Innovation santé : la France veut se donner les moyens de réindustrialiser

À coups de plans nationaux et de clusters bien structurés, les dirigeants politiques cherchent à faire revenir l’industrie française aux premières places de l’innovation santé. Comment remonter sur le podium international ? Dans quels domaines sommes-nous dans la course ? ( Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

Après plusieurs décennies de déclassement, la France se mobilise pour remonter aux premières places dans le palmarès pharma. Pour le pays de Pasteur, la crise sanitaire a été une douloureuse leçon et il est temps de corriger vraiment tout ce qui nous a menés à perdre le podium européen en pharma et à nous placer derrière l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas. Depuis 2010, les multiples alertes commencent enfin à être entendues. Il s'agit de décrasser l'écosystème après des années de complexifications administratives, de compression systématique du prix des médicaments et de délocalisation de la production. Du plan Innovation Santé 2030 jusqu'au soutien de la bio-production pharma en passant par la mise en place d'autorisations accélérées pour la mise en œuvre des nouveaux médicaments, nous voilà repartis dans la course. Où en est-on aujourd'hui et dans quels secteurs santé avons-nous le plus de chances de nous distinguer ?

Les nouvelles recettes de l'innovation pharma

Face aux multiples découvertes scientifiques, le diagnostic et le traitement des maladies sont devenus plus efficaces, mais aussi plus complexes. Sous l'effet des nanosciences, des algorithmes de deep-learning ou du séquençage génétique accéléré, soigner se transforme peu à peu en médecine de précision. Sur le terrain, ces évolutions scientifiques ont remodelé le paysage de la recherche santé. Les nouvelles thérapies naissent à la croisée des disciplines et nécessitent de revoir sérieusement les règles pour se développer et produire en France. Des règles étudiées par la nouvelle Agence d'innovation santé qui cherche à améliorer notre écosystème en la matière. Patrick Couvreur est membre de l'Académie des sciences et de l'Académie nationale de médecine. Fin connaisseur de la recherche pharma, il expose ses premières suggestions : « On a perdu des places en recherche, en mise sur le marché et en production de médicaments. Pour revenir en tête de la course, nous devons améliorer l'attractivité et la rémunération des carrières scientifiques, investir dans la recherche santé et simplifier les procédures pour valoriser les brevets académiques français auprès des investisseurs. »

De vrais écosystèmes innovation santé

D'où la création du premier bio-cluster français à Saclay, soutenu par le plan Innovation Santé 2030, avec lequel la France commence à appliquer les recettes qui ont fait le succès d'un site comme Boston. Les clusters sont de vrais écosystèmes favorisant l'émergence et le développement des bons projets, en mobilisant de nombreux partenaires publics et privés autour d'un objectif industriel. Le centre Gustave Roussy est l'un des cinq fondateurs initiaux du premier « Cancer cluster » lauréat avec le big pharma Sanofi. « Un tel site consolide l'écosystème pour optimiser le développement des projets, explique Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave Roussy. L'idée n'est pas de tout mettre en commun, mais de faciliter les collaborations par la proximité géographique et la convergence d'objectifs : créer de nouveaux traitements et de nouvelles solutions françaises contre le cancer. » À Lyon, un autre pôle autour des maladies infectieuses espère être lui aussi sélectionné par le plan 2030. « En France, nous sommes bons sur la partie "discover" mais avons des progrès à faire sur la transformation de nos découvertes en nouveaux produits, souligne Florence Agostino Etchetto, directrice générale de Lyonbiopôle Auvergne-Rhône-Alpes. Les pôles et clusters sont destinés à soutenir le développement de ces découvertes jusqu'au marché. »

Au moins dix ans et un milliard d'euros

Dans les clusters, les partenaires mobilisent des hôpitaux et des grands labos, mais aussi des fonds d'investissements. Et alors que l'innovation pharma est devenue une course de fond qui demande dix à quinze ans et un à deux milliards d'euros avant l'arrivée au marché, les investisseurs français font évoluer leurs pratiques. Si la vision de l'innovation santé s'est longtemps arrêtée à la preuve clinique sans prévoir la production et la commercialisation, elle les prend désormais en compte. « On est très vite sur des gros tours de financement avec 50 à 80 millions d'euros, souligne Chahra Louafi, directrice du Fonds Patient Autonome au sein du pôle investissement biotech et ecotech Bpifrance. L'enjeu est d'attirer très tôt des fonds américains car ce sera le marché principal. Il faudra prendre en compte les attentes de ce marché dans la roadmap. » Avec les financements plus importants et plus longs, les jeunes pousses parviennent mieux à développer leurs projets de traitements innovants. « Elles peuvent trouver aujourd'hui des partenaires et les moyens de financer des essais cliniques larges de phase 3 d'enregistrement, affirme Cédric Moreau, associé chez Sofinnova Partners. C'est le cas d'Inventiva qui a lancé une phase 3 pivotale pour son traitement lanifibranor contre la stéatohépatite non alcoolique, appelée maladie du soda. »

Autre évolution nécessaire, celle des moyens de production comme l'explique le spécialiste recherche du G5 santé[1]. « En France nous avions des carences sur les capacités de bioproduction, confirme Claude Bertrand, vice-président exécutif du groupe Servier. Mais nous sommes en train de rattraper notre retard. Avec le G5, nous avons participé au lancement de l'alliance France Biolead. Elle met nos forces en commun en misant sur la synergie plutôt que sur la compétition systématique. » Une production de nouveaux médicaments bio soutenue par le plan France 2030.

