Le choc est "historique" et ses conséquences seront "sans précédent", prévient l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Dans son dernier rapport, publié en fin de semaine dernière, l'organisation anticipe une chute de 6% de la consommation mondiale d'énergie, soit sept fois plus que lors de la crise financière de 2008 et du jamais vu depuis la seconde guerre mondiale. En terme absolu, ce repli sera même le plus important jamais enregistré. Il sera "l'équivalent de la perte de l'intégralité de la demande indienne, le troisième consommateur mondial d'énergie", note l'AIE.
"En raison des crises sanitaires et économiques sans précédent, le plongeon de la demande de quasiment toutes les énergies est colossal, en particulier pour le charbon, le pétrole et le gaz. Seules les énergies renouvelables résistent, malgré le recul inédit de la consommation d'électricité, souligne Fatih Birol, le directeur de l'AIE. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets à long terme, mais l'industrie qui émergera de la crise sera significativement différente de la précédente."
-11% en Europe
Sur l'ensemble du premier trimestre, la demande d'énergie a déjà chuté de 3,8% par rapport à début 2019. Et le repli a été beaucoup plus marqué en mars, alors que la propagation de l'épidémie de coronavirus a stoppé des pans entiers des économies en Europe et en Amérique du Nord. Les mesures de confinement touchent aujourd'hui plus de la moitié de la population mondiale. En moyenne, elles se traduisent par une baisse de 18% de la demande d'énergie si elles sont partielles, et de 25% si elles sont totales, chiffre l'organisation basée à Paris. Sur un mois, les mesures actuelles représentent un impact de 1,5 point sur la demande annuelle.
L'AIE anticipe une levée progressive du confinement, tout en écartant pas l'hypothèse d'une seconde vague de contamination. L'ampleur de la chute dépendra également de la vigueur de la reprise économique, alors que les grandes économies mondiales se sont fortement contractées au premier trimestre - et qu'elles devraient se contracter encore davantage au deuxième trimestre. Aucune région ne sera épargnée: -11% au sein de l'Unions européenne, -9% aux Etats-Unis, -8% au Japon, -4% en Chine ou encore -3% en Afrique.
Les énergies renouvelables en hausse
Dans le détail, c'est la demande de pétrole qui devrait le plus souffrir de la crise actuelle. Selon l'AIE, elle pourrait chuter de 9% cette année. Un plongeon historique qui la ramènerait à son plus bas niveau depuis 2012. Sur le seul mois d'avril, la demande devrait être inférieure de 29% par rapport à 2019. Et à son plus bas depuis 1995. L'AIE prévoit une amélioration très lente, alors que la circulation automobile a chuté de 50% à 75% dans les régions confinées et que le trafic aérien a plongé - jusqu'à -90% dans certains pays européens.
Le charbon et le gaz seront aussi affectés. Le premier pourrait voir sa demande reculer de 8% en 2020, la plus forte chute depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Et le second pourrait accuser un repli de sa consommation pour la première fois depuis 2009. L'AIE table sur une baisse de 5%. Les deux énergies fossiles sont pénalisées par la crise actuelle, qui se traduit une plus faible consommation d'électricité - qui devrait reculer de 5% cette année. Cette évolution conjoncturelle accélère une évolution beaucoup plus profonde: la transformation du mix énergétique vers des moyens de productions moins polluantes.
De fait, les énergies renouvelables devraient être les seules à progresser cette année: l'Agence internationale de l'énergie prédit une hausse de 5% de leur production. Malgré les retards provoqués par la crise sanitaire dans la construction de nouveaux projets (suspension des chantiers, délais allongés pour obtenir des autorisations administratives, perturbation de la chaîne d'approvisionnement...), le solaire et l'éolien devraient afficher une croissance solide: +16% pour le premier, contre un gain de 22% l'an passé, et +12% pour le deuxième, soit le même rythme qu'en 2019.
Baisse historique des émissions
Conséquence de la baisse de la consommation d'énergies fossiles, les émissions mondiales de CO2 devraient aussi fortement baisser. Selon l'AIE, elles pourraient se réduire de 8% cette année. Une telle baisse, six fois plus importante que celle de 2009, serait alors la plus forte jamais enregistrée. Elle permettrait ainsi de revenir aux niveaux d'émissions de 2010.
"Compte-tenu des morts prématurées et des conséquences économiques, ce repli historique n'a rien de réjouissant, nuance Fatih Birol. Et si on se réfère à la crise financière de 2008, il est probable que les émissions rebondissent fortement lorsque que les conditions économiques s'amélioreront. Mais les gouvernements peuvent apprendre de leurs expériences en mettant les énergies propres au cœur de leurs plans de relance".
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