Prix des médicaments : pourquoi certains labos commencent à faire profil bas ?

Le laboratoire américain Allergan a promis de limiter la hausse du prix de ses traitements outre-Atlantique et encourage les autres "big pharmas" à suivre cette voie. Les récents scandales sur les prix des médicaments, la crainte des sanctions des autorités et l'inquiétude des investisseurs pourraient pousser les entreprises du secteur à modérer leurs pratiques.
Jean-Yves Paillé
"L'industrie pharmaceutique doit s'autoréguler et s'autosurveiller, plutôt que de laisser cela à Washington", juge Brent Saunders, le Pdg d'Allergan.

Alors que la bataille fait rage entre les laboratoires pharmaceutiques souhaitant maximiser les profits de leurs médicaments, et les administrations voulant serrer la vis sur les prix, une publication détonne dans l'industrie du médicament. Mardi 6 septembre, Brent Saunders, le Pdg d'Allergan, a annoncé que le prix de ses médicaments de marque ne sera pas augmenté plus d'une fois par an. Il a promis qu'aucune hausse annuelle ne dépassera les 10% et a encouragé les autres laboratoires pharmaceutiques à suivre cette voie.

Vu depuis l'Hexagone, où le coût général des traitements tend à baisser régulièrement au bout de la troisième année de mise sur le marché, si l'on en croit le Leem (la fédération des entreprises du médicament), cette annonce peut rendre sceptique. Mais aux États-Unis, premier marché mondial pour les laboratoires, les augmentations de prix de médicaments sont récurrentes. Elles sont régulièrement effectuées afin de maximiser les revenus d'un traitement juste avant que celui-ci soit concurrencé par des génériques.

Des augmentations annuelles à 2 voire à... 4 chiffres!

L'annonce d'Allergan n'est pas forcément contraignante pour celui-ci. Le laboratoire américain ne fait pas partie des entreprises du médicament les plus gourmandes. D'après des données compilées par le Wall Street Journal en janvier, le laboratoire américain a augmenté les prix de 40 de ses médicaments de marque (dits "princeps") de 9,1% en moyenne en 2015, et a laissé inchangés les prix de 20 autres médicaments. À noter toutefois que, selon Deutsche Bank, entre 2012 et 2015, Allergan a augmenté ses prix de 14,28% en moyenne, avec une pointe à 109,9% pour un traitement.

Des laboratoires comme celui de Pfizer, font partie des industries du médicament recourant le plus à cette pratique. La société américaine a augmenté le prix de huit ses médicaments d'au moins 20%, et fait grimper le coût de ses traitements de 10,6% en moyenne en 2015.

Ces augmentations-là ont rarement été dénoncées, car elles ont été relayées au second plan par d'autres polémiques. L'augmentation du prix du Daraprim de 5.000% par le laboratoire Turing Pharmaceuticals, et plus récemment, la hausse drastique du prix de l'Epipen un traitement contre les chocs allergiques graves poussant la justice américaine à enquêter sur le laboratoire Mylan.

Les labos craignent d'être en porte-à-faux avec l'administration

Sur le papier, les laboratoires pharmaceutiques sont inquiets de l'image qu'ils renvoient notamment auprès des administrations, comme le montre cette citation du Pdg de Pfizer, relayée par Forbes en 2015:

"La réputation bâtie sur notre passé construit notre présent et notre futur. Une bonne réputation ouvre de nombreuses portes. Une mauvaise réputation peut en fermer beaucoup plus. Une bonne réputation génère du respect. Une mauvaise réputation entraîne de la suspicion."

Mais au-delà de la simple image dégradée, la crainte principale des laboratoires est de voir l'administration serrer la vis. Le patron d'Allergan explique ainsi mercredi dans une interview publiée dans le magazine spécialisé StatNews :

"L'industrie pharmaceutique doit s'autoréguler et s'autosurveiller, plutôt que de laisser cela à Washington."

