Chez ArianeGroup, la crainte d’une mort lente du site de Vernon

Les salariés de l’usine ArianeGroup de Vernon ont battu le pavé lundi, pour protester contre la délocalisation de la production du moteur Vinci en Allemagne. Beaucoup redoutent que cette décision ne préfigure le déclin de l’usine qui a vu naître l’ancêtre du lanceur européen.
Le transfert en Allemagne de la production du moteur Vinci (ici sur l'image) prendra plusieurs mois, a fait savoir ArianeGroup.
Le transfert en Allemagne de la production du moteur Vinci (ici sur l'image) prendra plusieurs mois, a fait savoir ArianeGroup. (Crédits : ArianeGroup)

« Salut à tous. Je m'appelle Elon Musk. Je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts ». Ce lundi, beaucoup de salariés du site de Vernon avaient en tête la phrase prononcée par l'homme d'affaires américain en 2006 devant l'élite mondiale du spatial réunie à Washington. Et certains n'étaient pas loin de penser que le pronostic était juste. Malgré les propos rassurants de Bruno Le Maire, le moral est au plus bas dans l'usine normande depuis que la direction d'ArianeGroup a confirmé, fin septembre, le transfert de la production du Vinci, le futur moteur de l'étage supérieur d'Ariane 6, sur le site d'Ottobrunn en Allemagne.

Pour la première fois de l'histoire de l'établissement, berceau de l'aventure spatiale européenne, plusieurs centaines d'employés du site sont descendus dans les rues de Vernon : fief du ministre des outre-mer Sébastien Lecornu par ailleurs étoile montante de la Macronie. Emmenés par une intersyndicale, les manifestants se sont rassemblés au pied de la maquette du lanceur européen inaugurée quelques jours auparavant par le ministre. Dans la foule, beaucoup de visages amers. « C'est la première fois de ma vie que je manifeste, mais là ça commence à faire beaucoup » nous confiait Catherine,  une quadragénaire non syndiquée, cadre dans les services supports.

« Le poisson pourrit par la tête »

Explication. Forte de 2.000 salariés dans les années 80, de moins de 1.000 aujourd'hui, l'usine qui fabrique encore le moteur Vulcain de l'Ariane 5 voit sa voilure réduite année après année. Et, le mouvement semble s'accélérer. Depuis 2017, 230 postes (dont 80 de cadres) y ont été supprimés selon les représentants du personnel qui évoquent « des pertes de compétences et un épuisement progressif des ressources ». « La délocalisation du Vinci que nous avons développé, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase » peste Ludovic Blanchard, l'un des porte-parole de l'intersyndicale.

En réalité, le site est victime de la chasse aux coûts menée, au pas de charge, par ArianeGroup dans l'espoir de concurrencer la fusée réutilisable d'Elon Musk dont les tarifs semblent imbattables. Mais rares sont ceux qui, à Vernon, pensent que le retard pourra être rattrapé. A plus forte raison depuis que le premier lancement d'Ariane 6 a été repoussé de juillet 2020 à novembre 2022. « Comme d'habitude, le poisson pourrit par la tête. Nous payons le prix des mauvais choix industriels et politiques des européens » dénonce Serge Livi, délégué CFDT, en poste depuis près de quarante ans dans l'usine.

Les promesses incertaines du Prométheus

A défaut du Vinci dont ils semblent avoir fait leur deuil, les syndicats réclament désormais des assurances sur la production du Prométheus : le moteur low cost et réutilisable de la prochaine génération de l'Ariane en cours de développement pour le compte de l'agence spatiale européenne (ESA). Un premier démonstrateur devrait être testé d'ici la fin de l'année à Vernon. Mais les représentants du personnel redoutent que sa fabrication plus gourmande en main d'oeuvre n'échoie ensuite aux Allemands, malgré les promesses du PDG d'ArianeGroup, Hubert André Roussel, de la confier au site normand.

Les syndicats sont d'autant plus fondés à douter que rien ne garantit que le programme voulu par Safran et Airbus arrivera à son terme. Plusieurs gouvernants européens émettent, en effet, des réserves sur la viabilité du modèle malgré les 15 millions réinjectés par la France pour accélérer son développement*.

« Le Promothéus, s'il existe un jour, ne sera lancé qu'en 2030. D'ici là, pensez-vous qu'Elon Musk nous aura attendu ? » s'interroge tout haut Serge Livi.

Bonne question qui doit également empêcher de dormir les membres de l'Agence spatiale européenne.

*l'annonce en a été faite par Emmanuel Macron lors d'une visite dans l'usine de Vernon le 12 janvier dernier.

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