Suez/Veolia : les enjeux d'un week-end crucial

Le final du feuilleton de la rentrée, attendu mercredi, est reporté à lundi. Les jours restants seront consacrés à la tentative d'instaurer entre les deux géants français de l'environnement un dialogue qui jusqu'à présent n'a pas été possible. Avec en embuscade, de possibles rebondissements avec l'intervention de fonds d'investissements, solution privilégiée par Suez.
Giulietta Gamberini
Engie aurait bien pu accepter dès mercredi soir l'offre de Veolia, qu'il a d'ailleurs affirmé répondre à ses attentes en termes de prix et de garanties sociales. Il considérait toutefois essentiel que la négociation aboutisse dans un climat amical, explique le groupe énergétique.
Engie aurait bien pu accepter dès mercredi soir l'offre de Veolia, qu'il a d'ailleurs affirmé répondre "à ses attentes en termes de prix et de garanties sociales". Il considérait toutefois essentiel que la négociation aboutisse dans un climat amical, explique le groupe énergétique. (Crédits : Reuters)

Le suspense est digne des meilleures séries télévisées. Alors que tout le milieu des affaires parisiens attendait mercredi le final du grand feuilleton de la rentrée, un voire plusieurs épisodes bonus se sont invités dans la programmation. Engie, qui devait trancher avant mercredi soir à minuit sur la proposition de Veolia de lui racheter, pour 3,4 milliards d'euros, la quasi-totalité (29,9% sur 32%) de sa participation dans Suez, a finalement opté pour un "oui mais".

Le groupe énergétique français a déclaré "accueillir favorablement" l'offre du leader de l'eau et des déchets. Mais il lui a demandé, malgré ses précédents refus réitérés, de lui donner encore quelques jours supplémentaires, jusqu'au lundi 5 octobre, pour une réponse formelle. Veolia a fini par accepter de bon gré. Le week-end s'annonce donc encore long pour les protagonistes de la saga, et chargé d'une pluralité d'enjeux dont la teneur et l'impact sur la décision finale restent d'ailleurs parfois ambigus.

Assurer "l'amicalité" de l'offre de Veolia, une préoccupation centrale

Selon le communiqué de presse d'Engie, le délai supplémentaire demandé à Veolia se justifie par la nécessité de tenir compte "de l'importance des enjeux (de la fusion avec Suez, NDLR) pour l'ensemble des parties prenantes". Il s'agit notamment de permettre à Veolia de formaliser la promesse que le groupe avait formulée mercredi matin dans le cadre d'une amélioration globale de son offre: celle de ne pas lancer d'OPA hostile contre Suez pendant six mois, afin de rechercher pendant ce temps un accord avec le conseil d'administration de la société cible sur les modalités du rapprochement. Veolia s'est immédiatement engagée à répondre aussi à cette demande d'Engie.

Engie aurait bien pu accepter dès mercredi soir l'offre de Veolia, qu'il a d'ailleurs affirmé répondre "à ses attentes en termes de prix et de garanties sociales". Il considérait toutefois essentiel que la négociation aboutisse dans un climat amical, explique le groupe énergétique. Une préoccupation qui avait d'ailleurs à plusieurs reprises été exprimée publiquement par l'Etat, actionnaire majoritaire d'Engie (23,6%) par la voix du ministre de l'Economie Bruno Le Maire.

Dans une interview donné par le président d'Engie au Figaro à l'issue du Conseil d'administration de mercredi soir, Jean-Pierre Clamadieu se montre d'ailleurs optimiste sur la possibilité d'un "accord entre Veolia et Suez d'ici à lundi". Il révèle ainsi que, probablement pour satisfaire l'Etat, l'enjeu du report de la décision va au-delà de la formalisation de la promesse de Veolia. Il s'agit d'essayer d'obtenir pendant ces quelques derniers jours la "négociation" qui n'a pas été possible pendant un mois depuis la publication de l'offre de Veolia.

Selon Clamadieu, Philippe Varin, le président de Suez, se serait dit "prêt à s'engager dans une discussion de bonne foi avec Antoine Frérot (le PDG de Veolia, NDLR) afin de trouver les voies d'un accord d'ici à lundi". Quant à Veolia, "un certain nombre de points" de son offre "peuvent évoluer, sur la structuration ou la gouvernance", explique Clamadieu. Varin est prêt à "discuter" avec Veolia pour "obtenir des clarifications", a-t-il confirmé jeudi, tout en estimant que le projet du rival comporte "de réelles failles".

Désactiver l'inaliénabilité de Suez Eau France, un objectif immédiat?

Dans son interview au Figaro, à propos du "dialogue" recherché ce week-end, le président d'Engie évoque toutefois aussi l'obstacle érigé à la fusion par Suez via la création d'une fondation de droit néerlandais chargée de garantir l'inaliénabilité des activités et des actifs de Suez Eau France.

