Permettre aux industriels de vendre l’énergie qu’ils n’ont pas consommée : le risque de créer une usine à gaz

Le gouvernement envisage de créer un marché où les industriels pourraient s'échanger, entre eux, des droits à consommer de l'énergie, inspiré du marché européen du droit à polluer. Un tel outil est plébiscité par la filière, qui redoute une allocation non optimale du gaz en cas de rationnement et les effets néfastes sur la croissance économique du pays. Mais la création d'un tel mécanisme pour l'énergie pose d'emblée de nombreuses questions et la difficulté réside dans sa mise en œuvre.
Juliette Raynal
(Crédits : KACPER PEMPEL)

Alors que les prix de l'électricité et du gaz atteignent de nouveaux sommets et que la France, comme ses voisins européens, craint des pénurie d'énergie cet hiver, le gouvernement français songe à créer un marché de l'énergie de gré à gré pour les entreprises. L'idée ? Permettre aux entreprises de se revendre, entre elles, l'énergie qu'elles n'ont pas consommée sur le modèle des droits à émettre du CO2 en Europe. C'est ce qu'a expliqué ce matin, le ministre de l'Industrie Roland Lescure, sur BFM Business. Quelques heures plus tard, cette piste est de nouveau évoquée par Elisabeth Borne, lors de la Rencontre des entrepreneurs français (REF), organisée par le Medef. Dans un discours où elle enjoint les entreprises à arrêter toute consommation d'énergie non indispensable face au risque accru de coupures de gaz et d'électricité cet hiver, la cheffe du gouvernement a expliqué qu'une réflexion était menée sur un « marché d'échange de droits à consommer » de l'énergie.

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Limiter les effets d'un rationnement de gaz sur le PIB

Ce système de droit à consommer de l'énergie pourrait être appliqué «aux industriels qui ont l'habitude d'utiliser ce genre d'instruments » afin de « limiter la consommation de gaz », a ajouté Roland Lescure, en précisant toutefois n'en être qu'au « niveau exploratoire » sur le sujet.

« C'est un outil sur lequel nous sommes prêts à travailler et nous avons entamé des discussions préliminaires avec Bercy sur ce sujet », réagit Alexandre Sobot, président de l'organisation professionnelle France Industrie. « Nous défendons l'idée selon laquelle il faut être au plus près du terrain pour qu'une ressource rare soit allouée le plus intelligemment possible pour les industriels », ajoute-t-il.

Le patron de France Industrie veut à tout prix éviter un scénario dans lequel une usine d'un groupe a du gaz mais pas de composants tandis qu'une autre usine du même groupe a les composants, mais pas de gaz pour produire. « Le sujet n'est pas tant l'outil, mais la meilleure manière dont on peut allouer le gaz, dont le degré de rareté n'est pas encore connu, avec un objectif commun qui est de limiter les effets d'un rationnement de gaz sur le PIB », résume-t-il.

Un marché inspiré de celui du droit à polluer

Pour l'heure, une seule certitude, le gouvernement entend s'inspirer du marché européen de « permis à polluer », dit ETS pour Emissions trading schemes. Comment fonctionnent ces droits à émettre du CO2 ? Il s'agit d'un système d'échange de quotas entre industriels, créé en 2005 et destiné à faire baisser les émissions de CO2. Concrètement, un plafond aux émissions de gaz à effet de serre est fixé (quotas) chaque année à destination des industries participant à ce marché, et à un niveau plus bas que leur niveau d'émission réel. Au total, l'Union européenne distribue des quotas à 11.000 sites industriels responsables de 45% des émissions de CO2. En 2020, 2,2 milliards de quotas carbone ont été attribués.

Si l'entreprise réduit ses émissions, elle peut revendre son droit à émettre non utilisé. Dans le cas contraire, elle doit en acheter, selon le principe du pollueur-payeur. Ainsi, plus le prix du carbone est élevé, plus les entreprises sont incitées à réduire leurs émissions de CO2.

