Une crise peut en cacher une autre... Après avoir été durement éprouvée par la crise du Covid en 2020, l'industrie automobile doit affronter celle de la pénurie de semi-conducteurs. Alors que les constructeurs automobiles français sont contraints de couper les lignes de plusieurs usines faute d'approvisionnements de cette pièce électronique, le gouvernement français a réuni les différents acteurs de la filière pour des mesures d'urgence. En réalité, tout laisse penser que la pénurie s'est installée pour plusieurs mois.
De quoi s'agit-il ?
L'industrie automobile intègre de plus en plus d'équipements électroniques: contrôle du freinage, direction assistée, gestion du moteur... Les semi-conducteurs permettent de gérer, à la façon de mini-ordinateurs, cette électronique de plus en plus puissante et complexe. Les équipementiers de rang 1 (Valeo, Faurecia, Bosch...) achètent ces circuits imprimés auprès de fabricants d'électroniques comme Texas Instruments, Infineon ou STMicroelectronics. Eux-mêmes (à l'exception de STMicroelectronics), se fournissent auprès de fondeurs, puis de graveurs. Bercy estime qu'il existe sept fabricants d'électronique qui contrôlent 90% du marché mondial. Mais il existe un fondeur qui contrôle 70% du marché en amont, le taïwanais appelé TSMC. Seul le franco-italien STMicroelectronics a préféré internaliser l'activité fonderie sur le site de Crolle près de Grenoble.
Comment est-on arrivé à cette situation de pénurie?
La crise des semi-conducteurs ressemble à une réplique de la crise du coronavirus. Après un effondrement des ventes au premier semestre, les constructeurs ont mal anticipé la vigoureuse reprise qui a suivi. Les équipementiers, qui n'avaient pas davantage vu venir cette reprise, ont puisé et épuisé leurs stocks de puces électroniques. En outre, la reprise du deuxième semestre s'est surtout faite autour de voitures électrifiées, où l'électronique joue un rôle beaucoup plus important, ce qui a ajouté de la tension sur l'approvisionnement en semi-conducteurs. Enfin, les fabricants d'électronique privilégient en général les biens de consommation (téléphones portables, consoles, tablettes...) D'autant que l'arrivée de la 5G relance les besoins d'équipements en téléphone ce qui accroît la demande de semi-conducteurs. L'industrie automobile représente une part minoritaire de la demande de puces, moins de 10% du marché mondial en volume, d'après Bercy. Et encore moins en valeur, tant les prix sont serrés... Les fabricants ont donc relégué les constructeurs automobiles au second rang de leurs priorités.
Pourquoi la pénurie risque de durer encore longtemps ?
Plusieurs phénomènes se télescopent. Côté offre, il y a des temporalités incompressibles. Le principal frein est l'augmentation des capacités en gravures des pièces après leur sortie de fonderie. D'après Bercy, il faut compter entre un an et un an et demi pour installer ces machines de litho-gravures. Côté demande, il y a un effet entonnoir qui sature le marché avec deux phénomènes qui se couplent : une demande plus forte qu'attendue, et la reconstitution des stocks. Le ministère chargé de l'Industrie évalue la demande sur le mois de janvier supérieur de 40 à 50% par rapport à janvier 2020. Le gouvernement n'attend pas de retour à la normale avec le second semestre. Il a réuni les acteurs de la filière pour trouver des solutions à court terme comme des solutions de substitution ou l'identification de stocks résiduels. Il existe également un enjeu de meilleure compréhension de la chaîne d'approvisionnement pour identifier les points de friction de cette chaîne de valeur.
Quelles conséquences industrielles ?
Les chiffres les plus fous circulent quant à l'impact industriel de cette pénurie. D'après l'institut IHS Market, le marché automobile mondial pourrait être amputé d'environ 700.000 voitures au premier trimestre. Mais pour Bloomberg, le coût de cette crise pourrait dépasser les 60 milliards de dollars sur l'ensemble de l'année ! De fait, de nombreux constructeurs ont commencé à réduire leur production faute de semi-conducteurs. Ford a annoncé qu'il était contraint de réduire fortement la production de son F-150, un modèle connu pour être sa principale "vache à lait". Il estime qu'il pourrait perdre jusqu'à 2,5 milliards de dollars à cause de cette crise. Côté français, les constructeurs annoncent également des suspensions de production sur plusieurs sites: trois jours à Sandouville, Tanger et Saragosse pour Renault, tandis que le site de Poissy de PSA (aujourd'hui Stellantis) semble en sursis...
Quel impact géopolitique ?
La pénurie de semi-conducteurs a pris un tour géopolitique tant les enjeux industriels sont importants. Le gouvernement taïwanais, sous pression internationale, a officiellement demandé à TSMC d'accélérer la fonderie de pièces pour réapprovisionner les constructeurs automobiles, quitte à réallouer ses capacités au détriment d'autres secteurs. Côté français, le gouvernement veut tirer des conclusions à long terme. Il veut consolider la stratégie de STMicroelectronics de fabriquer ses puces sur le territoire national.
Bercy a indiqué que dans le cadre du plan Nano 2022 qui s'est vu attribuer le statut de "projet important d'intérêt européen commun", l'entreprise pourra renforcer ses capacités à fondre et à graver ses puces en France. D'une manière générale, Bercy veut poursuivre son travail de relocalisation de capacités de production dans l'électronique. C'est un des objectifs du plan de relance.
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