Les cellules de crise s'activent dans les différents pays de l'Union européenne. La Russie pourrait couper dès demain, le 1er avril, ses livraisons de gaz en cas de refus de paiement en roubles par les pays importateurs "inamicaux". La menace, déjà brandie la semaine dernière par Vladimir Poutine en réponse au gel des actifs de la Russie par les Occidentaux, paraissait lointaine puisque le Kremlin avait indiqué, pas plus tard qu'hier, que le paiement en devise russe se ferait progressivement et que ce nouveau système n'entrerait pas intégralement en vigueur dans l'immédiat.
Mais en l'espace de quelques heures, le ton a changé, Vladimir Poutine affirmant, ce jeudi 31 mars dans une intervention télévisée, que son pays ne livrerait plus de gaz aux pays "inamicaux" refusant de payer en roubles à partir de vendredi 1er avril. Il a ajouté qu'en cas de refus, "les contrats en cours seront arrêtés".
L'Allemagne et la France, quant à elles, ont réitéré leur opposition ferme à tout paiement en roubles. Les deux pays voisins ont, par ailleurs, indiqué cet après-midi se préparer à un potentiel arrêt des importations de gaz russe.
"Il peut y avoir une situation dans laquelle demain (...) il n'y aura plus de gaz russe", et "c'est à nous de préparer ces scénarios là, et nous les préparons", a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, lors d'une conférence de presse avec le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck.
Un coup de bluff ?
Concrètement, qu'est ce que cette menace signifie pour l'Union européenne et pour la France ?
"Cela peut être un coup de bluff pour faire évoluer à la hausse le prix du gaz. Ce n'est pas impossible. Et, surtout, ce n'est pas un hasard si Vladimir Poutine brandit cette menace aujourd'hui car la région va connaître une vague de froid", pointe Nicolas Goldberg, senior manager Energie chez Colombus consulting.
Et si le Kremlin ne bluffait pas ?
"Les contrats sur le long terme seraient dénoncés car ils doivent être exécutés dans la monnaie prévue. Or le rouble n'est pas la devise prévue au contrat. Il y aurait donc une coupure d'approvisionnement dès demain", confirme Nicolas Goldberg.
Cette coupure empêcherait, en premier lieu, les pays importateurs de constituer des stocks, essentiels pour l'hiver prochain, la consommation de gaz étant très saisonnière. "Il faut aussi s'attendre à de possibles délestages chez les industriels", ajoute Nicolas Goldberg.
Délestages chez les industriels et coupures tournantes chez les particuliers
Un décret, dont la publication est imminente, prévoit justement d'organiser ces délestages, qui consistent à réduire momentanément et de manière planifiée la consommation de gaz naturel par certains consommateurs. Doivent être concernés en priorité les 5.000 sites qui brûlent plus de 5 GW/h par an, en dehors de ceux assurant des missions d'intérêt général (écoles, hôpitaux, Ehpad...). En parallèle, les gestionnaires du réseau de transport de gaz GRTgaz et Téréga mènent une enquête auprès de leurs clients, afin de déterminer ceux qui pourraient, en dernier ressort, réduire partiellement ou totalement leur demande.
Quant à GRDF, "A la suite de l'enquête de délestage réalisée l'an dernier, 1.650 clients ont indiqué pouvoir réduire une part ou la totalité de leur besoin de gaz en moins de deux heures sans impact significatif sur leur activité", a récemment fait valoir Laurence Poirier-Dietz, la directrice générale de GRDF, dans une interview aux Echos.
Mais, selon Nicolas Goldberg, les particuliers pourraient eux aussi être touchés. "Le gouvernement pourrait être amené à organiser des coupures tournantes", explique-t-il. Autre possibilité : le redémarrage dès à présent des centrales à charbon. Un scénario sur lequel l'exécutif planchait déjà, mais dans un horizon plus lointain. Le ministère de la Transition écologique anticipait, en effet, la réouverture l'hiver prochain de la centrale à charbon Saint-Avold dont les portes doivent fermer ce soir. Cette renaissance pourrait alors s'effectuer dans des délais beaucoup plus brefs.
"Et, si la rupture d'approvisionnement se prolongeait jusqu'à l'hiver prochain, la situation pourrait devenir beaucoup plus compliquée", prévient Nicolas Goldberg.
40% des importations de gaz
Pour rappel, en 2020, l'UE s'est fait livrer 400 milliards de mètres cubes de gaz. Quelque 152 milliards de mètres cubes provenaient de Russie, soit près de 40% des importations. Avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ce taux grimpait à 55% en Allemagne. Il est désormais redescendu à 40%. La France, elle, reste bien moins exposée, la Russie représentant 20% de ses importations en gaz, mais le gaz russe ne pèse que 1,2% dans son mix énergétique du fait du poids du nucléaire dans l'Hexagone.
"On pourrait croire que la France est en-dehors de la zone d'impact mais la réalité est bien plus complexe en raison de la transmission du marché de gros du gaz vers le marché du gros de l'électricité", observait, lors d'un échange avec la presse, Patrice Geoffron, directeur du centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières de Paris-Dauphine.
Autrement dit, cette rupture d'approvisionnement pourrait faire grimper en flèche les prix de l'électricité, qui atteignent déjà des sommets. "Nous ne sortirions pas indemnes. Nous sommes à l'intérieur d'une zone économique intégrée", rappelle le professeur d'économie.
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