Le CEA développe des solutions de fabrication de gaz vert à partir de déchets organiques

Les enjeux de la dépendance au gaz russe devenant de plus en plus cruciaux, le biogaz est sous le feu des projecteurs. L’objectif des réseaux gaziers en pleine transition énergétique est d’assurer un approvisionnement du gaz naturel à la fois plus souverain et plus vert. À Grenoble, c’est au centre de recherche de CEA Tech que l’on travaille sur une nouvelle collaboration stratégique sur cinq ans avec GRDF pour optimiser ensemble la production de gaz 100 % renouvelable. (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

« Aujourd'hui, tout l'enjeu de la filière biogaz est de faire sa transition vers le monde d'après, notamment en matière de volume : car nous sommes actuellement en capacité de produire du gaz vert pour chauffer près de 2 millions de logements neufs en France, ce qui représente l'équivalent des villes de Lille, Nantes et Lyon réunies. C'est bien, mais il faut aller plus loin », résume Guilhem Armanet, président de l'Association française du Gaz Auvergne-Rhône-Alpes (AFG Aura) et directeur clients territoires de GRDF en région Sud-Est. Avec un équivalent de production énergétique assimilé à la production d'une tranche nucléaire actuellement pour le biogaz, tout l'enjeu est donc de multiplier ce chiffre par quatre d'ici deux ans. « Le biogaz est aujourd'hui l'énergie renouvelable la plus en avance sur ses objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et ses projections s'appuieront en grande partie sur le biométhane déjà produit. » Et à ce titre, la voie la plus connue jusqu'ici résidait dans la méthanisation, un procédé qui consiste à réaliser, par le biais de micro-organismes, une dégradation de matières organiques, en l'absence d'oxygène et au sein d'un milieu contrôlé. Mais c'est loin d'être la seule voie étudiée aujourd'hui pour produire des gaz « verts », susceptibles de remplacer un jour le gaz naturel d'origine fossile au sein des réseaux de gaz, destinés ensuite à alimenter les usages industriels ou les réseaux de chaleur. « Nous comptons aussi sur l'arrivée de gaz renouvelables bas carbone de seconde génération, qui arrivent à travers de nouveaux procédés de gazéification et de pyrogazéification », ajoute Guilhem Armanet.

De la méthanisation aux autres voies

« La méthanisation est devenue aujourd'hui une filière assez mature et qui se développe, mais elle ne suffira pas à tout produire. Il faudra donc avoir recours à d'autres modes de production de biométhane, parmi lesquels on retrouve par exemple le power to gaz, qui consiste à produire de l'hydrogène par électrolyse à partir d'électricité décarbonée, pour combiner ensuite cet hydrogène avec du CO2 afin d'en faire du méthane de synthèse », expliquait déjà à La Tribune Laurent Bedel, responsable du laboratoire Réacteurs et procédés au sein de CEA Tech.

À ce sujet, les équipes du CEA travaillent notamment sur les réacteurs catalytiques en vue de produire du méthane à partir de l'hydrogène et de CO2, comme à Fos-sur-Mer, avec le projet Jupiter 1 000, piloté par GRTGaz, et dans lequel l'institut est impliqué aux côtés de différents partenaires. Même chose dans la région Centre avec Storengy, où un couplage entre un procédé de méthanisation et méthanation permet de venir récupérer le CO2 du biogaz, pour le convertir ensuite en méthane avec de l'hydrogène.

Une autre voie possible est celle de la valorisation de la biomasse et des déchets, à travers des procédés de gazéification. Avec à l'intérieur, deux « sous-filières », à commencer par la pyrogazéification, dont était par exemple issu le projet Gaya en Auvergne-Rhône-Alpes conduit par Engie depuis 2010, et qui a mené l'énergéticien vers un projet d'industrialisation au Havre. « La pyrogazéification permet de gazéifier de la biomasse ou des déchets secs pour obtenir un gaz de synthèse qui reprend du CO et de l'hydrogène et former du méthane de synthèse après une réaction de méthanation », explique Laurent Bedel. C'est par exemple le cas lorsque l'on souhaite transformer du bois dit propre ou du bois de classe B, « où la filière semble assez mature, mais un peu moins lorsqu'il s'agit de déchets agricoles ou complexes, où il reste des travaux à faire ».

