
Des milliers d'affiches dans plusieurs grandes villes françaises, des encarts publicitaires dans les journaux, des vidéos sur les réseaux sociaux, un site internet et une pétition en ligne. Hier, le 27 janvier, le Comité social et économique central d'EDF a lancé une campagne nationale de communication pour appeler les Français à défendre le service public de l'énergie, que pourrait mettre en péril le projet Hercule.
"C'est une campagne d'alerte du grand public afin de mettre les citoyens en mouvement pour protéger leur service public", a exposé Philippe Page Le Merour, secrétaire CGT du CSEC, lors d'une conférence de presse.
L'origine de cette campagne ? Le projet Hercule qui fait l'objet d'une mobilisation en interne depuis de long mois. En 2018, les pouvoirs publics chargent Jean-Bernard Lévy, le PDG d'EDF, de proposer un schéma de réorganisation de l'entreprise, endettée à hauteur de 41 milliards d'euros, pour lui permettre d'investir dans le nucléaire, les réseaux et les énergies renouvelables, où elle atteste un certain retard.
Les syndicats contre Hercule
Ce projet pourrait se traduire par la séparation d'EDF en trois entités distinctes : un EDF bleu 100% public pour le nucléaire, un EDF vert, dont le capital serait ouvert à des investisseurs privés, pour les énergies renouvelables, le réseau de distribution et les services et, enfin, un EDF Azur pour les activités hydrauliques. Objectif : isoler le nucléaire du reste de l'entreprise.
Cette réorganisation vise en effet à répondre aux exigences anticoncurrentielles de la Commission européenne, en échange d'une hausse du prix de vente de l'électricité nucléaire, fixé à 42 euros le mégawattheure il y a une dizaine d'années et jugé trop bas par l'électricien et le gouvernement français. Ce prix a été instauré via le mécanisme de l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) lors de l'ouverture du marché de la fourniture d'électricité à la concurrence. Il oblige EDF à vendre une partie de sa production d'électricité nucléaire aux fournisseurs alternatifs à un prix fixe, afin que ces derniers puissent proposer des offres compétitives aux clients.
Risque de démantèlement
Aujourd'hui, le schéma définitif de la réorganisation n'est pas encore connu, les discussions s'éternisant à Bruxelles. Les dirigeants de l'entreprise et le gouvernement assurent, eux, qu'EDF restera un groupe totalement intégré. Mais les syndicats voient dans ce projet un démantèlement du groupe et dénoncent une privatisation du service public de l'énergie.
"Ce projet, c'est la coupure définitive du cordon ombilical entre la production d'électricité et la vente d'électricité, qui est l'ADN d'EDF depuis 1946. Si le projet Hercule est acté, cet ADN serait définitivement rompu et une activité commerciale d'EDF se retrouverait dans la jungle du dumping social et du dumping commercial. Elle deviendrait une entreprise comme les autres", estime Philippe Page Le Merour.
Plusieurs journées de grève ont été bien suivies en interne depuis novembre dernier, chacune ayant mobilisé environ 30% des salariés. Une mobilisation qualifiée "d' historique" par le CSEC compte tenu du télétravail massif engendré par la crise sanitaire. "Il est plus simple d'organiser un mouvement social lorsque les salariés constituent un collectif, que lorsqu'ils sont en télétravail chacun chez eux", pointe Philippe Page Le Merour.
Soutiens "de tous bords"
"Les salariés ne se mobilisent pas pour leur propre intérêt personnel, mais pour la défense de leur entreprise et la pérennité d'un service public de qualité. Ils sont soutenus par des politiques de tous bords et par la FNCCR", pointe Amélie Henri (CFE Energie).
Cette fédération de collectivités locales s'inquiète notamment des conséquences du projet sur le réseau de distribution qu'exploite Enedis. Par ailleurs, en fin d'année, plusieurs députés PS avaient proposé de déposer un projet de référendum d'initiative populaire, tandis que plusieurs partis politiques et associations se sont mobilisés pour créer, en début de semaine, le Collectif national pour un véritable service public de l'énergie.
"Le projet Hercule est une mauvaise solution à un problème mal posé. La sous-capitalisation et la sous-rémunération de l'entreprise sont la cause majeure de la situation de surendettement d'EDF", dénonce encore Amélie Henri.
Une question de justice sociale
Marie Vial (CFDT) évoque, elle, une question de "justice sociale".
"Scinder EDF amènera, de fait, à une augmentation des coûts de l'électricité et à une augmentation de la facture des consommateurs. Les usagers vont devenir des clients et ce sont eux qui, au final, vont payer la facture de la privatisation", déplore-t-elle.
Selon elle, le projet Hercule sera synonyme "d'anéantissement des synergies" et de "la suppression des mécanismes d'optimisation des coûts".
Cette potentielle augmentation du prix de l'électricité est justement un levier sur lequel joue la campagne de communication. Une des vidéos met ainsi en scène la déception d'une jeune fille qui ne peut partir en vacances, ses parents lui expliquant qu'ils doivent payer la facture d'électricité.
Mobiliser les Français pour plus de transparence
Pour monter cette campagne, le Comité social et économique central d'EDF a fait appel à l'agence de communication Invidia et a consacré un budget de 300.000 euros. "C'est la première fois qu'on occupe de telle façon le paysage médiatique français", souligne Philippe Page Le Merour. Objectif de l'initiative : inciter les citoyens à demander des comptes sur les discussions autour du projet Hercule "menées dans les sous-sols et les coursives de l'Elysée et de la Commission européenne", selon le représentant du personnel.
Outre le fond du projet Hercule, les instances représentatives du personnel dénoncent aussi les méthodes employées autour du projet de réorganisation. "Nous en apprenons davantage par le canal médiatique que par le canal de l'entreprise", déplore Philippe Page Le Merour. La direction d'EDF devrait toutefois proposer aux fédérations syndicales un rendez-vous dans les prochaines semaines. Mais ces dernières ne souhaitent discuter qu'à la condition que le projet Hercule soit retiré.
Dans le cas contraire, elles prévoient de nouvelles mobilisations, les 4, 10 et 11 février prochains, dates qui correspondent aux auditions respectives de Barbara Pompili, Jean-Bernard Lévy et Bruno Le Maire devant l'Assemblée nationale. Le 10 janvier devrait être la journée où la mobilisation sera la plus forte avec un appel à la grève, qui pourrait jouer sur la production d'électricité.
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