Pour obtenir Suez, Veolia joue sa dernière carte : l'apaisement

Il ne reste plus que quelques heures à Veolia, dont la proposition expire ce soir, pour convaincre Engie de lui vendre la quasi-totalité de sa participation dans Suez. Pour prouver que son offre est amicale, elle promet de ne pas lancer d'OPA hostile pendant six mois. Mais pour Suez cette promesse reste "floue".
Giulietta Gamberini
Veolia demande en contrepartie à Suez de désactiver le dispositif que l'entreprise cible de l'offre a récemment mis en place afin de garantir l'inaliénabilité de sa branche Suez Eau France, reposant sur la création d'une fondation de droit néerlandais.
Veolia demande en contrepartie à Suez de désactiver le dispositif que l'entreprise cible de l'offre a récemment mis en place afin de garantir l'inaliénabilité de sa branche Suez Eau France, reposant sur la création d'une fondation de droit néerlandais. (Crédits : Reuters)

À quelques heures du conseil d'administration d'Engie qui doit décider s'il accepte de vendre la quasi-totalité (29,9% sur 32%) de sa participation dans Suez à Veolia, ce dernier a décidé de jouer la carte de l'apaisement. Dans un communiqué diffusé une demie heure avant l'ouverture des marchés, le groupe, qui espère fusionner avec son principal rival, a d'une part annoncé avoir amélioré le prix de son offre à Engie, comme promis depuis plusieurs jours, en le relevant de 15,5 à 18 euros par action - soit de 2,9 à 3,4 milliards d'euros au total. Afin de convaincre l'État, actionnaire principal d'Engie, de voter en faveur de ce rapprochement entre les deux leaders français de l'eau et des déchets, Veolia a également déclaré vouloir améliorer « l'amicalité et l'inclusivité » de son offre - dont elle a pourtant toujours contesté le caractère hostile.

« J'ai entendu les préoccupations des pouvoirs publics, et notamment celle exprimé à plusieurs reprises par Bruno Le Maire », a souligné au téléphone avec des journalistes Antoine Frérot, le PDG de Veolia.

Ces derniers jours, le ministre de l'Économie avait en effet réitéré son opposition à toute forme de « guerre industrielle » entre Suez et Veolia.

Six mois, « ni trop, ni trop peu » pour le dialogue

Si Engie lui vend sa part, Veolia promet donc de ne pas lancer d'OPA hostile sur Suez pendant une période de six mois, afin de tenter d'obtenir pendant ce délai une recommandation favorable de son conseil d'administration. Dans l'immédiat, elle se limitera à présenter une intention d'OPA, dont le prix proposé à Engie constituera la « référence », ainsi qu'à engager des discussions avec l'Autorité de la concurrence. Elle demande en contrepartie à Suez de désactiver le dispositif que l'entreprise cible de l'offre a récemment mis en place afin de garantir l'inaliénabilité de sa branche Suez Eau France, reposant sur la création d'une fondation de droit néerlandais.

Lire: Ce qu'implique pour Veolia la dernière astuce de Suez

Six mois, ce serait le temps nécessaire aux yeux d'Antoine Frérot - « ni trop, ni trop peu » - afin de discuter avec le conseil d'administration de Suez des modalités de la mise en œuvre de ce rapprochement.

Malgré la tension de ce dernier mois, une fois devenu actionnaire, « j'ai bon espoir de le convaincre », affirme-t-il.

La meilleure offre que Veolia puisse proposer à Engie

En cas d'échec toutefois, le lancement d'une OPA hostile n'est pas exclu : le PDG de Veolia soumettra alors le choix sur comment agir « à l'ensemble des actionnaires ». Quant à l'obstacle constitué par l'inaliénabilité de Suez Eau France, si le conseil d'administration de Suez devait refuser de le lever, Veolia a déjà publiquement regretté que cette décision ait été prise sans les actionnaires de Suez : il semble donc miser sur l'assemblée générale pour la remettre en cause.

Les autres engagements dont l'offre de Veolia était déjà assortie sont également confirmés, a précisé Antoine Frérot : notamment la garantie de préserver 100% des emplois et des avantages sociaux et celle d'intégrer la management de Suez dans le groupe élargi résultant de la fusion. L'accord avec le fonds Meridiam, qui s'engage a reprendre les activités de Suez Eau France et à préserver également l'ensemble des emplois, reste également inaltéré. Ainsi que la validité de l'offre, qui ne court que jusqu'à ce soir à minuit.

