Étudiants architectes : la « génération climat » veut une construction frugale

Devenir le nouveau Le Corbusier ou le prochain Jean Nouvel ne semble plus faire rêver les étudiants en architecture. Très concernés par le changement climatique, ils préfèrent se consacrer à une construction frugale et respectueuse de l’environnement plutôt que d’imaginer des bâtiments emblématiques comme leurs illustres prédécesseurs. (Cet article est issu de T La Revue n°11 - « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Rachel Mc Dermott / unsplash)

Qui seront les futurs Jean Nouvel, Renzo Piano, Ieoh Ming Pei, Frank Gehry, Zaha Hadid, Rem Koolhaas, Norman Foster, ces « starchitectes » concepteurs de bâtiments audacieux, innovants et parfois controversés ? Peut-être personne, tant les actuels étudiants en architecture rejettent tout effet « waouh » dans la construction. Ils privilégient la rénovation, la frugalité, les nouveaux matériaux, pour une architecture moins polluante et avide en ressources naturelles. Une « génération climat » très consciente des enjeux : le secteur du BTP représente 43 % de la consommation énergétique et 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) selon le ministère de la Transition écologique. Plus question de bâtir des tours géantes ni de privilégier le béton dont le composant principal, le ciment, pèse 7 % des émissions de CO2. Les aspirants architectes ne semblent plus fascinés par les réalisations prestigieuses comme le musée national du Qatar en forme de rose des sables géante de Jean Nouvel ou la tour Burj Khalifa et ses 828 mètres de béton, d'acier et de verre de l'agence américaine SOM spécialisée dans les gratte-ciel.  « Il est bien sûr difficile de généraliser. Parmi nos étudiants, il existe une avant-garde très engagée, consciente des problèmes écologiques et du rôle que peuvent jouer les architectes pour atténuer l'empreinte carbone du bâtiment » estime Françoise Fromonot, enseignante à l'ENSA Paris-Belleville. Néanmoins, elle reconnaît qu'un certain nombre d'étudiants se voient toujours en bâtisseurs démiurges : « Il s'agit surtout de garçons. Mais il y en a de moins en moins dans les écoles d'architecture. Les filles représentent environ 60 % de nos promotions, et elles sont géniales ! » Une autre évolution récente, c'est l'intérêt des futurs archis pour la rénovation afin de minimiser les destructions, qui coûtent cher et génèrent des gravats. Enfin, ces jeunes essaient d'inventer de nouvelles manières de pratiquer leur profession : « Ils envisagent de travailler en collectif plutôt que de monter leur propre agence. » Son collègue de l'ENSA Paris-Belleville, Patrick Henry, qui y enseigne la conception architecturale et urbaine, est d'accord sur ces constats : « Il existe sans doute des étudiants qui rêvent de devenir un architecte vedette. Mais je constate surtout leur engagement croissant au service de la transformation des villes à travers le réemploi de l'existant ou les matériaux biosourcés. » Il note aussi leur esprit critique devant les tentatives de greenwashing des donneurs d'ordre et aussi leur intérêt pour des pratiques différentes du métier d'architecte : « Ils s'intéressent aux collectifs, au milieu rural et périurbain. Et le modèle classique de l'agence les fait moins rêver. » Comme sa collègue, Patrick Henry se félicite de la féminisation de la profession qui « va certainement changer les choses ».

Déconstruire plutôt que détruire

Léna Basset est l'une de ces jeunes femmes. À 22 ans, elle suit une formation d'architecte à l'ENSA Marseille et d'ingénierie à Polytech Marseille. L'étudiante en double cursus s'inspire des travaux de Sophie Delhay, lauréate 2019 de l'Équerre d'Argent catégorie Habitat, un prix qui récompense une équipe composée du maître d'ouvrage et du maître d'œuvre (architecte et ingénieurs) : « Elle repense la manière d'habiter les appartements. L'idée étant de redécouper le logement en pièces de 13 m2 que l'on utilise comme on veut. Les collocations se multiplient, le télétravail explose et la famille nucléaire avec deux parents et deux enfants existe de moins en moins. L'architecture doit s'adapter aux nouveaux modes de vie. »

L'étudiante cite aussi les parkings silos (à étages) qui pourront être convertis plus tard en logements : « Il faut penser le futur du bâtiment dès sa conception. » Léna Basset connaît peu d'étudiants dans son entourage qui se projettent en « starchitectes » : « Ce que l'on nous apprend, c'est de rester modestes et de mettre en valeur le lieu avec ce qu'on a sous la main. » Pour elle, sa génération est très investie dans l'usage des matériaux bio et géo-sourcés (pierre, terre crue, bois, etc.).

Mais cette utilisation doit être réfléchie : « Si le site de construction est proche d'une centrale à béton, il est peut-être plus sensé de se servir de béton que de bois qu'on fera venir d'Allemagne. » La future architecte préfère déconstruire plutôt que détruire, dans le sillage de Bellastock, une Société Coopérative d'Intérêt Collectif d'architecture « qui œuvre pour la valorisation des lieux et de leurs ressources en proposant des alternatives à l'acte de construire ». À l'avenir, elle compte se consacrer à la rénovation plus qu'à la construction de bâtiments emblématiques. Elle cite l'exemple de l'agence Lacaton & Vassal (prix Pritzker 2021) et en particulier leur travail dans le quartier Grand Parc à Bordeaux sur trois immeubles de logements sociaux des années 1960 auxquels le duo d'architectes a ajouté des balcons en extension et des jardins d'hiver. « Ils n'ont quasiment pas touché à la structure existante et y ont mis des espaces de vie et du confort pour les habitants » apprécie l'étudiante qui se dit « passionnée d'architecture ».

