter nos dépenses de recherche, et de relancer nos investissements pour croître en Asie, et particulièrement en Chine, où nous avons multiplié par cinq notre chiffre d'affaires en 5 ans.

C'est, je crois, l'acte fondateur du redressement de Valeo. Bien sûr, nous avons aussi adapté nos capacités de production, de même que nous avons transformé en profondeur notre organisation, en 4 pôles, qui ont une responsabilité mondiale, alors qu'elle était fragmentée en 135 divisions et ne correspondait plus à l'organisation mondiale de nos clients. C'est tout ce travail qui nous a permis d'enrayer le déclin du chiffre d'affaires et de la marge, qui avait chuté à moins de 3%. À Londres, lors de notre journée investisseurs le 16 mars, j'ai rappelé que depuis 2010, nous avons retrouvé le chemin de la croissance et de la rentabilité : Valeo a cru de plus de 8% par an, nos marges ont été multipliées par deux et demi pour atteindre 7,2% en 2014, et nous nous sommes remis à créer de la valeur.

Ce n'est pas la fin de l'histoire, mais le début de l'histoire. Grâce à la croissance de nos prises de commandes, qui sont passées d'une moyenne de 8,8 milliards d'euros entre 2005 et 2009, à plus de 17,5 milliards en 2014. En cinq ans, nous avons donc doublé le niveau de nos commandes, Valeo a en portefeuille 85% du chiffre d'affaires de 2017 et 50% de celui de 2019, ce qui signifie que nous avons une très grande visibilité de notre croissance et de nos marges futures. Dans notre métier, une commande enregistrée aujourd'hui crée de la croissance deux ans plus tard, le temps de développer le produit, puis génère du chiffre d'affaires sur cinq ans. Cette visibilité nous permet de continuer à investir fortement dans l'innovation. L'an dernier, Valeo a investi 1,1 milliard d'euros en R et D soit le double de 2009, et nous allons poursuivre cet effort d'innovation dans les années qui viennent, pour continuer à développer de nouveaux produits.

Quels ont été les résultats obtenus ?

 Cette politique a eu des effets spectaculaires : une croissance de plus de 8% par an depuis 2010 et une rentabilité forte avec une marge à 7,2% en 2014. Aujourd'hui, notre préoccupation majeure est désormais de poursuivre cette croissance et de la contrôler. En cinq ans, nos effectifs ont augmenté de 25.000 personnes ce qui nous a fait passer de 50.000 à 75.000 salariés. Parallèlement, nous avons ouvert 22 nouvelles usines et augmenté d'un tiers nos surfaces industrielles.

Aux investisseurs, lors de notre précédent plan quinquennal, j'avais dit que sur la période 2010-2014, nous ferions 3 points de croissance de plus que le marché : nous avons fait 4 points de mieux soit une croissance annuelle de 8,2%. Nous avons aussi rééquilibré nos ventes entre l'Europe, passée de 70% à 49%, et l'Asie, passée de 12% à 28%. Enfin, nous avons fait remonter notre marge opérationnelle de 3% à 7,2% en 2014, et porté de 8% à 20% le taux de ROA (rentabilité des capitaux investis).

Les résultats sont là et l'évolution de notre cours de bourse le reflète : il a été multiplié par 12 depuis mon arrivée en 2009 et par 5 depuis la crise de 2007. Cette surperformance de Valeo par rapport au marché et au secteur a permis à notre titre de revenir l'an dernier au sein du CAC 40.

Pourrez-vous réitérer ces performances à l'horizon 2020 ?

Une nouvelle histoire commence. À l'horizon 2020, nos innovations technologiques vont continuer à nous faire croître fortement. Ma conviction, fondée sur la réalité de nos carnets de commandes, c'est que d'ici notre prochaine réunion investisseurs en 2020, Valeo continuera sur un rythme de croissance élevé, tiré par le cercle vertueux de ses innovations. Dans un marché qui devrait progresser en moyenne de 3% par an, nous anticipons une croissance de cinq points de plus, soit 8% ce qui signifie que le chiffre d'affaires passera de 12,7 à plus de 20 milliards en 2020. Cette forte croissance devra rester rentable : nous visons une marge comprise entre 8 et 9%, mais nous avons le potentiel d'être proche de 9%.