Vers une filière de gazéification hydrothermale

Autre possibilité ? Avoir recours à des déchets humides voire liquides, qui seraient traités à travers un procédé de gazéification dit « hydrothermale », une filière jugée pour l'heure beaucoup moins mature, mais qui vise à utiliser de l'eau contenue dans la ressource comme réactif. Ce procédé opère à une haute pression et température afin d'obtenir un mélange gazeux comprenant à la fois du méthane, de l'hydrogène et du CO2. « C'est une filière qui pourrait prendre encore quelques années avant d'émerger et où il est encore nécessaire de lever des verrous techniques en conditions réelles », concède Laurent Bedel.

Et c'est là qu'intervient justement le récent partenariat noué entre le CEA et le gazier GRDF : « Le CEA développe avec GRDF un procédé de gazéification hydrothermale provenant des boues des stations d'épuration. S'il n'est pas encore mature du point de vue industriel, il vise notamment à produire du méthane à partir de boues de stations d'épuration qui sont soit brutes, soit déjà digérées par une unité de méthanisation et qui peuvent donc être revalorisées », explique Marine Peyrot, cheffe de laboratoire Réacteurs et Procédés au LITEN (CEA Grenoble).

Car jusqu'ici, ces reliquats du procédé de méthanisation, qui n'avaient pas pu être valorisés, étaient ensuite séchés, puis incinérés ou épandus. « La gazéification hydrothermale leur permet de trouver un avenir et devient une source de production de biométhane complémentaire, d'autant plus que l'épandage devient interdit dans certains cantons de Suisse par exemple », assure Marine Peyrot, qui dirige une équipe d'une dizaine de personnes de l'institut sur ce projet.

C'est aussi l'idée de développer de plus petites unités que les sites de méthanisation actuels, avec une capacité de l'ordre de quelques tonnes par heure (contre 1 000 tonnes par heure pour les unités de valorisation énergétique du bois ou de déchets secs, par exemple). De quoi permettre également une meilleure acceptation sociale de ce type de projets ? Cela reste à préciser, car la taille pourrait tout de même atteindre les 10 mètres de haut pour au moins 2 mètres de diamètre.

Des verrous technologiques à lever

« Pour l'instant, le principal verrou technologique de ce procédé consiste à éviter le bouchage des réactions en cours, par la précipitation de sels présents au sein de la ressource et qui ont tendance à former des reliquats solides, au cœur du réacteur. Il existe également un risque de corrosion dans la durée, compte tenu des fortes températures et pression nécessaires », évoque Marine Peyrot.

Le partenariat noué avec GRDF a débuté en 2022 et doit permettre de définir les meilleures pistes pour industrialiser cette solution à l'horizon 2025.

« Les premières évaluations technicoéconomiques ont prouvé que les coûts de traitement pouvaient être très concurrentiels, si l'on prend notamment en compte le coût de retraitement initial des boues par exemple, tout en présentant différents débouchés, comme une réinjection du biogaz produit au sein du réseau de gaz naturel classique afin d'alimenter des usages industriels ou de chauffage par exemple », ajoute-t-elle. Car si l'on compare aujourd'hui le prix du méthane avec ce qu'il était avant la crise en Ukraine, « on voit bien que les cartes ont été redistribuées face au méthane d'origine fossile et qu'il est plus facile de démontrer sa pertinence économique ».

De quoi donner un nouvel avenir à ce procédé de thermoconversion, qui avait commencé à être étudié dans les laboratoires du CEA dès le début des années 2000, avec des équipes qui avaient démarré à l'origine sur la base de connaissances liées à la filière du nucléaire, et qui ont été adaptées progressivement à de nouvelles filières comme les biogaz.

« Il existe aujourd'hui beaucoup de sujets de valorisation autour de la gazéification, notamment en matière de déchets agricoles, issus des déchetteries, ou encore de pneus dont la composition reste assez complexe. Tous ont leur place au sein des différents scénarios de l'Ademe », ajoute Marine Peyrot.

...................................................................................................................................

ACTUELLEMENT EN KIOSQUE ET DISPONIBLE SUR NOTRE BOUTIQUE EN LIGNE

T 13

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 02/04/2023 à 12:22
Signaler
C'est pas en 2050 que l'UE va interdire l'usage du gaz fossile ? Le gaz (méthane) ne pourra encore être consommé (en profitant des infrastructures et tuyauteries en place) que s'il est 'vert'. Il faut donc anticiper. De toute façon le gaz fossile, mê...

le 03/04/2023 à 12:01
Signaler
N'importe quoi ! Ces "déchets organiques", dont bois, papiers, végétaux et animaux ne seront pas transformés en fertilisants. Donc ce que nous gagnerons d'un coté est perdu d'un autre. Complètement débile ! Sinon je suis fan du CEA et de ses R&D.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.