De nombreuses questions

La création d'un tel mécanisme pour l'énergie pose d'emblée plusieurs questions. Ce marché, s'il voit le jour, sera-t-il pérenne ou seulement temporaire ? Quand pourra-t-il être mis sur pied ? Est-il pertinent de le déployer uniquement à l'échelle française ? Sera-t-il limité aux entreprises déjà soumises au marché du carbone, c'est-à-dire les centrales produisant de l'électricité, les entreprises de la sidérurgie, du verre, du secteur de la chimie et de la cimenterie et les raffineries de pétrole ?

Autre question clé : quelle énergie serait concernée par ces droits à consommer ? « Ce mécanisme n'aurait du sens que pour le gaz qui se stocke, mais pas pour l'électricité qui ne se stocke pas », pointe Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden). En général, lorsqu'un industriel achète du gaz et n'en a pas besoin, il le garde en stock pour une utilisation ultérieure car il n'y a pas de marché secondaire. « Un industriel qui dispose d'un four pour fabriquer du verre pourrait avoir intérêt à revendre le gaz qu'il n'a pas consommé et qu'il a stocké dans son entreprise », illustre l'économiste.

« La vertu devient une marchandise »

Selon lui, un marché de gré à gré reviendrait à faire de l'effacement. « On peut concevoir que les industriels qui font des économies d'énergie peuvent revendre leurs efforts à ceux qui ont besoin d'énergie. La vertu devient alors marchandise », projette-il.

Un tel scénario impliquerait qu'un opérateur se charge de récupérer les économies faites pas certaines entreprises pour les revendre aux autres. « Cela suppose qu'il y ait une contrainte établie par l'Etat », relève Jacques Percebois. « On peut imaginer que l'Etat exige que les entreprises baissent de X% leur consommation par rapport à leur facture de l'année précédente. Et, si cette baisse est réalisée, l'entreprise a la possibilité de revendre son énergie à un autre acteur qui n'a pas été vertueux », esquisse-t-il.

La difficulté, selon l'expert, réside surtout dans la mise en œuvre d'un tel mécanisme. « Il ne faut pas que le coût de transaction soit supérieur aux bénéfices que cela rapporte. Le risque c'est de créer une usine à gaz », prévient Jacques Percebois.

Enfin, faut-il craindre des effets pervers pour la croissance ? Certaines entreprises pourraient, en effet, réaliser un arbitrage économique et choisir de réduire leur production pour vendre de l'énergie non consommée, plutôt que les produits qu'elles commercialisent habituellement.

De fait, pour certaines entreprises très consommatrices d'énergie, les marges de manœuvre pour diminuer davantage leur consommation, en dehors de baisser leur production, sont très limitées, ces dernières ayant déjà réalisé de nombreux efforts en la matière compte tenu de la place que représente l'énergie dans leurs coûts. C'est le cas notamment des industries de la chimie, de la métallurgie ou encore de l'agroalimentaire.

Juliette Raynal

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Commentaires 6
à écrit le 30/08/2022 à 14:30
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Il faut croire que les prix actuels ne sont pas assez haut? Permettre à plus d'acteurs de spéculer n'a jamais fait baisser les prix. Si une revente est permise, elle ne doit pas permettre de bénéfice afin de ne pas créer un nouveau marché spéculatif.

à écrit le 30/08/2022 à 10:37
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Souvenir: L’escroquerie gigantesque qu’a été l’affaire des « quotas carbone ». Les sommes envolées donnent le tournis : au moins 1,6 milliard d’euros de pertes pour la France en moins d’un an, 6 milliards pour les pays de l’Union européenne. L’i...

le 30/08/2022 à 11:42
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Eh oui, c'est bien connu: 'l'enfer est pavé de bonnes intention'. Avec le nombre de bien-pensants actuels qui n'ont que de bonnes intentions et ne s'inquiète que de notre bien à tous, il faut s'attendre à ce que l'enfer soit particulièrement rude!

à écrit le 30/08/2022 à 9:51
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L'hiver va être intéressant. La frénésie réglementaire va se heurter à des réalités physiques et technologiques, et elle va tout faire pour éviter la libre confrontation de l'offre et de la demande. Pénuries, coupures, hausses de prix, usines à ga...

à écrit le 30/08/2022 à 7:42
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rien ne vas plus maintenant nos dirigeants invente l'escroquerie legal

le 30/08/2022 à 9:29
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résultat de la politique démocratique à huit clos une vrai usine a gaz ! la débandade

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