Vous tablez sur une croissance organique ou bien envisagez-vous des acquisitions, que pourrait faciliter votre performance boursière ?

L'important pour nous demeure la croissance interne. Une entreprise qui ne croit pas de façon organique, grâce à ses innovations et à sa compétitivité, s'étiole et disparaît. Néanmoins, nous n'excluons pas, si des opportunités venaient à se présenter, de faire des acquisitions à condition que ce soit dans un secteur très technologique, en forte croissance et en position de leadership.

Avez-vous des cibles ?

Nous regardons en permanence...

Au salon CES Las Vegas en 2014, CNN a fait un reportage en titrant « Valeo the Tech Company ». Depuis le salon CES 2015, votre cours de bourse a connu une progression digne des valeurs du Nasdaq. Vous allez devenir une valeur technologique ?

Je crois que cette performance boursière est due à l'accumulation de plusieurs choses : nos bons résultats de 2014, l'arrivée à maturité de plusieurs innovations, et surtout selon moi le fait que de plus en plus d'investisseurs comprennent notre modèle de croissance. Et ont confiance dans notre capacité à croître de façon rentable dans les années à venir.

Comment comptez-vous réussir ce pari ?

L'excellence opérationnelle, la maîtrise de nos coûts et notre compétitivité dans toutes les régions du monde, notre dynamisme commercial et surtout la qualité de notre R et D sont à la base de notre confiance. Nous avons par exemple développé quatre nouveaux produits sur lesquels nous avons acquis une position de leader mondial, avec des prises de commandes très fortes. Premier exemple, les capteurs ultrason qui servent à avertir l'automobiliste des obstacles quand il se gare, le fameux bip bip bip : nous en avons déjà vendu 450 millions dans le monde et nous allons en vendre le double d'ici 2020. Ces capteurs sont devenus un standard du marché automobile. Deuxième innovation, les caméras de recul qui servent à faciliter le parking et améliorent la sécurité en marche arrière : plus de 10 millions de ces caméras que nous avons développées ont été vendues depuis 2009 et cinq fois plus le seront d'ici 2020. Valeo est aussi le premier équipementier à avoir lancé avec PSA Peugeot Citroën, le système Stop & Start qui arrête le moteur à l'arrêt et le redémarre automatiquement. Cette innovation très performante pour réduire les émissions de CO2 a été vendue à 8 millions d'exemplaires et nous avons en projet d'en produire 40 millions dans les années qui viennent. Enfin, quatrième produit innovant, les convertisseurs de couple pour boîtes automatiques ont été produits à 14 millions d'exemplaires et nous prévoyons d'en vendre près de 20 millions d'ici à 2020.

Comment voyez-vous évoluer le marché automobile dans les années qui viennent ?

L'industrie automobile est en plein bouleversement. Deux tendances guident le secteur : les réductions des émissions de CO2 notamment tirées par les réglementations. Et la demande pour des voitures connectées, intuitives. La réglementation va exercer une pression croissante. En 2021, l'Europe exigera des constructeurs que leur gamme de véhicules émette en moyenne moins de 95g de CO2 contre 135g aujourd'hui. Cela va accélérer l'innovation. En ce qui concerne la voiture connectée, la réglementation n'intervient que peu pour l'instant, par exemple avec l'installation en série de l'appel automatique en cas d'accident ou encore avec la caméra de recul, réclamée par les compagnies d'assurance. La demande vient avant tout des consommateurs. Quand on voit le temps perdu dans les embouteillages, le concept de voiture autonome prend tout son sens. Dans le futur, qui ne voudra pas faire de sa voiture son deuxième bureau ou bien un espace de loisirs ? Ces innovations se diffusent lentement, mais lorsqu'elles arrivent, le client qui en bénéficie ne veut plus s'en passer : c'est ainsi que Valeo a déjà vendu 5 millions de systèmes de parking assistés, le « Park4U ». L'avenir, c'est par exemple la clef connectée dans le portable, et bien entendu la voiture en pilotage automatique.

