À Cordemais, EDF tente d'inventer le charbon vert

REPORTAGE. Pour échapper à la fermeture en 2022, la plus grande centrale à charbon de France planche sur la recette d’un combustible fabriqué à partir de biomasse, qui ne fait pas l’unanimité.
Dominique Pialot
Idée des salariés : remplacer 80% du charbon par de la biomasse, réalisée à partir de déchets végétaux ligneux et de bois de récupération.
Idée des salariés : remplacer 80% du charbon par de la biomasse, réalisée à partir de déchets végétaux ligneux et de bois de récupération. (Crédits : S. Salom Gomis/SIPA)

Sécuriser des approvisionnements en bois de récupération. C'est à cette occupation inédite que s'emploie la direction de Cordemais. Cette centrale à fioul et charbon, ouverte par EDF en 1970 à proximité de Saint-Nazaire, a connu quelques révolutions ces dernières années, et ça n'est pas terminé. Plan climat oblige, les installations au fioul ont été fermées en 2017 mais avec ses deux tranches à charbon de 600 MW chacune, elle reste la plus importante des quatre centrales à charbon françaises.

Depuis 2015, et la fermeture annoncée de ces tranches à l'horizon 2022, les 370 salariés du site se sont mis en quête de pistes pour justifier le maintien de la centrale au-delà de cette date butoir. Leur idée : remplacer 80% du charbon par de la biomasse. Mais pas n'importe laquelle. Aux déchets végétaux ligneux, à partir desquels d'autres entreprises fabriquent déjà des granulés (ou pellets), EDF veut ajouter du bois de récupération.

Ce bois de classe A (palettes) ou B (bois d'ameublement, issu de la déconstruction, vieilles portes et fenêtres, etc.), aujourd'hui essentiellement mis en décharge et enfoui, ou exporté pour être broyé et transformé en aggloméré, est une ressource inutilisée.

Le bilan carbone de la biomasse étant supposé neutre grâce à la compensation des émissions de la combustion par le CO2 absorbé lors de la croissance du végétal, intégrer 80% de biomasse divise les émissions par cinq. En outre, après 2022, la centrale ne continuerait pas à fonctionner à plein comme aujourd'hui (de 4.500 à 5.000 heures par an) mais ne servirait plus qu'en période de pics hivernaux sur appel de RTE, comme cela a d'ailleurs été le cas en janvier, l'opérateur de réseau demandant aux salariés alors en grève de reprendre le travail afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement. Sur la base de statistiques, EDF estime à 800 heures par an la durée de fonctionnement nécessaire. Résultat : au total, les émissions de la centrale devraient être divisées par 25 par comparaison avec son activité actuelle.

Ce sont les arguments qu'EDF entend faire valoir pour repousser la fermeture de Cordemais au-delà de 2022 grâce à ce projet baptisé Ecocombust. Le gouvernement s'étant montré disposé à étudier le sujet après avoir reçu les syndicats, les salariés ont interrompu début mars leur grève entamée en décembre, et la direction a déposé quelques jours plus tard auprès de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), une demande d'autorisation pour fabriquer des pellets hybrides dans un démonstrateur de taille quasi industrielle. Cette tour de 15 mètres de haut, capable en théorie de produire une tonne de pellets « hybrides » par heure, a été construite en 2017.

Pour être stockable à l'air libre donc hydrophobe, facilement broyable et atteindre un pouvoir calorifique proche (80%) de celui du charbon, ce nouveau combustible doit passer par des phases de séchage, de densification puis de « pelletisation ». Les tests de combustion ont démarré dans un pilote de quelques litres en 2015 à partir de pellets exclusivement ligneux, et, en août 2018, une tranche de la centrale a fonctionné pendant quelques heures avec 80% de pellets et 20% de charbon.

Nouvelle filière de valorisation

On ne connaîtra pas la « recette » mise au point par EDF à partir d'un système presque centenaire de dépressurisation violente, similaire au fonctionnement d'une cocotte-minute. Pas plus que les coûts induits, pour lesquels le groupe évoque une rentabilité sur une durée de quinze ans, fonction notamment de la possibilité de dupliquer le process sur d'autres sites... Déjà 10 millions d'euros auraient été investis. Sur le plan social, la direction certifie que, entre la logistique et le fonctionnement, même réduit, de la centrale, Ecocombust permettrait de maintenir l'emploi à Cordemais comme au Havre, que l'opérateur entend convertir également.

L'électricien négocie en tout cas un soutien des pouvoirs publics dans le cadre des projets de territoire pour financer cette « nouvelle filière de valorisation de déchets aujourd'hui inexistante ». Car, à l'inverse des projets de cogénération avec production de chaleur, la Programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit de n'accorder aucune subvention à l'utilisation de biomasse pour produire de l'électricité.

En outre, là où EDF évoque un fonctionnement annuel de 800 heures pour répondre aux pics hivernaux, RTE évoque une fourchette de zéro à 250 heures, avec une moyenne de 20 heures par an. Si elle espère repousser la fermeture des tranches à 2026, date de la prochaine visite décennale, la direction reconnaît du bout des lèvres qu'à terme l'essentiel de son business plan repose non pas sur la vente de l'électricité, mais sur celle de ses pellets nouvelle formule, qui pourraient alors être utilisés pour produire de la chaleur.

Encore faut-il qu'il existe un marché. Or ce projet laisse plusieurs questions en suspens, notamment sur le plan environnemental. Ainsi, l'ONG Les Amis de la terre, opposée aux pellets 100% ligneux accusés de contribuer à la déforestation, ne sont guère plus favorables au projet de pellets à base de bois de récupération. Celui-ci devrait à leurs yeux être dédié à la fabrication de panneaux, comme c'est le cas à 80% en Belgique et même à 100% en Italie, alors que les panneautiers français recourent encore à 65% au bois forestier non pollué.

« Quel va être exactement ce bois ? s'interroge Cécile Marchand. À quel point sera-t-il souillé ? Comment seront récupérés les effluents ? Comment s'assurer du traitement efficace des fumées, sachant que l'équipement de Cordemais n'a pas été conçu pour ce type de combustible ? »

Et de citer les problèmes rencontrés par la seule centrale qui aurait testé le procédé, en Ontario (Canada).

EDF, qui a étudié son approvisionnement de ligneux dans un rayon de 150 kilomètres autour de la centrale et noué un partenariat avec la communauté de communes alentour, se défend d'accepter le tout-venant pour le bois de récupération. Au contraire, il s'emploie à rechercher des partenaires avec lesquels conclure de « vrais contrats », manière, également, de se prémunir de la concurrence d'autres potentiels consommateurs, tels que des cimentiers ou même des recycleurs.

Certainement conforté par les conclusions du rapport remis à François de Rugy par RTE mercredi 3 avril, l'opérateur a rendez-vous avec le gouvernement à l'automne pour un bilan prévisionnel d'Ecocombust sur les plans à la fois environnemental, économique et technique.

Dominique Pialot

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Commentaires 2
à écrit le 05/04/2019 à 8:40
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Comme solution temporaire ce n'est pas bête mais temporaire par contre.

le 05/04/2019 à 19:18
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Pourquoi temporaire? Il me semble au contraire que le bois à un bel avenir dans la construction, et à terme, il ne manquera pas de bois de démolition, dans les limites du raisonnable, évidemment.

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