
Depuis trois ans, GRDF, le gestionnaire de réseau de distribution de gaz voit sa base clients (chauffage et cuisson) s'atrophier. Le solde négatif n'a cessé de se creuser, avec une perte sèche de 3.000 clients en 2020, de 12.700 en 2021 et de 93.000 en 2022, dont 40.000 pour le chauffage, a révélé le gestionnaire lors d'une conférence de presse fin mars. Ces chiffres restent à relativiser au regard des quelque 11 millions de clients que compte GRDF. Il n'en reste pas moins que le déclin s'accélère.
« C'est une baisse plus importante que d'habitude. La nouveauté cette année, c'est que le nombre de clients chauffés au gaz est en baisse », explique Jérôme Chambin, directeur du développement et de la communication de GRDF. Jusqu'à présent la perte de clients s'observait essentiellement du côté des usages de cuisson.
Les chiffres de ventes des chaudières confirment ce déclin. Selon les données publiées en février dernier par le syndicat professionnel Uniclima, les ventes de chaudières au gaz et au fioul ont chuté de près de 30% en 2022. L'année dernière, un peu plus de 500.000 unités se sont écoulées, contre 715.000 en 2021.
« Inquiétude sur les choix énergétiques »
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette chute. D'abord, les chaudières à gaz sont exclues du marché de la construction neuve, depuis la mise en place de la nouvelle réglementation environnementale RE2020 en janvier 2022. Celle-ci interdit la pose de chaudière à gaz dans les bâtiments neufs. Sont concernés tous les modèles, y compris les modèles les plus performants à condensation. Chez GRDF, on explique aussi ce solde négatif par une dynamique de conquête de nouveaux clients plus faible en raison du ralentissement du marché de l'immobilier.
Autre élément d'explication avancé : « une forme d'inquiétude sur les choix énergétiques », dans un contexte de très forte volatilité des prix du gaz. De sorte que le distributeur de gaz a pâti de l'absence de conversion de chaudières au fioul vers les chaudières au gaz. Ainsi, « alors qu'en 2021, 30.000 foyers avaient converti leurs chaudières fioul en chaudière gaz, en 2022, il n'y a eu quasiment aucune conversion », précise Jérôme Chambain. « Nous espérons qu'avec la baisse des prix du gaz cela va repartir », ajoute-t-il, tout en soulignant la facilité de passer du fioul au gaz, « sans avoir besoin de changer tous ses radiateurs ».
La suppression des aides, un mauvais signal
Mais ce qui a énormément joué dans le déclin des chaudières au gaz, c'est la suppression des aides dont bénéficiaient jusqu'à présent les chaudières à très haute performance énergétique (THPE). En effet, les particuliers ne peuvent plus bénéficier d'un soutien financier pour se doter de ce type d'équipement dans le cadre de MaPrimeRenov'. Pour les ménages les plus modestes, cette aide pouvait représenter jusqu'à 1.200 euros. Désormais, seule persiste une aide via les certificats d'énergie, mais celle-ci est beaucoup plus modeste (100 euros en moyenne pour un appartement et 200 euros pour une maison individuelle).
En parallèle de la suppression de MaPrimeRénov' pour la chaudière gaz THPE, les aides pour les pompes à chaleur (PAC) électriques ont, quant à elles, été renforcées. Résultat, « on assiste à une montée en puissance des PAC électriques », pointe Jérôme Chambain. En France, les ventes des PAC air/eau ont bondi de 30%, avec 346.313 unités vendues, contre un peu plus de 267.000 en 2021, selon les chiffres d'Uniclima.
« On regrette énormément que la chaudière THPE n'ait pas continué à bénéficier d'une aide », lâche Laurence Poirier-Dietz, directrice générale de GRDF. « C'est vraiment embêtant car cela envoie le signal que la THPE n'est pas un bon produit ».
Or, selon GRDF, ce type de chaudière individuelle à condensation permettrait de réduire de 30% les émissions de gaz à effet de serre, par rapport aux chaudières classiques peu performantes, qui équipent encore 55% du parc. Reste que dans ses calculs, GRDF ne prend en compte que la phase d'utilisation de l'appareil et non toutes les phases de son cycle de vie, comprenant notamment sa fabrication.
Le potentiel des gaz verts fragilisé
Au-delà du potentiel de décarbonation lié à l'efficacité énergétique des équipements, la filière vante sa capacité à se verdir en remplaçant progressivement le gaz naturel, par du biométhane, de l'hydrogène et des gaz de synthèse. Alors que le gaz naturel émet 227 grammes de CO2 par kilowattheure, le biométhane n'en émet que 44 grammes, souligne la directrice générale de GRDF.
Aujourd'hui, les gaz verts ne représentent que 2% de la consommation globale de gaz en France. Toutefois, les professionnels du secteur affirment qu'il est tout à fait possible d'atteindre les 20% à l'horizon 2030. Avec 546 sites de méthanisation en service, la production française de biométhane représente aujourd'hui l'équivalent d'un réacteur nucléaire. « A l'été, ce sera deux réacteurs et, en 2030, 11 réacteurs », affirme Laurence Poirier-Dietz.
Malgré ce potentiel considérable, Jules Nyssen, le président du Syndicat des énergies renouvelables (Ser), alertait, en début d'année, sur « un risque majeur d'enrayement du système » compte tenu de l'accumulation des projets de méthaniseurs en liste d'attente. Un blocage qui s'explique principalement par la hausse des coûts d'investissement et des coûts d'alimentation en électricité, qui se sont envolés depuis le début du conflit en Ukraine.
Alerte sur les effets d'une électrification trop rapide
Les acteurs de la filière demandent ainsi au gouvernement une revalorisation du prix d'achat du biométhane, prenant en compte l'inflation et la hausse du coût de l'électricité, indispensable pour faire fonctionner un méthaniseur. Ils espèrent aussi l'adoption, d'ici cet été, d'un décret obligeant les fournisseurs de gaz à incorporer un minimum de gaz vert.
Alors qu'une électrification des usages à vitesse grand V est annoncée, les gaziers espèrent réussir à se faire une place dans la transition énergétique. Si le gaz représente 20% des émissions de CO2 de la France, la filière pourrait contribuer à plus de 25% aux efforts de décarbonation de la France en 2030, assure le gestionnaire.
« Si l'électrification massive n'est pas en phase avec le rythme de production d'électricité nucléaire et renouvelable, nous aurons des émissions additionnelles, plutôt qu'une réduction. Électrifier trop vite, ce n'est pas toujours décarboner », conclut Laurence Poirier-Dietz.
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