Immobilier : quels liens les Français entretiennent-ils avec leur habitat ?

Les études le démontrent : les Français attachent une grande importance à leur habitat, encore plus depuis la crise sanitaire et les confinements contraints. Se sentir bien chez soi étant l’une des priorités, confort, sécurité, connexion Internet, extérieur, durabilité et respect de l’environnement constituent désormais les grandes attentes. Le développement du télétravail n’a fait qu’accentuer ces tendances. Décryptage. (Cet article est issu de T La Revue n°11 - « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire ? », actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Allure enjouée, sourire bright et bonne humeur à toute épreuve : l'animateur de télé Stéphane Plaza, lorsqu'il apparaît sur le petit écran, suscite la sympathie automatique du téléspectateur. Il faut dire que l'homme sait y faire... Agent immobilier depuis plus de trente-cinq ans et acteur de théâtre à ses heures perdues, il a l'habitude du public et des clients, avec lesquels il joue, s'amuse, jusqu'à emporter leur adhésion et leur carnet de chèques une fois son petit numéro terminé. Au fil des années, Plaza est devenu un phénomène. Sur M6, ses émissions « Recherche appartement ou maison », « Maison à vendre » ou « Chasseurs d'appart' » réunissent toutes les semaines des millions de téléspectateurs. Un engouement tel qu'il a rapidement transformé les goûts et les attentes des Français en matière de logement, formant le modèle dit « Plaza-majoritaire ». Ce concept sociologique, énoncé par l'essayiste Jean-Laurent Cassely dans son ouvrage co-écrit avec Jérôme Fourquet dans La France sous nos yeux (Seuil, 2021), s'intéresse à la façon d'habiter de nos concitoyens. En cernant quel type de résidence, d'aménagement, quelle situation géographique et quelle composition architecturale forment l'habitat idéal des Français, les auteurs se sont aperçus que « la question de l'immobilier, du logement est aujourd'hui centrale dans la vie des Français et dans notre économie ». C'est ainsi que se dessinent des tendances concrètes : vivre en maison plutôt qu'en appartement, avoir un bout de jardin, posséder une terrasse, y installer un barbecue, transformer sa vieille cuisine en cuisine américaine et sa baignoire en douche l'italienne. Cela dénote surtout un changement majeur dans notre mode de vie moderne, la volonté de troquer la vie du dehors pour celle du dedans. Comme si le repli autarcique, le « chacun chez soi » était progressivement devenu la réponse face à une société devenue violente, hostile et angoissante. Cette propension à réinvestir la sphère domestique jusqu'à en faire une des dernières odyssées modernes possibles a fait l'objet d'un livre devenu best-seller : Chez soi, une odyssée de l'espace domestique (La Découverte, 2016) de Mona Chollet. Un livre dans lequel son auteure fait de la maison un espace non hostile « à savourer », échappant à l'empire du calcul, du diktat de l'efficacité et de la rentabilité. « À l'écart d'un univers social saturé d'impuissance, de simulacre et d'animosité, parfois de violence, dans un monde à l'horizon bouché, la maison desserre l'étau » écrit ainsi Chollet. Pour étayer sa thèse, cette dernière raconte l'impression d'angoisse que suscite chez elle et dans son entourage la vie sociale : « Sur Facebook, un jour de février 2014, l'une de mes connaissances confie qu'elle n'aurait "jamais cru vivre une époque comme celle-ci". Il lui semble "que l'air devient irrespirable, que les amis sont rares et lointains, que la solitude est le meilleur refuge". Peu de temps auparavant, une camarade de lycée, qui venait comme moi d'atteindre les quarante ans, me confiait combien, avec le recul, elle enviait le mode de vie insouciant et festif de ses parents dans les années 1970, lorsqu'elle-même était enfant, et combien son quotidien, en comparaison, lui semblait lourd, syncopé, angoissé. Un quotidien asphyxié par la disparition de la confiance en l'avenir. » Et Chollet de conclure : « Me voilà donc, entre mes quatre murs, tentant de préserver des vents froids du dehors une petite flamme d'enthousiasme. » Nos domiciles sont fréquemment devenus des refuges...

