La centrale nucléaire de Fessenheim a été déconnectée du réseau le 29 juin 2020. EDF a engagé dans la foulée les travaux de pré-démantèlement. Malgré cela, la candidate à l'élection présidentielle Marine Le Pen envisage la réouverture de cette unité de production d'électricité, si elle est élue dimanche prochain.
Cette promesse ne tiendra pas, ont déjà tranché les ingénieurs EDF qui, en Alsace, procèdent depuis bientôt deux ans aux travaux de déconstruction. "Il faut dix ans d'études et de travaux pour permettre la poursuite de l'exploitation d'une centrale nucléaire en France", rappelle Anne Laszlo, déléguée CFE Energies à Fessenheim et déléguée fédérale pour l'Europe. "Tous les dix ans, on doit procéder à un grand carénage. Pour faire simple, on démonte tout, on nettoie, on remet à niveau. C'est une énorme préparation. Le dernier grand carénage aurait dû être anticipé dès 2012, en vue de la prochaine visite décennale. Il n'a pas eu lieu parce que la centrale se préparait déjà pour la fermeture. Maintenant, tous les ingénieurs le disent : pour nous, à Fessenheim, c'est plié", tranche Anne Laszlo.
Le pré-démantèlement a consisté, depuis deux ans, à démonter des composants électromécaniques de la centrale, à les recycler et à les transférer sur d'autres sites EDF. Les deux alternateurs, qui correspondent à chaque tranche de production et pèsent plus de 170 tonnes chacun, ont été déjà recyclés. L'un d'eux a été réemployé en partie à la centrale nucléaire de Gravelines, dans le Nord. D'autres pièces, plus petites ou trop anciennes pour être réemployées, ont été envoyées au musée de l'électricité Electropolis à Mulhouse. Le combustible a été enlevé. L'eau borée qui était utilisée à des fins de refroidissement des réacteurs est en cours d'évacuation.
"On est à la veille de la phase ultime de non-possibilité du redémarrage. Les circuits ont été lavés, la salle des machines démantelée", confirme Raphaël Schellenberger, député (LR) du Haut-Rhin, défenseur jusqu'au dernier moment de l'activité nucléaire à Fessenheim. "En France, c'est l'Autorité de sûreté nucléaire qui délivre l'autorisation d'exploiter. Il faudrait plusieurs années d'études pour y aboutir. Un redémarrage prendrait le même temps et aurait le même coût que la construction d'une centrale neuve", observe l'élu.
Sur le site, le rythme de vie a déjà ralenti. La centrale comptait 735 salariés à la fin de la production en juin 2020. La moitié des salariés sont partis, redéployés par EDF sur d'autres sites et d'autres activités. En 2023, ils ne seront plus que 80. Ceux qui restent sont réorientés vers des missions opérationnelles de démantèlement et de déconstruction. Les bâtiments tertiaires en préfabriqués sont devenus inutiles. Ils ont été démontés. La salle des machines, vidée, servira d'abri pour la suite des travaux de démantèlement. "On a complètement réorganisé le site pour que les salariés qui restent ne soient pas éparpillés sur le site", explique Anne Laszlo. Comme si la centrale avait entamé son repli sur elle-même.
Entrée en production en 1977, Fessenheim a été pendant quatre décennies le moteur de l'économie locale. Avec plus de 2.000 emplois directs et indirects, elle a permis à ce territoire au centre de l'Alsace, à mi-chemin entre les pôles d'attractivité de Colmar et de Mulhouse, de développer ses richesses. L'annonce de sa fermeture par François Hollande, en 2012, a été vécue comme un traumatisme. Il fallait arrêter Fessenheim parce qu'elle était la plus ancienne centrale du parc d'EDF, et apprendre à démanteler ces unités dont on estimait la durée de vie à une quarantaine d'années. La deuxième tranche sortait alors d'une grande révision qui avait mobilisé 200 millions d'euros de travaux. Aujourd'hui, la proposition de campagne de Marine Le Pen surfe sur cette frustration. "C'est pour des raisons idéologiques que l'on a fermé Fessenheim", n'a cessé de dénoncer la candidate du Rassemblement National.
Récupérations politiques
En Alsace centrale, l'exploitation à des fins politiques de cette fermeture n'a jamais cessé depuis la décision de François Hollande, restée incomprise par une partie de la population. "Si on ferme Fessenheim, on aura fait le grand chelem de l'erreur", est venu dire Nicolas Sarkozy, président des Républicains, en pré-campagne en mai 2016 dans la centrale alsacienne. "Ridiculiser nos ingénieurs, détruire la filière nucléaire française, ne plus être au rendez-vous de nos engagements en matière d'émissions de CO2 et devenir dépendant de l'Allemagne qui fait fonctionner des centrales au charbon dont l'Europe ne veut plus", avait énuméré l'ancien chef de l'Etat, devant quelques dizaines de salariés tout acquis à son argumentaire.
En novembre dernier, l'annonce par Emmanuel Macron de la relance de l'atome a encore fait vibrer en Alsace une envie de retour du nucléaire. Frédéric Bierry, président (ex-LR) de la Collectivité européenne d'Alsace, département fusionné du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, s'est déclaré "ouvert à toute discussion avec le gouvernement pour mener une réflexion sur une éventuelle implantation en terre alsacienne". L'annonce du président de la République, trop vague, a depuis lors été précisée. Il est question désormais de construire six EPR sur trois sites en métropole. Et il semble acquis que Fessenheim ne fera pas partie des sites retenus. Sentant peut-être la maladresse de ses propos, Frédéric Bierry n'en a plus jamais parlé.
La proposition électorale de Marine Le Pen n'apporte pas de solution au territoire de Fessenheim, toujours en quête de reconversion. Les collectivités locales se sont accordées sur la création d'une zone d'activités de 220 hectares autour du site nucléaire, dont le démantèlement ne sera pas achevé avant 2040. Le technocentre (150 emplois) envisagé par EDF pour recycler à Fessenheim ses déchets nucléaires n'a pas été confirmé. Le territoire se cherche encore un avenir entre l'hydrogène, le solaire ou l'industrie.
Sujets les + commentés