
LA TRIBUNE - Les constructeurs automobiles ont investi énormément d'argent dans des stratégies d'électrification avec des mesures spectaculaires comme la transformation de marque dans des gammes exclusivement électriques. Considérez-vous que la bascule des industriels est désormais acquise, conformément à ce que vous défendez depuis de nombreuses années ?
KARIMA DELLI - Aller sur l'électrique, c'est bien, mais il ne suffit pas de dire "on bascule dans l'électrique comme ça". Ce n'est pas suffisant. Il faut d'une part mettre en place une transition qui soit juste pour tout le monde et prendre en compte les conséquences sociales de cette transition. Il s'agit de relocaliser et d'accompagner les salariés dans cette transformation, notamment à travers des programmes de formation vers des nouveaux métiers. Il faut une feuille de route avec une perspective sociale. J'observe que les plans de relance qui ont été accordés aux constructeurs automobiles, sans aucune conditionnalité, n'ont pas empêché des fermetures d'usines. Et d'autre part, la voiture électrique n'est pas la solution miracle à tous les problèmes de la mobilité.
Les constructeurs vous rétorqueront que le rythme imposé par la réglementation européenne, que vous défendez, va inéluctablement conduire à des fermetures d'usines... En France, la PFA a évoqué le chiffre de 50 à 90.000 pertes d'emplois.
Je me réjouis que la Commission européenne tire enfin les leçons du dieselgate, et des conséquences de la grande maladie du XXIème siècle qu'est la pollution de l'air. La mise en place de strictes mesures quant à la pollution de l'air est essentielle pour notre santé. La Commission a d'autre part décidé d'interdire la commercialisation des nouveaux moteurs thermiques en 2035, dans l'optique de protéger notre planète. C'est une interdiction absolue, c'est-à-dire que Bruxelles ne voudra plus entendre de moteurs ronronner sous le capot d'une voiture neuve à cette échéance. Pour autant, plusieurs problèmes semblent faire obstacle à cet objectif. Le premier problème c'est que la France veut s'y opposer. Lorsque le président Macron annonce qu'en 2030, il souhaite que la France produise deux millions de voitures électrifiées et hybrides, il fait fausse route. En 2035, toutes les voitures thermiques neuves seront interdites, y compris les hybrides. Cela signifie que c'est maintenant que l'industrie automobile doit se préparer. Et ce n'est pas en retardant l'échéance des normes, comme semble vouloir le faire le gouvernement français, que nous aiderons l'industrie française à y arriver. Et pendant ce temps-là, les concurrents, eux, s'engagent plus massivement dans la transition écologique. Si nous ne faisons rien maintenant, nous courons à notre perte. À l'inverse, en accélérant la transition écologique, nous pourrons renouer avec une dynamique positive pour l'emploi.
La France a-t-elle pris la tête de l'opposition à la Commission contre ce projet de sortie du thermique, contrairement à l'Allemagne ?
Il y a un double discours dans le gouvernement actuel qui consiste à dire d'un côté "nous voulons être leader de l'électro-mobilité en Europe", et d'être, à Bruxelles, porte-parole des constructeurs automobiles qui utilisent, comme d'habitude, la désinformation que ce soit sur la norme Euro 7 ou sur la sortie du thermique en 2035. Si on veut être l'avant-garde de la mobilité électrique, comme le clame le gouvernement français, il faut accélérer maintenant. Pas demain, maintenant. Je dis au gouvernement français que je compte sur lui pour accompagner les industriels dans cette transformation.
D'après les représentants de la filière, ce n'est pas tant les constructeurs qui sont menacés que le tissu de fournisseurs...
Avec la crise du Covid-19, les industriels ont découvert à quel point ils avaient délocalisé leur chaîne d'approvisionnement. Pourquoi n'a-t-on pas notre propre filière de semi-conducteurs en France qui prétend pourtant vouloir être leader ? Et cette transformation recèle de nombreuses opportunités de création d'emplois. Regardez le rétrofit qui permet de remplacer un moteur thermique par un moteur électrique. Oui, il y a un enjeu pour la filière, par exemple le recyclage des batteries. Cela fait des années que je réclame, avec d'autres, des Assises nationales pour permettre à cette filière qu'elle soit dans le train de la Transition écologique. Cela se prépare, et cela ne se décrète pas d'un claquement de doigts dans un discours présidentiel.
La voiture électrique, cela coûte cher, le rétrofit aussi...
Il faut investir massivement pour que les économies d'échelle permettent de baisser les prix. Ma conviction c'est que la mobilité de demain sera nécessairement accessible et inclusive. Il faut tirer les leçons du mouvement des Gilets Jaunes.
Vous avez évoqué l'échéance de 2035, mais également celle d'Euro 7 qui doit redéfinir les nouvelles normes des motorisations et entrer en vigueur en 2025. Les constructeurs expliquent que les premières pistes retenues seront tellement sévères, qu'elles vont précipiter encore un peu plus les choses, au point que les petites voitures ne seront plus éligibles à un tel surcoût, et que cela va favoriser les SUV, que vous dénoncez...
La vraie question c'est pourquoi les constructeurs ont tant investi dans les SUV qui occupent autant de place dans l'espace public et dont les émissions de polluants sont beaucoup plus élevées. Et sur ce sujet, les constructeurs recommencent leur entreprise de désinformation, en expliquant que le législateur ne peut pas intervenir dans la santé des gens. Il faut qu'ils comprennent que nous ne sommes pas de grands méchants contre l'industrie automobile. Je vous invite à lire le rapport de la fondation Nicolas Hulot et de la CFDT (publié en juin dernier, NDLR). Tout est dedans sur les dangers qui pèsent sur le climat si nous n'agissons pas immédiatement. Nous tendons la main à la filière pour les aider à accomplir cette révolution.
La main ou le bâton ?
Les comportements commencent à changer. Les automobilistes changent et retrouvent le sourire. Et la transformation viendra des usages. Nous allons accompagner tout le monde dans ce nouveau projet, et vous verrez que les constructeurs retrouveront aussi le sourire.
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