Si non acceptée au-delà de ce délai, « je retrouverai ma liberté », note le PDG de Veolia, qui souligne : dans son ensemble, la proposition actuelle « est la meilleure offre que Veolia puisse proposer à Engie ».

Une dernière tentative de conciliation échouée

Cette proposition d'apaisement intervient au lendemain d'une soirée où une tentative de médiation du gouvernement avait encore échoué, et où au contraire le ton, par communiqués interposés, était encore monté entre Veolia et Suez. Lors d'une rencontre avec Antoine Frérot organisée par le ministère de l'Économie et des Finances, le président de Suez, Philippe Varin, et son directeur général, Bertrand Camus, affirment avoir posé deux « conditions préalables au dialogue » :

« la suspension de l'offre d'achat du bloc de 29,9% du capital des actions Suez détenues par Engie, d'une part, et le dépôt d'une offre publique par Veolia pour 100% des actionnaires, d'autre part ».

Le refus par Antoine Frérot de ces deux conditions aurait empêché de « débuter les discussions », selon SuezD'après Veolia en revanche, lors de cette rencontre, qui « devait rester confidentielle », Antoine Frérot aurait dévoilé à Suez les « propositions précises démontrant la volonté d'amicalité  » présentées ce matin.

« Philippe Varin et Bertrand Camus n'avaient malheureusement aucune proposition à avancer, si ce n'est la demande répétée d'un délai, sans toutefois pouvoir, à aucun moment, en justifier les motifs et les raisons », affirme Veolia.

Pour Suez, qui se dit « confiante dans sa capacité à offrir à l'ensemble de ses parties prenantes un projet créateur de valeur », mais qui n'a pas encore pu présenter d'offre alternative, l'enjeu principal à quelques heures du conseil d'administration d'Engie reste en effet de gagner du temps. Or le président d'Engie, Jean-Pierre Clamadieu, avait déjà expliqué hier que pour son conseil d'administration refuser l'offre de Veolia sans aucune alternative concrète serait une "lourde responsabilité". La proposition de Veolia, qui accorde du temps à Suez mais seulement après être devenu son principal actionnaire, pourrait lui avoir coupé l'herbe sous les pieds.

Suez rejette l'"amicalité" de Veolia

Dans un communiqué diffusé ce mercredi à 13h05, Suez, à l'issue d'un énième conseil d'administration, rejette toutefois l'"amicalité" de Veolia. "[...] Les propositions faites ce jour par Veolia restent floues", "elles ne garantissent pas l'intérêt des actionnaires et parties prenantes", estime Suez, en maintenant "les conditions préalables à un dialogue" définies la veille.

"S'agissant des actionnaires, Suez observe que rien ne garantit qu'ils bénéficieront d'une offre en numéraire au même prix et conditions qu'Engie. L'OPA en numéraire évoquée par le PDG de Veolia depuis le communiqué du 30 août de Veolia n'est pas reprise dans le document diffusé ce-jour. Ce processus crée une rupture d'égalité dans le traitement des différents actionnaires", précise l'entreprise cible.

À propos des emplois, Suez conteste le caractère réel des garanties apportées par Veolia, et note "qu'Engie a refusé les demandes des instances représentatives du personnel de Suez de participer au processus d'information-consultation". Le tribunal de Paris, saisi en référé par les comités sociaux et économiques (CSE) de Suez et Suez Eau France pour obtenir la suspension du projet de rachat, doit d'ailleurs rendre sa décision le 9 octobre, a-t-on appris par la CGT mardi. Quant aux risques pour la concurrence, "toutes les failles du projet industriel déjà relevées demeurent", regrette Suez.

Le conseil d'administration de Suez mettra alors "tous les moyens à sa disposition pour éviter une prise de contrôle rampante ou un contrôle de fait, par son principal concurrent", menace Suez, en soulignant que la recherche, "dans les meilleurs délais", d'une offre alternative se poursuit.

Elle appelle une fois de plus le conseil d'administration d'Engie et ses actionnaires à "ne pas décider de l'avenir de Suez dans les conditions et le calendrier dictés par Veolia".

Giulietta Gamberini

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