Construire un monde meilleur

Son camarade Maixent Champion, étudiant en master 2 à l'ENSA Bretagne de Rennes, est lui aussi bien décidé à être acteur des changements en cours :« Je me considère avant tout comme citoyen d'une société qui ne va pas très bien. On connaît l'impact écologique de la construction et les enjeux qui en découlent. D'ailleurs, nos enseignants nous sensibilisent à cette problématique. » Il envisage son futur métier comme une manière de construire un monde meilleur, plus écoresponsable et qui réponde à des besoins sociétaux :

« Je n'ai pas envie de devenir la nouvelle "starchitecte" iconique. Mon engagement est de faire bien, en étant proche du réel et des besoins des habitants. » Responsabilité : un terme récurrent dans les propos de Maixent Champion. Celle de l'architecte, du designer, de l'urbaniste, des corps de métiers qui doivent « faire mieux pour le monde de demain ».

Un engagement qui peut paraître un peu strict mais qui, selon l'étudiant, n'empêche pas de « construire du beau, du joyeux, du ludique de manière sobre et respectueuse de l'environnement ». Avant de pratiquer comme architecte, le jeune homme envisage de nourrir sa pratique auprès d'artisans durant quelques années : « J'aime beaucoup les métiers nobles qui travaillent les matières comme le bois, la pierre, la terre crue. L'architecte est souvent mis sur un piédestal par rapport aux ouvriers et artisans et je déteste ça. Il n'y a pas de honte à dire "je ne sais pas" et à apprendre auprès d'eux. » Il pense aussi aller voir à l'étranger avant d'intégrer une agence en France pour se former à son métier. Maixent Champion s'est initié à l'architecture et à la transition écologique dès son bac  sciences et technologies de l'industrie et du développement durable (STI2D) : « Ça m'a tout de suite fait vibrer et m'a permis de me sentir utile et concerné. » Le jeune homme responsable de l'association Archibilisation, qui sensibilise différents publics à l'architecture, est optimiste car sa génération est déterminée à faire évoluer les pratiques de la profession : « Au lieu de construire en adoptant notre environnement à nos usages, il faut faire l'inverse en conservant au maximum les bâtiments et les réhabiliter. »

Révéler la beauté du bâti existant

Rizlaine Jebbari, 22 ans, est un peu moins radicale que ses deux camarades concernant sa future pratique architecturale. Elle est étudiante en alternance à l'ENSA Paris Val-de-Seine, une pratique récente dans son école qui lui convient bien : « Je suis certaine que c'est un bon moyen de rentrer ensuite dans le monde du travail avec une certaine maturité et une vraie légitimité. » Pour elle, il faut apprendre à construire avec ce qui existe déjà :

« Il n'y a plus beaucoup de terres libres. Avec le changement climatique, le rôle de l'architecte est de créer de manière respectueuse. Même si ça n'empêche pas d'imaginer de belles formes. »

L'agence où elle a travaillé pendant un an et demi faisait beaucoup de réhabilitation thermique, un travail un peu trop technique qui ne l'a pas passionnée. « J'ai envie de révéler la beauté des bâtiments existants, qui n'est pas forcément visible au premier coup d'œil » explique-t-elle. Elle cite comme modèles Le Corbusier, Jean Nouvel et le Japonais Tadao Ando, qui travaille le béton et la lumière. Ses habitations au style géométrique et épuré lui vaudront le prix Pritzker (considéré comme le Nobel de l'architecture) en 1995. « Son architecture donne beaucoup de sens au lieu et au paysage » apprécie Rizlaine Jebbari. Elle rejoint ses deux camarades dans sa prise de conscience des enjeux écologiques et compte bien utiliser des alternatives au béton, comme le bois, pour construire de manière plus respectueuse. Elle s'inspire également de Francis Kéré, premier architecte africain à avoir reçu cette année le prix Pritzker, qui construit des bâtiments en terre crue. La jeune femme, à qui il reste une année d'alternance puis un an de plus pour décrocher son habilitation à la maîtrise d'œuvre (HMO), pense commencer sa carrière comme salariée avant de créer sa propre structure : « Je me suis toujours imaginé avoir mon agence et réaliser mes propres projets, plutôt des bâtiments publics qui serviront au plus grand nombre. » Dans son livre Faut-il pendre les architectes ? (Seuil, 2001), l'architecte et journaliste Philippe Trétiack écrivait en 2001 : « On ne peut reprocher à l'enseignement de donner de l'ambition à ceux qu'il forme ; cette hypertrophie mégalomaniaque a d'excellents aspects : dépassement de soi et lyrisme créatif. Mais le revers de la médaille est aveuglant : mépris de l'opinion publique, incapacité bien souvent à nouer le dialogue et à communiquer, à agir autrement qu'en artiste dégagé de toute obligation sociale, promotion encore de l'architecture-objet, de l'architecture-sculpture. » Vingt ans plus tard, nous y sommes : les étudiants ne rêvent plus vraiment de ces grands noms et rejettent ce « lyrisme créatif d'un artiste dégagé de toute obligation sociale ». Nos villes vont peut-être perdre quelques réalisations spectaculaires mais sans doute gagner un environnement urbain moins pollué et moins gourmand en ressources.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2022 à 11:10
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L'habitat idéal en individuel, ce sont les barres de maisons mitoyennes. Pour l'habitat collectif, ce sont les immeubles de quatre à six étages, sans ascenseur. Mais certainement pas ces grandes tours de trente étages et plus

à écrit le 09/10/2022 à 9:47
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La construction, dans le contexte de "la frugalité", se fait hors des villes sur le lieu de production des matériaux !

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