"Une affaire de semaines". Le gouvernement français se donne encore quelques semaines pour décrocher un accord avec la Commission européenne sur l'avenir d'EDF, après de longs mois de négociations techniques et politiques. L'exécutif estime désormais être dans "la dernière ligne droite pour aboutir, ou non, à un accord" autour du projet de réorganisation Hercule. Raison pour laquelle les ministères de l'Economie et de la Transition écologique ont organisé, hier et aujourd'hui, une rencontre avec les représentants syndicaux d'EDF, demandée par ces derniers depuis de nombreuses semaines.
"Nous sommes dans une situation binaire. Soit nous arrivons dans les prochaines semaines à un accord et la suite c'est la consultation des instances de représentation et un projet de loi dans la foulée présenté au parlement pour une adoption début 2022. Soit, la Commission européenne franchit les lignes rouges que nous nous sommes fixées et dans ce cas là, nous restons dans une situation de statu quo avec le mécanisme de l'Arenh tel qu'il existe", résume une source gouvernementale.
Bruxelles et ses "murailles de Chine"
Le projet Hercule consiste à réorganiser EDF pour lui donner les moyens de financer ses investissements dans le nucléaire et les énergies renouvelables où il accuse un certain retard. Il est directement lié à la réforme de l'Arenh (le mécanisme qui fixe le prix de l'électricité nucléaire que revend EDF à ses concurrents), souhaitée par EDF et le gouvernement, qui le considèrent comme un handicap, car ne couvrant pas la totalité des coûts de production. Jean-Bernard Lévy, le directeur général d'EDF, l'a ainsi qualifié à plusieurs reprises de "poison". De son côté, la Commission européenne veut, elle, s'assurer que la hausse du prix du nucléaire régulé en France (qui permettrait donc à EDF d'accroître ses revenus) ne porte pas préjudice à ses concurrents.
Le projet, s'il abouti, pourrait alors se traduire par la séparation d'EDF en trois entités distinctes : un EDF bleu 100% public pour le nucléaire et le réseau de transport (RTE), un EDF vert, dont le capital serait ouvert à des investisseurs privés, pour les énergies renouvelables, le réseau de distribution (Enedis) et les services, et, enfin, un EDF Azur pour les activités hydrauliques. Ce nouveau schéma permettrait alors d'isoler le nucléaire du reste de l'entreprise et ainsi de répondre aux exigences anticoncurrentielles de Bruxelles.
Si dans les grands principes, le gouvernement français et la Commission européenne semblent être alignés, le bras de fer se joue aujourd'hui dans les détails de cette réorganisation. Bruxelles exige en effet "un certain nombre de murailles de Chine" entre les différentes entités, qui pourraient remettre en cause l'intégrité du groupe. Or, c'est une ligne rouge que le gouvernement affirme ne pas vouloir franchir, alors que syndicats, associations et partis politiques de tout bord craignent un démantèlement.
Frictions sur les fonctions support
"S'il y a éclatement du groupe EDF, il n'y aura pas d'accord", a assuré la même source gouvernementale. "Si plusieurs unités se trouvaient cotées séparément en Bourse, par exemple, ce ne serait pas envisageable", a-t-elle poursuivi. L'exécutif affirme ainsi travailler à un accord, mais "pas à n'importe quel prix et pas dans n'importe quelles conditions".
Les tractations entre la France et la commission se cristallisent notamment sur la question de la mutualisation des fonctions support et celles qui doivent justement faire l'objet de murailles de Chine, selon Bruxelles.
"Un grand groupe doit être doté d'une stratégie commune et avoir la capacité de disposer des fonctions mutualisées qui assurent l'efficacité économique de ce groupe", pointe la source gouvernementale, qui n'a pas souhaité s'exprimer sur les fonctions supports justement concernées par ces ultimes négociations.
Autre point sensible qui n'a pas encore été tranché : le nouveau prix de la revente de l'électricité nucléaire. Mais "nous avons un accord de principe sur les grandes briques qui constituent le prix", précise la source gouvernementale.
Des chances "raisonnables", mais "pas certaines"
Quelle date butoir s'est fixée la France pour mener à bien ces négociations ? Le gouvernement assure ne pas s'être donné un calendrier précis et dit s'efforcer à "franchir les derniers mètres". Mais dans les faits, compte tenu d'un calendrier déjà législatif très chargé, il semble difficile qu'une loi puisse être adoptée avant mai 2022, avant la fin du quinquennat donc, si un accord avec l'UE n'était pas trouvé en mai 2021 au plus tard.
Dans tous les cas, l'accord final passera forcément par des discussions politiques. "Il y a un double niveau de négociations. Il y a, à la fois, des contacts techniques extrêmement développés, et des contacts avec la vice-présidente de la Commission européenne Margrethe Vestager sur l'ambition que nous portons en termes de mix énergétique", explique-t-on dans les ministères.
Quant à son appréciation des chances réelles d'aboutir à un accord, la source proche du dossier, répond qu'il y a "de bonnes chances, des chances raisonnables, mais elles ne sont pas certaines". En cas d'échec des négociations, quelle forme prendrait le plan B, évoqué il y a quelques semaines par Barbara Pompili devant l'Assemblée nationale ? L'exécutif n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet. "Nous avons franchi des pas importants. L'accord reste notre logique centrale et nos efforts sont tendus vers le scénario d'une réussite", insiste-t-on. Les investisseurs, eux aussi, semblent confiants. Dés jeudi, sur des espoirs d'un accord final entre Paris et Bruxelles, l'action EDF bondissait de plus de 6% à la Bourse de Paris et s'est stabilisé ce vendredi au-dessus de 11 euros.
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