Santé : I.Ceram invente le sternum en céramique qui diffuse des antibiotiques

I.Ceram a mis au point deux produits en rupture technologique. Son sternum en céramique poreuse biocompatible, sans équivalent au monde, a été implanté sur 70 patients. Il a ensuite été chargé de deux antibiotiques pour traiter des infections ou tumeurs osseuses. ( Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

C'est un accident professionnel qui a bouleversé la vie d'André Kérisit. En 1982, alors qu'il travaille dans une entreprise de bâtiment, il se fracture le poignet et décide de se reconvertir dans l'informatique. « À l'époque certains chirurgiens faisaient l'embrochage, le Kapandji, je n'ai pas eu cette technique ce qui m'a valu une reconversion. Si je l'avais eu, peut-être que je ne serais pas chef d'entreprise aujourd'hui. Les échecs vous stimulent pour vous en sortir. » L'informatique débarque dans les entreprises. Il gère les stocks, devient commercial, puis directeur commercial. Il crée ensuite son entreprise de distribution, rachète une société au tribunal de commerce de Limoges et crée I.Céram en 2005. « J'ai essayé de faire des produits d'orthopédie de qualité, un métier que je connaissais depuis vingt ans raconte le fondateur, j'ai créé un comité scientifique pluridisciplinaire afin de concevoir des implants innovants pour entrer dans des pathologies connues à fort coût de santé publique et faibles volumes. Nous avons rassemblé autour d'une table des spécialistes pour élaborer, à partir de nos céramiques, des produits entrant dans des indications présentant une forte difficulté de prise en charge sur le plan médical ou humain. » Parmi ces spécialistes, le Dr François Bertin, chirurgien thoracique au CHU de Limoges, voyait des patients avec des désunions sternales infectées. « C'est comme ça qu'on a inventé un nouveau produit, en réfléchissant à ce qui manquait, comme on l'a fait pour la prothèse de hanches ou la valve cardiaque. Pour moi, il n'y a pas d'innovation sans besoin. La première patiente que nous avons opérée avait passé dix mois dans un hôpital. Un coût de 550 000 euros ! Elle avait une tumeur au sternum. Il fallait remplacer la partie osseuse. » I.Ceram, associée au Dr Bertin, réalise en 2015 sa première implantation mondiale d'un sternum en céramique. « Cela a bien fonctionné car, huit ans après, elle vit avec ce sternum » remarque-t-il. L'écosystème relationnel a favorisé la création de ce produit grâce à la proximité de l'école de céramique de Limoges, le CHU et la relation avec le Dr Bertin. » Un an après, sa société va récidiver avec une seconde mondiale pour la pose d'un sternum en céramique chargé d'un antibiotique suite à une ostéomyélite chronique (infection de l'os).

Un sternum en céramique chargé d'antibiotiques

Aujourd'hui, 70 patients vivent avec un sternum en céramique poreuse implanté sur un cancer. Ils vivent au Canada, en Espagne, en Angleterre, en Italie, en Grèce, Afrique du Sud... et dernièrement en Autriche, à la suite de demandes de chirurgiens en échec thérapeutique.

L'entreprise d'une trentaine de salariés traite les risques infectieux au plus près avec un implant qui est chargé d'un antibiotique. « Les trois premiers implants étaient chargés avec la gentamicine, signale-t-il, après nous avons ajouté la vancomycine qui couvre l'essentiel des bactéries dans ces pathologies. L'implant diffuse le produit durant 72 h. Nous n'avons aucun échec avec le double chargement sur des pathologies infectieuses. » En plus de Limoges I.Ceram collabore avec différents CHU comme Marseille, Rouen, Rennes, Saint-Étienne ou Lyon. « Nos produits donnent satisfaction mais nous avons eu des échecs sur des cancers complexes pour des patients qui avaient subi des opérations lourdes. Nous arrivions en dernier rempart. Un patient est décédé d'une fatigue générale trois mois après. Certains ont été infectés durant l'intervention. Sur les treize implants chargés, nous déplorons une ablation et un déplacement de prothèse sur une patiente qui avait subi sept interventions chirurgicales. »

Une barrette pour stabiliser le sternum

Ce problème a fait réfléchir l'entreprise qui a développé une barrette sternale pour traiter les patients dès la primo-infection. Pour cette innovation, I.Ceram a remporté le concours i-Nov de Bpifrance. À la clé, un financement de 809 000 euros pour développer sa barrette ou stabilisateur sternal. Abondé par l'État, ce concours vise à accompagner le développement des entreprises pouvant devenir leader mondial dans leur secteur. Les lauréats d'i-Nov bénéficient du cofinancement du développement de leur projet de recherche et d'innovation.

Cette barrette osseuse est destinée à des patients souffrant de comorbidités infectieuses. Elle stabilise le sternum lors d'une première sternotomie (ouverture du sternum) lors d'un pontage coronarien. Actuellement, un million de sternotomies ont lieu chaque année dans le monde. Le risque d'infection est de 8 % pour les personnes avec comorbidités. « Notre barrette empêche les micro-mouvements du sternum et stabilise la paroi thoracique, assure André Kérisit, elle est chargée des deux antibiotiques pour protéger l'implant des risques d'infection. Le but n'est pas de la poser en première intention mais en première reprise chirurgicale. » Trois patients ont été équipés depuis dix-huit mois. Ses propriétés biologiques sont remarquables avec un revêtement d'hydroxyapatite qui stimule une reconstruction osseuse rapide. Elle permet aussi la vascularisation pour favoriser la création de tissus osseux dans la porosité de l'implant. Enfin, son design en forme d'étoile pénètre les deux berges latérales du sternum. « Ce nouvel implant évitera les reprises chirurgicales liées à la désunion sternale, un facteur qui favorise l'infection et cela réduira les coûts de santé publique. »

Un nouveau règlement européen plus coûteux

Tout aurait pu être parfait... Mais voilà, depuis le 26 mai 2021, le nouveau règlement européen relatif aux dispositifs médicaux, le MDR (Medical Device Regulation) a remplacé la précédente, la MDD (Medical Device Directive). I.Ceram butte sur un obstacle de taille, elle ne parvient pas à avoir le marquage CE pour ses deux implants chargés. « Les pays européens n'ont pas encore nommé les organismes certificateurs, déplore le dirigeant, la mise en place pourrait être prolongée jusqu'en 2028 ! Cette réglementation va nous tuer. Les protocoles cliniques ne sont pas signés alors que le MDR nous oblige, pour avoir le marquage CE, à avoir des protocoles cliniques avec un traitement de référence. Ce n'est pas possible pour un produit en rupture technologique. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas mettre nos produits sur le marché. Cette méthodologie peut s'appliquer pour un médicament issu d'un laboratoire chimique, donc de médecins, mais pas pour un implant sorti d'un bureau d'ingénieurs. Pour moi, une innovation qui n'a pas de marché n'a pas de sens. » Pour décrocher ce Graal, l'investissement est bien supérieur. « Avec le MDR c'est 140 000 euros, avec le MDD, c'était 20 000 euros, calcule-t-il, on ralentit le process de mise en place du produit et on renchérit le coût de santé publique. On voulait faire l'inverse. Pour améliorer la qualité des soins, il faut prendre des risques mesurés et ça, c'est difficile à comprendre pour la société. »

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Commentaire 1
à écrit le 27/05/2023 à 11:03
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L'Union européenne qui tue les européens, au sens premier du terme, en empêchant les patients de bénéficier d'une rupture technologique. L'UE devient un véritable cauchemar.

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