Notre vision, c'est que la voiture de demain sera plus propre, plus connectée et de plus en plus autonome. Je ne crois pas en la matière au grand soir. Si on appelle niveau 5 la voiture 100% autonome, nos technologies permettent déjà de produire un véhicule de niveau 3 ou 4 comme celui que nous avons présenté vendredi aux Invalides. Mais la réglementation actuelle ne permet pas de commercialiser un tel véhicule, car une convention internationale, la convention de Vienne, impose que le conducteur ait le contrôle de son véhicule, en particulier en permanence les deux mains sur le volant. Dans notre projet de « conduite intuitive », le conducteur doit pouvoir s'adapter au "pilotage autonome" du véhicule, mais pouvoir reprendre le contrôle en moins de dix secondes.

Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire en terme de changement de vos marchés ?

Il faut distinguer entre les produits standards, qui représentent 80% de nos ventes en 2014 et dont la progression est estimée à 2% par an, et les leviers de croissance, c'est-à-dire les innovations qui permettront de fabriquer des voitures plus propres et connectées, pour qui le potentiel est de 25% par an et plus. Cela veut dire qu'en 2020, la proportion de nos ventes sera plus proche de 50% pour les produits standards, 50% pour les nouveaux produits. On a une vision très claire de ce que sera notre croissance future et des domaines où nous voulons investir.

Le marché chinois explose, mais les ventes de voitures stagnent en Europe. Quelles conséquences pour Valeo ?

Dans les pays matures, occidentaux, la croissance du marché automobile sera selon nous du même ordre de grandeur que la croissance du PIB : 1 à 2% en Europe, un peu plus de 3% aux États-Unis. Le potentiel de la Chine reste énorme, car avec 80 voitures pour 1.000 habitants, ce pays reste loin de la moyenne mondiale (130/1000) et encore plus de nos standards 600 en Europe, ou 800 aux États-Unis.

Pour bien comprendre les tendances du marché automobile, il faut aussi regarder comment évolue la stratégie des constructeurs. On assiste en effet à une segmentation de plus en plus forte du marché avec le développement de gammes et de modèles de plus en plus variés, pour répondre aux attentes de consommateurs à la recherche de produits personnalisés. Dans le même temps, les industriels nous demandent à nous, équipementiers, de leur proposer des produits de plus en plus standardisés et livrés en « juste à temps ». Cela a un fort impact sur l'organisation et l'implantation de nos usines.

Valeo a surperformé en 2014 les marchés en Europe avec une croissance de 9% trois fois supérieure à celle du marché. Cela s'explique par nos nouveaux leviers de croissance. Tout l'enjeu est de faire de ces produits les futurs standards du marché. C'est ce que nous avons, par exemple, réussi à faire avec les capteurs ultrason et les caméras de recul.

Le véhicule à 2 litres est-il réalisable ?

Pour l'instant c'est surtout un slogan. Pour construire un tel moteur, il n'y a pas de réponse unique et il y a surtout encore un très gros travail avant d'y parvenir à des prix qui soient abordables pour les consommateurs. L'un des enjeux, c'est de réduire la cylindrée, mais pour cela, il faut régler le problème des vibrations du moteur à bas régime. Nous avons développé une solution en ce sens. Il faut aussi que le moteur reste puissant. Valeo a développé pour cela un superchargeur électrique, qui permet de booster la réactivité instantanée d'un moteur. Nous venons de le vendre à un grand constructeur allemand, Audi, qui sera le premier à le proposer en série sur ses prochains modèles.

L'une des grandes technologies d'avenir, c'est le véhicule hybride, un moteur à combustion optimisé renforcé par un moteur électrique. L'idéal serait une voiture qui serait électrique en ville et qui serait relayée au-delà de 50 kilomètres par un moteur à combustion.

