Covid-19 : des effets sans précédent et durables sur la consommation mondiale d'énergie

Dans son très influent World energy outlook, l'Agence internationale de l'énergie estime que la pandémie a fait chuter de 5% la demande mondiale d'énergie. Ce recul touche plus particulièrement les énergies fossiles et atteint 8% pour le pétrole. Seules les énergies renouvelables progressent cette année. Si les émissions de CO2 enregistrent une baisse record, elles devraient repartir à la hausse dès l'année prochaine. Le monde est encore loin d'une reprise durable, estime l'agence.
Juliette Raynal
Selon l'AIE, la demande mondiale d'énergie baissera de 5% en 2020 par rapport à 2019. Cette chute touche particulièrement les énergies fossiles. La demande de pétrole souffre le plus de la crise actuelle avec un recul attendu de 8%.
Selon l'AIE, la demande mondiale d'énergie baissera de 5% en 2020 par rapport à 2019. Cette chute touche particulièrement les énergies fossiles. La demande de pétrole souffre le plus de la crise actuelle avec un recul attendu de 8%. (Crédits : Reuters)

"La crise du Covid-19 a causé plus de perturbations que tout autre événement dans l'histoire récente, laissant des cicatrices qui dureront des années", explique ce mardi 13 octobre, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à l'occasion de la publication annuelle de son très influent World energy outlook (WEO)

Selon l'agence, dirigée par le professeur Fatih Birol, la demande mondiale d'énergie doit baisser de 5% en 2020 par rapport à 2019. Cette baisse devrait être plus ou moins marquée selon les combustibles, mais touche davantage les énergies fossiles. La consommation de pétrole, fortement pénalisée par la quasi mise à l'arrêt du trafic aérien, doit chuter de 8% cette année. Celle du charbon de 7% par rapport à 2019. Le déclin pour le gaz naturel est moins marqué avec une demande en recul de 3%. Même tendance pour la demande d'électricité, avec une baisse attendue de 2% tandis que seules les énergies renouvelables affichent une légère croissance.

Retour au niveau d'avant crise en 2023... au plus tôt

Exceptionnellement, le rapport phare de l'AIE se concentre sur les dix prochaines années seulement, en explorant différentes voies de sortie de la crise. Selon le scénario baptisé STEPS, qui s'appuie sur les objectifs des politiques en vigueur, la demande mondiale d'énergie ne reviendra à son niveau d'avant crise qu'au début de 2023. Toutefois, si la pandémie se prolonge et les perspectives économiques se dégradent durablement, ce retour n'interviendra pas avant 2025. C'est en tout cas ce que prévoit le scénario de reprise retardée, baptisé DRS.

Avant la crise du coronavirus, l'agence internationale tablait sur une hausse de la demande d'énergie de 12% entre 2019 et 2030. Désormais, l'AIE mise sur une croissance plus faible de 9% dans le cadre du scénario STEPS. Et, de seulement 4% dans le scénario pessimiste.

Un palier à l'horizon 2030 pour le pétrole

Concernant plus spécifiquement la demande de pétrole, celle-ci pourrait atteindre un palier à l'horizon 2030, mais sans qu'il n'y ait de déclin prononcé par la suite, la demande des pays émergents compensant le déclin de celle des pays riches.

"L'ère de la croissance de la demande mondiale de pétrole prendra fin au cours de la prochaine décennie", a déclaré Fatih Birol dans un communiqué de presse. "Mais sans un changement important des politiques gouvernementales, il n'y a aucun signe de déclin rapide. Sur la base des paramètres politiques actuels, un rebondissement de l'économie mondiale ramènerait bientôt la demande de pétrole aux niveaux d'avant la crise", poursuit-il.

Baisse record (mais temporaire) des émissions

Conséquence logique de la réduction de la consommation d'énergie, les émissions de CO2 ont diminué de 7% cette année (- 2,4 gigatonnes), renouant avec les niveaux d'il y a dix ans. En revanche, l'AIE prévient qu'il n'y aura peut-être pas de baisse similaire en 2020 pour les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre, malgré une production pétrolière et gazière plus faible.

Par ailleurs, l'agence alerte sur le fait que les émissions de CO2 devraient repartir à la hausse dès l'année prochaine. Ces dernières devraient rebondir plus lentement qu'après la crise financière de 2008, mais "le monde est encore loin d'une reprise durable", estime l'AIE.

"Malgré une baisse record des émissions mondiales cette année, le monde est loin d'en faire assez pour les faire baisser de manière décisive. Le ralentissement économique a temporairement supprimé les émissions, mais une faible croissance économique n'est pas une stratégie à faibles émissions - c'est une stratégie qui ne servirait qu'à appauvrir davantage les populations les plus vulnérables du monde", avertit Fatih Birol.

La publication souligne ainsi qu'à cause de la pandémie, le nombre de personnes en Afrique subsaharienne n'ayant pas accès à l'électricité a augmenté pour la première fois depuis des années. Selon le rapport, l'accroissement de la pauvreté a sans doute rendu les services d'électricité inabordables pour plus de 100 millions de personnes à travers le monde.

Incertitudes sur les émissions négatives

Outre l'impact de la pandémie de coronavirus, l'édition 2020 du WEO est aussi marquée par l'intégration d'un nouveau scénario visant la neutralité carbone en 2050, une première. Si l'initiative a été saluée par plusieurs ONG, dont Reclaim Finance et Oil Change International, ces dernières regrettent toutefois que ce scénario, baptisé NZE2050, s'arrête en 2030.

Les scénarios publiés par l'AIE influencent très largement les gouvernements, les grandes entreprises et les institutions financières dans la mise en oeuvre de leur stratégie de décarbonation. Toutefois, plusieurs ONG estiment que ces derniers ne sont pas suffisamment robustes pour être en phase avec les objectifs des Accords de Paris. Elles dénoncent notamment la place prépondérante accordée aux émissions négatives, comme les technologies de capture de CO2 qui permettent de diminuer les émissions de CO2 au niveau même des installations polluantes, comme les centrales à charbon.

"Beaucoup d'incertitudes entourent ces technologies. Aujourd'hui, nous n'avons recensé que 19 projets opérationnels dans le monde entier. Nous sommes assez loin de l'industrialisation", juge Paul Schreiber de Reclaim Finance, pour qui ces technologies favorisent le maintien des énergies polluantes. Le scénario NZE2050 permettrait ainsi d'émettre 18% de CO2 de plus d'ici 2030 (soit 3.6 gigatonnes) qu'un scénario à 1.5°C sans émissions négatives.

Juliette Raynal

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