L'offre de Veolia "comportait également des engagements d'amicalité, mais à la condition que Suez renonce à sa fondation. Ce délai de cinq jours doit permettre de dépasser ce point, et que Veolia s'engage de façon inconditionnelle à une offre amicale", note Clamadieu.

Veolia a en effet soumis son engagement à ne pas lancer pendant six mois d'OPA hostile contre Suez à une condition: "que Suez désactive immédiatement le dispositif annoncé le 23 septembre dernier reposant sur la fondation de droit néerlandais"Lors d'échanges téléphoniques avec des journalistes, Antoine Frérot avait expliqué que ce point ferait justement l'objet des discussions qu'il entendait mener pendant six mois avec le Conseil d'administration de Suez, et qu'il avait "bon espoir" de le convaincre.

Lire: Ce qu'implique pour Veolia la dernière astuce de Suez

Veolia et Engie, très remontés contre cette "pilule empoisonnée" conçue par Suez afin d'empêcher la cession d'"une composante essentielle" du groupe, entendent-ils mettre ce sujet sur la table dès ce week-end ? Engie affirme compter sur les réactions négatives de nombreux actionnaires de Suez pour faire pression sur le management du groupe et le pousser à renoncer à cet outil. Veolia a d'ailleurs déjà remis en cause la légalité de l'adoption d'un tel outil par le seul conseil d'administration, sans consulter les actionnaires. Mais Suez, qui affirme s'en être servi licitement et dans l'intérêt social du groupe, pour avoir enfin sa place dans les discussions sur son sort, semble toutefois avoir intérêt à conserver cette arme le plus longtemps possible.

Et en cas de refus de la part de Suez, Veolia pourrait-il être contraint de renoncer à sa condition pour assurer l'amicalité de son offre? Clamadieu ajoute :

"Si la discussion n'aboutit pas, Veolia aura la possibilité de renoncer à la condition qu'il a posée, et ceci nous satisferait".

Elaborer une contre-offre, une priorité pour Suez

Qu'il se mette ou non à la table des négociations avec Veolia, pour Suez l'enjeu principal du week-end va toutefois d'être de tenter d'élaborer une alternative robuste à l'offre de Veolia. Suez a déjà confirmé soutenir, avec ses actionnaires salariés, le fonds Ardian, qui jeudi matin a annoncé avoir "fait part à Engie de son intérêt pour l'acquisition d'une participation de 29,9% de Suez", et vouloir "constituer un consortium d'investisseurs institutionnels privés et publics, à dominante française, pour réaliser ce projet et lancer une offre publique amicale".

Or, aux yeux d'Engie, cette proposition, reçue "en tout début" du conseil d'administration de mercredi, loin de constituer une offre structurée, n'est qu'"une marque d'intérêt, dont nous ne connaissons ni les initiateurs, ni le projet, ni le prix, ni la capacité financière et qui posait comme condition préalable l'abandon des discussions avec Veolia. Le conseil n'avait donc aucun élément pour en débattre". Une "lettre d'offre indicative" consultée jeudi par l'AFP ne contient d'ailleurs aucun élément chiffré. Elle envisage une "proposition indicative" de prix pour les actions Suez sous dix jours, soumise à finalisation "dans un délai de six semaines".

Préciser ses contenus est donc essentiel pour Suez et Ardian. En prenant "note" dans un communiqué du "report de l'offre de Veolia au 5 octobre", Suez promet d'ailleurs de "travailler activement dans ce cadre, dans un esprit de dialogue ouvert recommandé par le ministre de l'Economie". "Je pense que leur projet (de Ardian, NDLR) va rapidement progresser et arriver à maturité", a déclaré jeudi Philippe Varin. Mais les temps sont courts.

"Les équipes travaillent beaucoup sur le sujet. A cet horizon de cinq jours, avoir quelque chose d'engageant serait un objectif très ambitieux", a d'ailleurs reconnu Philippe Varin face à l'AFP.

Répondre à Veolia, une décision libre?

Or, si Suez parvenait à construire une offre véritablement intéressante pour Engie, ou si Veolia ne parvenait pas à assurer l'amicalité de son offre telle qu'Engie l'entend, à quel point le groupe énergétique serait-il lié à l'offre du géant de l'eau et des déchets, après son "oui mais" de mercredi? Quid d'ailleurs si Ardian et son consortium d'investisseurs parvenaient même à offrir un prix supérieur à celui amélioré offert par Veolia (18 euros par action)? Tout dépend de l'existence d'une acceptation écrite envoyée par Engie à Veolia, ainsi que de la formulation de ses conditions, analyse un avocat qui a demandé de ne pas être cité.

En tous cas, Veolia a accepté ce laps de temps supplémentaire de bonne fois, note son entourage. Et si à l'issue de ce long week-end, les dirigeants de Suez ne sont toujours pas parvenus à finaliser une offre alternative, la balance penchera sans doute et nettement du côté d'Antoine Frérot.

Giulietta Gamberini

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