Du Netflix & Chill à la civilisation du cocon

Cette mutation de l'habitat des Français, le journaliste Vincent Cocquebert, en observateur avisé des tendances et des modes de vie, la décrypte depuis plusieurs années. Dans son essai La Civilisation du cocon (Arkhê, 2021), ce dernier appelle ses contemporains à « en finir avec la tentation du repli sur soi ». Car la relation nouvelle que nous entretenons avec notre habitation ressemble à s'y méprendre à celle d'une bulle nous permettant de déserter la réalité. Dans son essai, Cocquebert tisse un lien évident entre l'apologie de la vie domestique, la fuite récurrente de nos semblables dans des mondes imaginaires, l'explosion du marché du bien-être, et ce qu'il nomme les « bulles de filtres et pensée magique ». Tout cela constituant « un véritable arsenal de protections physiques et psychiques pour mettre à distance un monde qui nous oppresse ». L'auteur est sévère ou peut-être lucide. Dans son livre, il conspue la « nouvelle société de l'entre-soi, sous perfusion de confort, en passe de nous transformer, petit à petit, en êtres hypersensibles et ne supportant plus le moindre frottement avec la réalité ». Mais surtout, il s'interroge : « Comment sommes-nous passés d'un idéal de la vie "intense" à celui d'un quotidien "subi" que nous préférons fuir, à l'abri derrière nos forteresses de coussins ? Ces bulles sont-elles en train de remplacer, dans nos principales préoccupations, un safe-space commun qui semble aujourd'hui nous échapper : notre planète et celles et ceux qui l'habitent avec nous ? » On le comprend : la question de l'habitat est d'abord et avant tout politique. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce n'est pourtant pas une avancée architecturale ou une nouvelle technique de construction qui a changé la donne en matière d'habitat mais bien le développement fulgurant d'Internet qui a permis la nomadisation des travailleurs. Car pourquoi habiter en ville ou bien en banlieue si les nouvelles technologies nous autorisent désormais à travailler au vert, à l'étranger, loin, très loin du triptyque métro-boulot-dodo ? Pour Cocquebert, cela ne fait aucun doute : le développement d'Internet a permis « la réalisation de ce fantasme latent d'isolationnisme domestique et social avec une domiciliation des loisirs, de la consommation et désormais du travail. Une tendance quasiment entourée d'une aura positive de sédentarisme cool comme l'exprime l'expression populaire "Netflix and Chill". Quelque part, avant même la pandémie de Covid, nous vivions, un peu inconsciemment, et pour une grande partie d'entre nous, des vies préconfinées, pour nous éloigner du monde et d'une altérité perçue comme de plus en plus hostile. Un monde dont on ne partage plus non plus vraiment les valeurs de performance, avec lequel on ne veut plus vraiment "jouer le jeu", et qui de toute manière ne nous attend pas »[1].

Mythe et réalité du fantasme pavillonnaire

Le Covid est évidemment passé par là. Sans toutefois engendrer un monde entièrement neuf, il a installé des goûts différents, de nouveaux rêves et des normes repensées en matière de logement et d'architecture. Parmi ces évolutions, citons la volonté de faire correspondre durabilité et respect de l'environnement. En 2022, on construit en misant sur le grand retour du bois issu de forêts vertueuses, on se lance dans une course effrénée à l'isolation, on voit fleurir des potagers à domicile, des panneaux solaires sur les toitures et des citernes stockant l'eau de pluie pour l'arrosage des jardins. Après avoir été confinés plusieurs mois durant, souffrant de la vie citadine et de ses vicissitudes évoquées plus haut, nos concitoyens plébiscitent ainsi un autre modèle. Si près d'un Français sur deux habite en appartement et dans des surfaces souvent jugées trop petites par rapport aux attentes, les trois quarts préféreraient vivre en maison, plus exactement dans un pavillon, dans un lotissement. « L'idéal reste celui de la maison avec son espace, son jardin pour les enfants, et éventuellement une piscine. C'est l'idéal français depuis les années 1980 », analyse Jean-Laurent Cassely[2]. Pourtant elle-même propriétaire d'une maison dans le Val-de-Marne, Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, a qualifié de « non-sens écologique, économique et social » ce type d'habitations obtenant les faveurs des Français. Une sortie franche qui aura choqué beaucoup de professionnels du secteur de l'immobilier. Car l'honnêteté politique est bien de dire et de répéter que le pourtant séduisant modèle dit « Plaza-majoritaire » a vécu et semble appartenir au passé. Pour s'en assurer, il suffit de se rendre en banlieue parisienne. Tout autour de la capitale, de Clichy à Franconville en passant par Massy et Saint-Germain-en-Laye, des secteurs entiers voient leurs maisons rasées au profit de petits immeubles de quatre à huit étages. Autant de logements pensés pour être plus vertueux, plus économes en énergie et en chauffage, plus commodes aussi pour dynamiser de nouveaux quartiers et permettre l'avènement des mobilités douces et autres transports en commun. Or, la situation s'avère paradoxale : ce qui compte pour les maires et les équipes municipales chargées de l'aménagement du territoire semble se heurte frontalement à l'envie de leurs administrations. Les uns veulent rassembler les populations tandis que les autres ne désirent rien de plus que de posséder leur espace à la manière d'un pré carré. Les premiers pensent équipement collectif tandis que les individus, dès qu'ils en ont les moyens, font venir à eux toujours plus de confort domestique. « Totem de la maison individuelle, la piscine illustre le processus inverse d'un équipement élitiste qui se démocratise vers des couches sociales qui en étaient éloignées, écrit Cassely dans le court essai J'ai Piscine (Aube, 2022). Tout comme le salon d'extérieur en résine tressée, la table en teck, la véranda ou le trampoline (qui a remplacé la balançoire), elle fait désormais partie des marqueurs de la vie périurbaine et de l'univers de la maison individuelle. La logique marketing d'approfondissement des gammes permet à des ménages modestes d'en acquérir des versions alternatives à la traditionnelle piscine enterrée : piscine hors-sol à monter soi-même autour de cinq mille euros, bassin gonflable disponible en grande surface. Jacuzzi ou spa peuvent faire office de mini-piscine sur les balcons ou terrasses des citadins. » Les professionnels du secteur estiment aujourd'hui à 3 millions le nombre total de piscines sur le territoire français, un chiffre en nette progression depuis la crise du Covid. Si la volonté sociologique d'embourgeoisement et l'accessibilité économique de l'équipement sont indéniables, on y verra également la preuve ultime de notre volonté collective de repli et cette propension à fuir l'équipement collectif, jadis pris en charge par l'État, au profit de l'équipement particulier. Un signe des temps...

[1] Grand entretien avec Vincent Cocquebert, « La pandémie précipite la tribalisation de la civilisation occidentale », FigaroVox, 26 mars 2021.

[2] Entretien à l'émission « Grand bien vous fasse » sur France Inter le 17 novembre 2021.

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