Et si on arrêtait le charbon ? Facile à dire, plus difficile à réaliser. D'après les travaux du Giec, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, respecter l'Accord de Paris négocié en décembre 2015 (une hausse des températures plafonnée à + 2°C), impliquerait de laisser sous terre 55% des réserves existantes et de cesser toute exploitation d'ici à 2050.
Et pourtant, le charbon est toujours la deuxième source mondiale d'énergie, après le pétrole, et le premier fournisseur d'électricité. L'an dernier, il représentait encore 40% du mix énergétique mondial. Cette part n'a guère varié en vingt ans : en 2018, elle représentait à peine 2% de moins qu'en 2010. Et pourtant, le charbon reste le premier responsable des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Dans nombre de pays, et pas seulement les émergents qui y voient la source d'énergie la plus abondante et meilleur marché, le charbon occupe encore une place prépondérante. À eux trois, la Chine, l'Inde et les États-Unis représentent 85% de la consommation mondiale. Dans l'Union européenne, où il pèse encore pour 21% du mix énergétique, l'électricité polonaise en dépend à 80%. L'Allemagne, pourtant en pointe pour le développement des énergies renouvelables, produit 38% de son électricité et 30% de son chauffage à partir de charbon. Et cela ne va pas s'arranger de sitôt : les projections d'ici à 2040 n'anticipent qu'une baisse de 10% de sa part dans le mix européen.
D'ailleurs, la consommation de charbon est repartie à la hausse en 2018 (+ 1%), ce qui n'est pas sans lien avec le rebond des émissions mondiales (+ 1,7%) de gaz à effet de serre pour la deuxième année consécutive. D'après l'Agence internationale de l'énergie (AIE), un tiers de ces émissions supplémentaires proviennent des centrales asiatiques, notamment en Chine et au Japon.
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(En 2017, la consommation de charbon s'est élevée à 3131,5 Mtep, en hausse de 0,7% sur un an. CLIQUER SUR l'IMAGE POUR L'AGRANDIR. Infographie La Tribune, source BP Statistical Review of World Energy)
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De multiples chantiers
La Chine, premier pays consommateur au monde, aurait repris la construction de quelque 50 gigawatts de centrales au charbon [la puissance du parc nucléaire français est de 63,1 GW, ndlr] suspendue ces dernières années à la fois pour des raisons environnementales et de surcapacité. Des images satellites ont dévoilé, il y a quelques mois, de multiples chantiers. Le pays est largement responsable du rebond mondial de 12% de nouvelles capacités en construction, passées de 209 à 236 GW entre 2017 et 2018. Et le Conseil national de l'électricité (China Electricity Council - CEC) a récemment proposé de porter à 1.300 GW la capacité totale installée en 2030, soit 290 GW de plus qu'aujourd'hui, et plusieurs centaines de centrales supplémentaires.
De 2000 à 2018, la Chine a construit 864 GW, plus du triple du parc américain (259 GW). Et ses centrales affichent une moyenne d'âge de douze ans, pour une durée de vie d'environ cinquante ans... Un renversement de situation n'est donc pas pour demain. En outre, le poids de la Chine dépasse ses frontières. En effet, le pays finance aussi la construction de centrales en Russie ainsi qu'en Égypte, en Afrique du Nord ou au Bangladesh, nouveaux convertis au charbon. Globalement, la Chine contribuerait financièrement à 50% des constructions en cours dans le monde.
Dans le même temps, de nombreux signes indiquent un changement d'ère. Si 1.000 GW de capacités électriques alimentées au charbon ont été construites depuis 2000 et 500 GW depuis 2010 (dont 850 GW en Chine et 150 GW en Inde), les chiffres indiquent une nette baisse des nouvelles constructions : de 39% au niveau mondial en 2018 par rapport à 2017, et de 84% par rapport à 2015. Surtout, avec la suppression de 31 GW, 2018 est la troisième année en termes de fermetures de centrales.
L'Europe, qui a vu sa capacité installée baisser de 10% depuis 2000, a fermé l'équivalent de 3,7 GW en 2018, essentiellement en Grande-Bretagne, où la part du charbon dans le mix électrique a nettement reculé, passant de 39% en 2012 à 5% en 2018. En Allemagne, encore très dépendante de ce combustible fossile, les énergies renouvelables (40% du mix électrique) dépassent le charbon (38%), en légère baisse.
Aux États-Unis, en dépit des mesures très favorables mises en œuvre par l'administration Trump, les fermetures ont atteint près de 18 GW. L'Inde, autre pays accro au charbon, a néanmoins installé en 2018 plus de solaire et d'éolien. Même en Chine, la reprise des constructions contraste avec un plus bas historique concernant les nouveaux permis : moins de 5 GW y ont été accordés, contre 184 GW en 2015.
