Quand Extinction Rebellion disrupte le combat écologiste

Non violent, ouvert, « apartisan » et en quête d'efficacité, le mouvement né au Royaume-Uni mise sur la désobéissance massive. Ses revendications, très larges, peuvent aussi décourager l'action politique.
Giulietta Gamberini
Avec ses initiatives ultra-médiatiques partout dans le monde (comme ici, place du Châtelet, à Paris), Extinction Rebellion a acquis une audience internationale en quelques semaines.
Avec ses initiatives ultra-médiatiques partout dans le monde (comme ici, place du Châtelet, à Paris), Extinction Rebellion a acquis une audience internationale en quelques semaines. (Crédits : [NOÉMIE COISSAC/HANS LUCAS])

C'est la non violence qui ouvre le dialogue, et qui permet de faire passer un message », tranche immédiatement Sasha, d'Extinction Rebellion, un mouvement écologiste qui multiplie les actions spectaculaires. À Paris, début d'octobre, ses militants ont occupé le centre commercial Italie 2, la place du Châtelet, puis la rue de Rivoli. À Londres, New York ou encore Sydney, ils ont investi d'autres sites stratégiques ou symboliques. En quelques semaines, ils n'ont pas seulement imposé leur présence sur la scène mondiale du combat écologiste. Ils ont aussi ouvert un débat sur la pérennité d'un nouveau modèle de lutte, qu'ils incarnent et partagent avec de nombreux autres mouvements émergents, tels que Youth for climate ou Citoyens pour le climat.

Structure horizontale

Né au Royaume-Uni il y a à peine un an, Extinction Rebellion revendique déjà 100.000 membres, dont 10.000 en France. Leurs exigences, réduites à quatre, restent plutôt abstraites : « une communication honnête » sur la « gravité et l'urgence des crises écologiques » ; « la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025 » ; « l'arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres » ; et « la création d'une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place ». « Nous ne sommes pas là pour donner des solutions. Nous voulons créer les conditions pour que les citoyens disposent de toutes les informations, et pour qu'ils puissent décider par euxmêmes », justifie Océane, autre membre du mouvement.

Extinction Rebellion et les autres collectifs se distinguent du modèle associatif traditionnel des ONG. Tous insistent en effet sur leur caractère « ouvert », permettant à toute personne motivée par leur combat de les rejoindre librement lors d'événements partagés sur les réseaux sociaux. Ils misent sur la « massification de la désobéissance civile », à laquelle tout le monde peut participer, quand une organisation comme Greenpeace est capable de mener des actions spectaculaires grâce à de petits groupes d'activistes très formés. En outre, ces mouvements revendiquent également une « structure la plus horizontale possible », reposant sur des comités locaux indépendants et sur une coordination nationale et internationale purement informelles. Extinction Rebellion va jusqu'à limiter au nombre de trois les interviews aux médias que chacun peut délivrer.

Youth for climate, qui n'a pas non plus de porte-parole, tient à considérer même Greta Thunberg, qui l'a pourtant directement inspiré, comme une « militante comme les autres », qui « fait passer un message mais n'est pas un gourou », souligne Camille, membre du mouvement. Cette organisation est à double tranchant. D'un côté, elle met en lumière « à quel point les militants sont nombreux », estime Émilie, de Youth for climate. Et les protège face au risque de harcèlement lié à la médiatisation. De l'autre, « la prise de décision est parfois difficile », admet la militante. « Mais nous avons toujours le souci de garantir la représentativité et de chercher un consensus le plus légitime possible », note la jeune femme. Selon elle, la « discussion, la démocratie et l'ouverture d'esprit » suffisent également à éviter que les plus actifs du mouvement finissent par en prendre le contrôle.

Cible : le capitalisme

Afin de rassembler largement, tous ces mouvements revendiquent aussi un caractère strictement « apartisan ». Ils affirment donc être composés de sympathisants de partis différents et être financés essentiellement par des dons. Citoyens pour le climat modère sa page Facebook, suivie par plus de 6300 personnes, afin d'éviter qu'elle soit exploitée pour promouvoir des partis. Extinction Rebellion tient aussi à mener un « combat non personnalisé », qui ne cible pas un ou des dirigeants, au profit d'une « approche plus globale et civilisationnelle », souligne Sasha. Toutefois, « apartisan ne veut pas dire non politisé », rappelle Aline, membre de Citoyens pour le climat, un mouvement né en France après la démission de Nicolas Hulot, et qui compte quelque 200 collectifs en France. Même si cela n'apparaît pas forcément dans les chartes des mouvements, « on nomme néanmoins le mal : le capitalisme », souligne Camille, de Youth for climate. « La recherche du profit, qui pousse à consommer, est l'ennemi numéro un de l'environnement », renchérit Émilie.

« Nous n'obtiendrons rien sans gêner un modèle économique fondé sur la croissance », souligne pour sa part Océane. Une approche radicale qui préoccupe Bruno Léchevin, ancien président de l'Ademe et actuel délégué général du Pacte finance climat - association qui milite auprès des décideurs pour obtenir un traité européen réorientant la finance au profit de la transition énergétique. « La rue est nécessaire pour créer le rapport de force, convient-il. Mais attention : en face il y a du pouvoir, des gens structurées. Il faut donc maintenir le dialogue malgré les différences entre mouvements et associations pour éviter que le momentum actuel ne retombe. » « Il faut aussi éviter de créer de nouvelles inégalités et exclusions au nom de la transition », s'inquiète encore Bruno Léchevin qui cite le précédent des « gilets jaunes ». Citoyens pour le climat qui admet d'ailleurs être constitué surtout de personne de la classe moyenne supérieure, alors qu'Extinction Rebellion convient qu'à Paris le mouvement est « plutôt bourgeois ».

Autre défi : en France, entre mars et septembre, le nombre de participants aux marches et aux grèves pour le climat a nettement diminué, à des niveaux différents selon les villes. « L'effet de mode s'est essoufflé », reconnaît Camille, qui souligne aussi la crainte face à la répression policière et aux menaces des établissements scolaires en cas d'absences non justifiées. Mais ce n'est pas la seule raison. « Les gens sont aussi découragés par des revendications souvent trop lointaines, qui n'encouragent pas la réponse politique », estime Sophia. « Le message était trop flou et les revendications trop hétéroclites », convient Aline. Comment aller de l'avant alors ? L'amplification des « modes d'action nouveaux et plus efficaces » utilisés par ces mouvements est un élément clé, estiment les militants. Citoyens pour le climat veut ainsi élargir son action de sensibilisation, notamment « dans les quartiers très riches ou très pauvres », explique Aline, alors qu'Extinction Rebellion se réjouit des quelque 200 personnes qui la rejoignent chaque semaine en France. Mais il faut aussi développer des « revendications plus concrètes », estime Aline, également convaincue de la nécessité d'« une coopération voire de la convergence des luttes pour changer les choses ».

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 24/10/2019 à 9:56
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Du fait d'internet les humains se réveillent brutalement en plein cauchemar et se lèvent brutalement en criant.

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