La France a bien misé sur l'oncologie et les maladies rares

Malgré ses carences longtemps dénoncées par les acteurs pharma et biotech, la France a quand même réussi à se distinguer dans certains domaines de la santé. « On est bien positionné en oncologie car les différents plans Cancer nous ont conduits à structurer le secteur avec de nouvelles approches thérapeutiques et un bon réseau d'investigations cliniques, confirme Franck Mouthon, président de France Biotech. Autre domaine d'excellence, celui des maladies rares avec l'institut Imagine et l'AFM téléthon. Là encore, différents plans nationaux ont poussé les différents acteurs à monter des réseaux avec des biotechnologies innovantes. Nous avons aussi bien développé le secteur de l'ophtalmologie que celui des maladies inflammatoires. »

Après des années de soutien aux biothérapies pour les maladies génétiques par l'AFM/Téléthon, la France a aussi trouvé les moyens de rester dans la course des thérapies géniques. « La première preuve de l'efficacité clinique de cette thérapie génique a été démontrée en France avec la guérison des bébés bulles à l'hôpital Necker Enfants malades, précise Anne Galy, directrice de l'Accélérateur de recherche techno en thérapie génomique (Inserm) à Genopole. Depuis, plusieurs autres thérapies géniques ont été découvertes dans les laboratoires français comme le traitement Skysona commercialisé par le laboratoire américain Bluebird Bio. La recherche française a du talent. » Au-delà des biotech, les medtech innovantes sont également prometteuses, comme l'illustre Philippe Pouletty, directeur général de Truffle Capital : « Nous misons aussi sur des medtech d'avenir avec des microrobots guidés par imagerie médicale sous l'effet d'algorithmes d'IA. Ces dispositifs jouent le rôle de GPS au sein de l'organisme du patient. Sans oublier notre pionnier du cœur artificiel Carmat qui a obtenu l'agrément européen. » Plus avancé que les innovations biotech, le numérique en santé a bénéficié du Rapport Santé numérique 2019 et de l'Agence numérique en santé. « Une accélération confirmée par les usages numériques dopés par la crise sanitaire, souligne Céline Barbier, co-leader du think tank Club Digital Santé. L'imagerie médicale et les objets connectés ont aussi accéléré les nouveaux services avec des aides au diagnostic et à la prescription. » Bien sûr, des progrès restent à faire pour nos algorithmes santé. « Le défi est de travailler avec les données telles qu'elles sont, précise Philippe Gesnouin, responsable du programme Santé Numérique à l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). Pour en trouver, nous renforçons les partenariats avec les établissements de santé, nous apportons notre contribution à l'analyse des données, mais aussi la capacité des chercheurs à créer des modèles. »

Manque de culture pharma

Biotech ou techmed et santé numérique, la France a aussi besoin de faire évoluer sa culture pour revenir aux premières places dans la course Innovation santé. D'une part, les professionnels du médicament restent encore un peu mal considérés sous prétexte qu'ils font du business dans un secteur où beaucoup de Français imaginent que tout devrait être gratuit. Comme si une découverte académique pouvait donner un médicament autorisé, sans des années de développement et de gros investissements. Autre évolution nécessaire, celle des deal makers sachant vendre leur jeune société. « Le potentiel scientifique de la France est reconnu et on est très bon jusqu'aux essais phase 2 (preuve clinique chez l'homme), remarque Chahra Louafi de Bpifrance. Mais l'étape suivante nécessite des profils plus industriels, des talents capables d'aller discuter avec les agences réglementaires américaines et de faire des deals avec les grands labos pharma. Notre pays a besoin de ces talents qui mènent leur société en essais cliniques phase 3, puis en production industrielle et en phase de commercialisation. » Des talents comme Stéphane Bancel, diplômé de Centrale et ancien de BioMérieux, le Français qui dirige Moderna depuis 2011.

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[1] Le G5 santé est un cercle de réflexion qui rassemble les principales entreprises françaises de la santé et des sciences du vivant : BioMérieux, Guerbet, Ipsen, LFB, Pierre Fabre, Sanofi, Servier et Théa.

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Commentaires 2
à écrit le 20/05/2023 à 13:04
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reindustrialiser le pays oui et c'est indispensable mais quand nos elus bradent le moyen de circulation et ne s'en contente pas et livre les commerce et meme vendu l'organisation des commerces aux usa il y a des question qui se pose qui profite d...

à écrit le 20/05/2023 à 9:27
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Aucune information ne peut être crédible tant que l'on aura un capricieux au pouvoir ! ;-)

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