Et puis il y a la pile à combustible qui fonctionne à l'hydrogène, à l'image de la Mirai développée par Toyota. Le Graal, ce serait une voiture hybride rechargeable au prix du diesel.

Que fait Valeo dans ce domaine ?

C'est difficile de faire des scénarios à 15 ou 20 ans. On a décidé d'avoir des briques technologiques pour être en mesure de répondre à tous les besoins du marché, quel que soit le cas de figure. Cela veut dire développer des innovations dans tous les domaines : embrayage et double embrayage, convertisseur de couple, absorbeur de vibration, superchargeurs électriques pour améliorer les moteurs à combustion ; stop & start et électronique de puissance pour les moteurs hybrides. Sur la pile à combustible, on travaille sur la thermique des flux d'air.

La voiture autonome et connectée, c'est pour quand ?

Certains de nos clients disent 2020. Au salon CES, Audi et Daimler ont fait des tests impressionnants cette année et Valeo a présenté une voiture qui circulait de façon totalement autonome dans les rues de Las Vegas, mais il y aura nécessairement une longue période de transition avant de voir ces véhicules se généraliser. Il faudra aussi régler les questions de réglementation et de responsabilités, pour lesquels des groupes de travail entre les États et les acteurs du marché ont commencé. Pour sa part, Valeo a décidé de se concentrer en priorité sur la question de la faible vitesse en ville. Nous sommes aussi leader mondial sur l'aide au parking et la voiture qui se gare seule. Pour cela, nous avons développé un ensemble de composants, capteurs et caméras, qui entourent la voiture. C'est ce que j'aime appeler les yeux et les oreilles de la voiture. Nous développons également des logiciels  pour fusionner tous ces éléments, les rendre intelligents, pour en quelque sorte créer le « cerveau » de la voiture. Nous travaillons avec de nombreux partenaires, par exemple : Mobileye, spécialisé dans les caméras frontales, Peiker, le spécialiste allemand de la télématique dans les voitures, et le groupe français Safran. Ces coopérations technologiques sont essentielles pour aller plus vite. Nous devons faire de l'open innovation.

Que veut Google avec sa voiture autonome ?

Nous observons avec intérêt l'arrivée des géants d'internet et de l'électronique grand public dans l'automobile. Personne ne sait encore très bien ce que va devenir la Google, Car. Veulent-ils capter les données ? Créer des applications et des logiciels pour les vendre aux constructeurs automobiles ? Construire et vendre des voitures ? J'ai l'intuition que ce sont les données qui intéressent le plus ces groupes. Dans tous les cas, j'espère que ce seront pour Valeo des partenaires ou de nouveaux clients. Ceci dit, il faut que nous restions attentifs et presque paranoïaques face au risque de voir apparaître de nouveaux produits qui pourraient rendre obsolètes nos technologies.

Et Tesla ?

 Elon Musk a clairement changé les codes de la voiture. Le moteur électrique permet à de nouveaux entrants de devenir des constructeurs automobiles. Tesla change aussi le mode opératoire de la voiture. De plus en plus, le client veut avoir la même interface dans sa voiture que celle que lui procure son smartphone. Tesla a remplacé les cadrans par un écran.

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Commentaires 3
à écrit le 22/04/2015 à 12:34
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qui assure le vehicule le constructeur ou le passager et en cas d'accident a qui la responsabiite

à écrit le 28/03/2015 à 21:20
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Un X mines contre google , apple , tesla et consorts ,ça finit généralement en bull .. ces types ne sont pas conçus pour raisonner "en dehors de la boite". 1,2,3 vous allez vous faire disrupter ...

le 30/03/2015 à 9:57
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@vvvvv abandonnons tout de suite alors... Qu est ce qu'il ne faut pas entendre. Dans tous les cas même si le concept voiture ne marche pas, tu gagnes en visibilité sur les composants. Sors de ta "bull"

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