Les projets anti-excès de Hillary Clinton encore flous

En outre, la période de la présidentielle aux États-Unis est une période d'incertitude. Les laboratoires font confiance à Hillary Clinton, régulièrement en tête devant Donald Trump dans la plupart des sondages, et lui ont versé directement ou indirectement quelque 3,9 millions de dollars pour sa campagne. Mais, le 2 septembre, en réaction à la polémique sur l'EpiPen, Hillary Clinton a renchéri et détaillé son plan pour répondre à "l'augmentation injustifiée" des prix pour les médicaments.

Elle compte encourager la concurrence en soutenant des fabricants de médicaments développant des traitements alternatifs ou des génériques. Elle veut également importer des médicaments moins onéreux. Mais la candidate démocrate veut surtout pénaliser financièrement les augmentations de prix injustifiées et utiliser l'argent recueilli pour améliorer l'accès aux médicaments et la compétition entre laboratoires pharmaceutiques. En outre, elle propose la création d'un groupe pour déterminer le moment où le prix d'un médicament grimpe de façon injustifié et dont les patients ont un besoin urgent ou un traitement pouvant sauver des vies. Difficile pour les laboratoires pharmaceutiques de comprendre précisément à quel moment ils sont dans l'excès selon le plan d'Hillary Clinton.

Volonté de préserver les investisseurs

Le Pdg d'Allergan s'inquiète en outre de la réaction des investisseurs, si importants  pour une industrie dont une grande partie de la valeur se crée au travers de la valorisation des capitalisations boursières:

"J'entends les doléances des investisseurs. Ils ne veulent pas mettre de capitaux dans les entreprises qui prennent des risques, et l'un des plus gros risques est de se retrouver confronté soi-même à une controverse sur le prix des médicaments."

D'autant que cette crainte s'est matérialisée par les remous boursiers secouant laboratoires pharmaceutiques et biotech en 2015. Le 21 septembre 2015, un tweet de Clinton annonçant un plan contre les augmentations de prix des médicaments a fait perdre 15 milliards de dollars en Bourse aux biotech américaines, et ce, en une journée.

Autre exemple, Valeant, sous le feu d'enquêtes lancées à cause de l'augmentation du prix de certains médicaments,  a subi plusieurs fois des secousses boursières à la suite d'enquêtes fédérales sur ses pratiques de hausse des prix. Il a notamment enregistré une chute de 8% en Bourse le 14 octobre.

En France, le contrat à la performance fait des émules

En France, plusieurs laboratoires tentent également de donner une bonne image, espérant séduire les autorités en prévision de la négociation des prix des nouveaux médicaments. Ainsi, GSK France a mis en place un contrat à la performance avec l'Assurance maladie pour le traitement antiépileptique Trobalt. Ou encore, Celgene s'est engagé en 2014 dans un système de "paiement à la performance" avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) pour l'Imnovid, pour la prise en charge du myélome multiple. Accepté à un prix élevé, 8.900 euros par cycle (il peut y en avoir 6), le traitement sera remboursé à l'Assurance maladie en cas d'échec.

"C'est une prise de risque. Pour la France, sur 5 ans, ce programme nous coûte jusqu'à 3 millions de dollars", avançait Franck Auvray à La Tribune.

Plus largement, le Leem, principal lobby pharmaceutique français, est favorable à la mise en place de"contrats de performance" pour certains cas.

Jean-Yves Paillé

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Commentaires 2
à écrit le 10/09/2016 à 12:48
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Quand l'argent offre presque le pouvoir absolu alors plus aucune regle ni morale n'existe... arrêtons de nous étonner et agissons ensemble car nous sommes complices de leurs méfaits

à écrit le 10/09/2016 à 12:26
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Parce qu'ils ont été prit la main dans le pot... que dis je le pot, dans l’entrepôt de confiture. Mais bon sang combien de multinationales trichent !? Merci pour cet article.

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