Prévoir une date de sortie
Le mouvement mondial de « désinvestissement », entamé en 2015 en amont de la COP21, se poursuit donc, lentement. Certains industriels ont décidé de vendre leurs actifs, à l'image du français Engie, qui vient de finaliser sa sortie de Glow en Thaïlande. L'énergéticien japonais Marubeni a également annoncé il y a quelques mois vouloir réduire de moitié sa capacité de génération de charbon (3 GW) d'ici à 2030. Mais surtout, les financiers se retirent petit à petit.
Ainsi, BNP Paribas AM annonce que, pour réduire l'exposition de ses portefeuilles à un risque financier, il exclura désormais de ses investissements les entreprises générant plus de 10% de leur chiffre d'affaires dans l'extraction ou représentant plus de 1% de la production mondiale. Depuis 2015, plus de 1.000 entreprises et près de 60.000 particuliers se sont engagés à retirer leurs investissements du secteur, pour un total cumulé d'actifs représentent 8.000 milliards dollars.
Une trentaine d'États enfin, notamment en Europe, ont fixé une date de sortie du charbon. Dans le cadre de la refonte du marché de l'électricité, le Parlement européen prévoit la fin des subventions dès l'entrée en vigueur du règlement pour les nouvelles centrales, et en 2025 pour les centrales existantes. L'Angleterre, qui a promis lors de la COP22 à Marrakech qu'elle cesserait de produire de l'électricité à partir de charbon d'ici à 2025, semble en bonne voie. L'Allemagne devrait fixer une date entre 2035 et 2038 dans sa nouvelle loi-cadre sur la protection du climat.
Quant à la France, le candidat Emmanuel Macron avait promis la fermeture de ses quatre centrales en 2022. Une promesse que le Président a répétée à maintes reprises mais qui n'ira pas sans rencontrer des obstacles, comme l'illustrent les mouvements sociaux entamés en décembre dernier à la suite dʼune déclaration présidentielle en ce sens.
Démanteler quatre centrales
Au total, quelque 2.000 emplois (directs et indirects) sont concernés et, partout, les troupes organisent la résistance. Deux des centrales françaises (au Havre et à Cordemais, en Loire-Atlantique) sont exploitées par EDF, les deux autres (à Saint-Avold, en Moselle, et à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône) sont en passe d'être vendues par l'allemand Uniper (ex-E.ON) à EPH, dont le principal actionnaire est le tchèque Daniel Kretinsky (actionnaire du Monde et de Marianne).
Le groupe, qui a bâti sa fortune sur la reprise à bas coût de centrales en fin de vie (dont celles de l'électricien suédois Vatt enfall), est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre en Europe après l'allemand RWE.
Les salariés de Saint-Avold et de Gardanne craignent le démantèlement de leur entreprise. Le président de la Région Grand Est, Jean Rottner, a écrit à Emmanuel Macron pour l'alerter sur l'impact négatif de la fermeture de la tranche charbon. À Gardanne, en grève depuis le 7 décembre 2018, les salariés menacent de « mettre le département à feu et à sang ». À Cordemais comme au Havre, salariés et direction misent désormais sur une diversification de leur combustible, voire de leur activité.
La fermeture des centrales françaises devrait figurer dans la « petite loi énergie » dont la présentation, initialement prévue au Conseil des ministres du 11 mars, a été repoussée. Dans une version transmise fin février au Conseil économique, social et environnemental pour avis, toute référence au charbon avait disparu, et dans la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ne figurent que les centrales fonctionnant exclusivement au charbon. Le gouvernement chercherait la formule magique qui éviterait à l'État de devoir indemniser les exploitants.
En attendant, il a demandé à l'opérateur de transport d'électricité, RTE, garant de la sécurité d'approvisionnement, d'étudier le scénario du pire afin d'évaluer le rôle potentiel des centrales à charbon après 2022.
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ZOOM
Le scénario du pire laisse de l'espoir à Cordemais
Quid de la sécurité d'approvisionnement française en cas de retard de la mise en service de l'EPR de Flamanville, de la centrale à gaz de Landivisiau et des parcs éoliens off shore, et de l'annulation de l'interconnexion avec l'Angleterre ? Le gouvernement a demandé à RTE d'étudier ces « conditions particulièrement dégradées » pour compléter son analyse de novembre dernier, afin d'évaluer la faisabilité de la fermeture des centrales à charbon en 2022.
Soulignant le caractère improbable de cette situation, RTE convient qu'elle impliquerait une exploitation dégradée du système électrique ou le maintien de la disponibilité jusqu'en 2024 de certaines tranches à charbon, pour des durées limitées à quelques dizaines d'heures lors des pics hivernaux. Localement, cela concerne les deux tranches de Cordemais jusqu'à l'entrée en service de l'EPR. Autres pistes pour passer le cap : accélérer sur l'efficacité énergétique et négocier avec EDF pour optimiser les dates et les durées des arrêts planifiés de ses centrales nucléaires.
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