LA TRIBUNE - Pour les grands acteurs de l'automobile, l'année 2020 a été compliquée mais moins que ce que nous avons pu craindre... Peut-on tirer le même bilan pour l'ensemble de la filière ?
MARC MORTUREUX - Pour bien comprendre l'année 2020, il faut garder en tête qu'avant-même la crise sanitaire, elle s'annonçait déjà en quelque sorte comme l'année de tous les dangers. De quoi s'agissait-il ? Il y avait des éléments structurels comme les nouvelles réglementations CO2 ou l'accélération de la baisse du diesel, mais aussi, au plan conjoncturel, l'amorce de la fin de ce cycle haussier qui a caractérisé l'industrie automobile de ces dernières années. C'est donc dans ce contexte qu'est survenue de manière spectaculaire la crise sanitaire qui a stoppé net l'activité industrielle tout au long de la chaîne, sans exception. Néanmoins, la filière s'est montrée particulièrement réactive en parvenant à mettre au point, dès le mois de mai, un plan de soutien avec le gouvernement qui nous a permis de rebondir très vite après le déconfinement. Notre démarche était de préparer un stimulis de marché très fort sur une période courte pour garantir un redémarrage. Il s'agissait d'un soutien à la demande, mais aussi à l'offre en soutien à l'investissement et à l'innovation. Ce qui a permis un rebond du marché dès juin-juillet.
C'était un rebond piloté par l'aide publique...
Pas seulement. La filière a affronté cette crise dans une bien meilleure santé financière qu'elle ne l'avait fait lors de la crise des subprimes de 2008. Les entreprises qui ont été le plus impactées au sein du tissu industriel des PME et ETI de la filière, sont, en réalité, celles qui étaient déjà fragilisées avant même la crise sanitaire.
La filière a donc gagné en résilience par rapport à la précédente crise ?
Le contrat de filière que nous avions élaboré en 2018 a permis à la filière de s'engager résolument dans la transition énergétique. Et elle a effectivement investi, massivement, et n'a pas été prise de court lorsque le marché, notamment de l'électrification, s'est accéléré cette année. C'est aussi un élément qui explique que la filière a pu rebondir rapidement. Et le plan de soutien que nous avons négocié avec l'Etat a permis de pérenniser cette démarche en donnant les moyens aux entreprises de poursuivre ces efforts sans précédent de R&D sur les enjeux du futur de la mobilité. Le risque pourtant était grand de voir ce processus de transformation faire une pause et prendre du retard sous l'effet de la crise.
Le bilan de l'année n'a donc pas été aussi catastrophique...
Dès juin-juillet, nous avons retrouvé un niveau d'activité dynamique et avec des carnets de commande bien orientés. Nous avons également réduit l'écart qui nous séparait de la moyenne européenne au plus fort de la crise après un effondrement de -72% en mars puis de -89% en avril. Mais soyons clairs : cette crise est d'une ampleur exceptionnelle, y compris en la comparant à la très difficile crise de 2008-2009. Avec une chute du marché de -25,5%, l'année 2020 correspond à un retour en arrière de près de 50 ans.
Comment se présente l'année 2021 ?
Elle est marquée par beaucoup d'incertitudes et d'inquiétudes. Il est compliqué de se projeter alors même que l'impact macroéconomique risque de se traduire par une hausse du chômage et peser sur le moral des ménages. En outre, nous constatons d'importantes difficultés liées à des pénuries de composants électroniques, ou à des variations importantes sur les matières premières notamment l'acier ou le plastique.
Il y a d'importants rendez-vous cette année pour la filière, notamment avec les pouvoirs publics. Quels en sont les enjeux ?
L'enjeu est de préparer la filière à l'automobile de demain, à horizon 2030. Il y a beaucoup de défis technologiques, liés à la transition énergétique, qu'il s'agisse par exemple des batteries ou de la pile à combustible, d'électronique de puissance, mais aussi de connectivité... Et des enjeux d'investissement considérables. La France dispose de vrais atouts et d'abord d'acteurs de premier plan, constructeurs et équipementiers, fournisseurs. Si elle veut tirer le meilleur de ses atouts, elle doit aujourd'hui basculer dans une logique écosystémique, en intégrant des acteurs d'horizons aussi différents que les infrastructures énergétiques, les télécoms, les entreprises du numérique.... C'est l'un de nos grands défis.
Faut-il élargir la PFA ? Ou est-ce à l'Etat d'être le chef d'orchestre de ce big bang ?
La PFA a son rôle à jouer en cristallisant ces collaborations autour de projets concrets d'innovation pour réinventer l'automobile et la mobilité de demain. C'est ce que nous faisons, par exemple, pour l'expérimentation à grande échelle en France du véhicule autonome, avec un consortium qui réunit acteurs de l'automobile, de la mobilité, du transport public mais aussi les territoires. Afin de mobiliser les investissements nécessaires à la réalisation de ces projets, nous avons besoin de l'Etat et des collectivités locales pour renforcer l'attractivité de nos territoires, et améliorer notre compétitivité.
Il faut une vraie prise de conscience pour faire travailler des entreprises aux univers très différents, sur des projets qui restent à définir...
Cette prise de conscience est déjà largement partagée, au sein de la filière automobile et bien au-delà parmi les entreprises qui s'intéressent à la mobilité du XXIème siècle. D'autant que nous disposons en France, dans bien des domaines, d'acteurs majeurs qui peuvent légitimement s'inscrire dans cette nouvelle chaîne de valeur.
Et l'Etat dans tout ça?
Nous avons avant tout besoin d'un cadre réglementaire et fiscal stable parce que l'automobile est une industrie complexe. En Europe, se discute aujourd'hui une réforme de grande ampleur d'un cadre mis en place il y a seulement deux ans... En France, à court terme, l'attente majeure vis-à-vis des pouvoirs publics est d'accélérer sur les infrastructures de recharge. On a pris beaucoup de retard alors même qu'en 2020, malgré la crise, à la faveur des investissements considérables engagés par les constructeurs, le marché du véhicule électrique a décollé. C'est devenu une exigence d'avancer sur le sujet si l'on veut être au rendez-vous de la transition écologique.
Propos recueillis par Nabil Bourassi
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