Nucléaire : le long et coûteux démantèlement de Fessenheim

DOSSIER SPÉCIAL. Dans la centrale alsacienne à l'arrêt depuis 2020, les salariés s'activent déjà en attendant le décret qui autorisera, en 2026, le démantèlement complet. Le combustible a été évacué et certaines pièces ont été recyclées dans d'autres centrales en exploitation.
Entrée en service en 1977, Fessenheim était la plus ancienne centrale nucléaire dans le parc français.
Entrée en service en 1977, Fessenheim était la plus ancienne centrale nucléaire dans le parc français. (Crédits : Reuters)

800 millions d'euros : c'est le coût estimé par EDF pour le démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim. Un processus engagé dès l'arrêt de la production il y a 32 mois, et qui se poursuivra jusqu'en 2042. « Les travaux de prédémantèlement ont déjà débuté », confirme Elvire Charre, qui dirige depuis octobre 2020 cette centrale dont les réacteurs ont été déconnectés du réseau EDF en février 2020 pour la première tranche, puis en juin la même année pour la seconde. Tout le combustible usé a été transporté vers l'usine de retraitement de La Hague, sous surveillance de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). D'autres fluides dangereux, tels que le fioul utilisé pour alimenter les générateurs de secours ou l'hydrogène qui servait à refroidir l'alternateur, ont été évacués de Fessenheim. Les circuits de la zone nucléaire du premier réacteur ont été décontaminés.

L'opération menée avec Framatome a mobilisé 23 entreprises partenaires, six mois de préparation, et un peu plus d'un mois sur le terrain, en fin d'année 2022, pour traiter 17.000 mètres carrés de circuits. Le second réacteur sera traité de la même manière, au mois de mars cette année. Autre opération terminée : la dernière turbine de la centrale, un composant emblématique prélevé dans la salle des machinés, a été démontée et transférée vers la centrale de Gravelines.

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Dans l'attente d'un décret

Pour aller plus loin, un décret est désormais nécessaire et attendu en 2026. Le démantèlement durera alors 16 ans, dont une année pour la restauration du site. « L'objectif est d'aboutir en fin de démantèlement à un retour à la terre, qui permettra d'envisager un usage futur du site pour d'autres usages industriels », rappelle Elvire Charre.

Le chemin qui reste à parcourir jusqu'en 2026 apparaît bien balisé.

« Le démantèlement se déroule en trois chemins d'ordre administratif, technique et social », résume Elvire Charre.

EDF s'est engagé dans le processus réglementaire en déposant son dossier de démantèlement à l'ASN, en décembre 2020. L'instruction technique par l'ASN est en cours. La préfecture du Haut-Rhin pilotera l'enquête publique pour recueillir les avis des parties prenantes du territoire et aboutir à la déclaration d'utilité publique du projet.

Le deuxième « chemin » technique vise à rejoindre les hypothèses décrites par EDF dans son dossier de démantèlement.

« Par exemple, le combustible nucléaire a été en totalité évacué du site et les circuits de la zone nucléaire sont en cours de décontamination. On bénéficie de l'expérience de ce qui a été fait sur Chooz, qui est un réacteur de même technologie. Nous ne partons pas dans l'inconnu », estime Elvire Charre.

Cet ancien réacteur de la centrale située dans les Ardennes a été mis à l'arrêt en 1991.

Le volet social du démantèlement de Fessenheim a déjà permis le départ de la moitié des effectifs présents sur le site.

« On avait un effectif initial en production de 740 salariés EDF et de 300 personnes chez les partenaires industriels permanents. Pendant le démantèlement, l'effectif nécessaire sera beaucoup plus faible, avec 80 personnes chez EDF et un peu plus de 200 personnes chez les partenaires industriels », prévoit Elvire Charre.

Des reclassements dans l'hydraulique

Pour atteindre l'effectif ciblé, EDF a mis en œuvre un accompagnement social qui n'a pas suscité de levée de boucliers chez les syndicats.

« 95 % de nos salariés savent déjà où ils vont aller. La moitié d'entre eux sont déjà partis de Fessenheim », a pu observer Elvire Charre.

La moitié des salariés sur le départ ont rejoint une autre entité nucléaire chez EDF. Un quart d'entre eux sont restés dans une autre entité de l'électricien sur le territoire alsacien, dans l'exploitation et la maintenance hydraulique (les barrages sur le Rhin se situent à proximité de Fessenheim), chez le distributeur Enedis ou dans des unités tertiaires. Le quart restant est parti ou s'apprête à exercer ses droits à la retraite. L'exercice est plus délicat chez les sous-traitants, où les reclassements n'ont pas toujours été possibles. « L'arrêt de la centrale a introduit chez certains sous-traitants comme Clemessy une fragilité qui pourrait avoir des conséquences désastreuses », prévient Raphaël Schellenberger, député (LR) du Haut-Rhin et président de la Commission locale d'information et de surveillance (Clis) de Fessenheim.

Quel sera l'avenir de Fessenheim après le démantèlement ? Le projet de Technocentre prévu par EDF et Orano pour recycler les déchets nucléaires de très faible activité (TFA) n'a pas encore été confirmé. En Alsace, les opposants au nucléaire, qui avaient accueilli l'arrêt de Fessenheim comme une victoire tardive, y sont déjà opposés. La rentabilité économique d'un tel projet dépend de la constitution d'un marché à l'échelle européenne. Elle demeure incertaine.

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Les « farces » des projets de requalification

« Il existe en France 19 sites qui permettent d'accueillir une production nucléaire, dont Fessenheim. Il ne faut pas geler ce territoire. Le petit réacteur modulaire SMR serait le bon format pour conserver sa vocation », plaide Raphaël Schellenberger.

Les élus locaux plaident aussi pour la relance du territoire par l'accueil d'autres activités économiques. Plus de 200 hectares de surfaces foncières aux abords immédiats du site EDF ont été prévus pour accueillir des projets, mais aucune des pistes évoquées dans le photovoltaïque, l'hydrogène ou le bois énergie n'ont encore abouti.

Les surfaces prévues pour ce redéploiement industriel ont récemment été réduites à une cinquantaine d'hectares et la société d'économie mixte Novarhéna, imaginée par les collectivités pour porter les projets fonciers, a été mise en faillite faute de projets concrets. « Certaines promesses ont ressemblé à des grosses farces », s'emporte Raphaël Schellenberger, décidé à défendre coûte que coûte un avenir pour la filière nucléaire à Fessenheim.

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Commentaires 5
à écrit le 19/03/2023 à 6:45
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Le socialisme en France à détruit beaucoup de choses avec : Les 38 heures de travail par semaine - l'immigration etc

à écrit le 18/03/2023 à 11:49
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La pause réalisées dans la construction de centrales nucléaires à aussi eu un impact considérable sur notre sidérurgie qui s'est retrouvée sans commandes. Cette absurdité a fragilisé les fleurons notre industrie. Nous sommes donc obligés de faire fab...

le 18/03/2023 à 20:13
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C'est évident qu'il faut construire des centrales nucléaires quand on n'en n'a pas besoin et qu'on ne sait pas les construire : voir les EPR et les fissures. Mais les fissures, ont dû être faites durant la pause ?

à écrit le 18/03/2023 à 8:58
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Une fois le combustible mis à l'abri, loin de là ça peut se démanteler en, ou dans 100 ans, rien ne presse. On est censés payer le démantèlement dans les factures d'électricité mais ne sachant pas combien ça coûtera c'est un leurre, et tout argent q...

le 19/03/2023 à 2:36
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Et il ya 54 autres reacteurs qui attendent. Ça risque de couter cher

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