L'affaire Veolia/Suez en sept actes

C'est le feuilleton de la rentrée. En annonçant son intention d'acquérir son concurrent historique Suez, le leader mondial des services à l'environnement Veolia espère créer un futur "super-champion français" de la transition écologique. Y parviendra-t-il ? Retour, en sept points clés, sur cette tentative d'OPA, qualifiée de « particulièrement hostile » par le groupe visé.
Dans l'ordre, de gauche à droite : Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie, Bertrand Camus, patron de Suez et Antoine Frérot, PDG de Veolia.
Dans l'ordre, de gauche à droite : Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie, Bertrand Camus, patron de Suez et Antoine Frérot, PDG de Veolia. (Crédits : Reuters)

[Article publié le 22/09/20, mis à jour le 01/10/20]

  • Acte I : l'annonce fracassante

Fin août, Veolia a annoncé son intention de racheter à Engie la quasi-totalité de sa participation dans Suez ; une offre à hauteur de 2,9 milliards d'euros.

Si cette première étape aboutit, le leader mondial du traitement de l'eau et des déchets entend lancer, à terme, une OPA sur le reste des actions, avec l'ambition de devenir un « super champion » de l'environnement.

La multinationale française a donc pris au mot Jean-Pierre Clamadieu, le président du conseil d'administration d'Engie, qui déclarait, fin juillet, que « tout est ouvert » concernant la participation de 32% dans Suez.

Veolia a donné jusqu'à fin septembre à Engie pour répondre à son offre.

  • Acte II : la contre-offensive de Suez

Seulement voilà : Suez n'entend pas se laisser faire. Dans une lettre adressée début septembre aux 90.000 salariés du groupe, son directeur général, Bertrand Camus, n'a pas mâché ses mots, qualifiant l'offre de Veolia de « particulièrement hostile ».

« Cette démarche n'est ni amicale, ni pertinente. Elle nie la spécificité de nos valeurs, de notre culture et de notre projet stratégique », détaille-t-il dans ce message.

Il a par la suite dit, dans une interview auprès du Figaro, toute son incompréhension au sujet de l'offre de Veolia, qu'il juge « aberrante pour Suez et funeste pour la France ».

  • Acte III : le politique s'en mêle

Dans ce dossier, il manquait une prise de position politique. Et elle s'est faite, par la voix du Premier ministre Jean Castex, en faveur de Veolia.

Jeudi 3 septembre, lors d'une conférence de presse, le chef du gouvernement a listé un certain nombre de conditions au rapprochement entre les deux géants, dont celle de la « logique industrielle ». De ce point de vue, « il me semble que l'opération en question fait sens », a estimé Jean Castex.

À l'inverse, Suez a reçu le soutien de Christian Estrosi, le maire de Nice et ex-ministre de l'Industrie, pour qui « fusion rime toujours avec nationalisation ! ».

  • Acte IV : la parade de Suez, la fureur de Veolia

Coup de théâtre : plus que jamais déterminé à ne pas se laisser avaler, Suez a annoncé, mercredi 23 septembre, sa décision de placer son activité Eau France - celle-là même que Veolia projetait de céder à un fonds d'infrastructure une fois l'opération de rachat parachevée afin de satisfaire la législation antitrust [voir plus bas] - dans une fondation aux Pays-Bas, pour au moins quatre ans. En d'autres termes, cette filiale devient incessible pendant, au minimum, toute cette durée.

Une annonce qui n'a pas manqué de provoquer la colère de son rival. Le PDG de Veolia a en effet qualifié cette décision de « pitoyable », parlant, sur BFM Business, de l'opération comme d'un « coup fourré ».

  • Acte V : la difficile constitution d'une offre alternative

Dans cette affaire, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a joué le rôle d'arbitre, déclarant que l'État « refusera la précipitation » et que toutes les offres sur Suez seraient examinées avec la « même équité ».

Il n'en fallait pas plus pour qu'Engie invite dans la foulée Suez à rapidement proposer « une offre alternative » à celle présentée par Veolia, qu'il regardera « avec la même attention ».

Ne voyant pas d'offre alternative arriver, Jean-Pierre Clamadieu finira par déclarer que rater l'offre de Veolia serait une "lourde responsabilité".

Mais, coup de théâtre encore une fois : au lendemain de la date d'expiration de l'offre de Veolia, offre finalement acceptée par Engie [voir plus bas], le fonds français Ardian a fait part de son "intérêt" pour racheter les 29,9 % de participation d'Engie dans Suez. Ce dernier a affirmé son "soutien" à la démarche.

  • Acte VI : à quelques heures du verdict, Veolia joue son va-tout

Très tôt, Engie l'a dit : il n'est pas pleinement satisfait de l'offre proposée par Veolia, estimant que « le compte n'y est pas » à propos du prix proposé pour Suez. Veolia, qui s'était d'abord dit prêt à discuter de tout, y compris du prix, a fini par relever in extremis son offre, de 15,5 à 18 euros par action.

Par ailleurs, dans un souci d'apaisement, Veolia a promis qu'en cas d'acceptation de son offre, il n'y aurait pas d'OPA hostile sur Suez pendant une durée de six mois.

  • Acte VII : Engie accepte l'offre de Veolia... mais décide de faire durer le plaisir

Après un mois de tensions et de guerre industrielle ouverte, Engie a fini par accepter, mercredi 30 septembre, soit le jour même de son expiration, l'offre de Veolia.

Engie a néanmoins demandé un délai de cinq jours à Veolia afin de peaufiner les détails de cette transaction à 3,4 milliards d'euros.

Ce sursis doit permettre à Veolia de formaliser "son engagement inconditionnel de ne pas lancer d'offre publique d'achat qui ne soit pas amicale", explique Engie dans un communiqué.

___

Les principaux protagonistes de l'affaire :

  • Bertrand Camus, l'expérimenté (actuel patron de Suez)

Bertrand Camus, patron de Suez, le 14 janvier 2020

[Crédits : Reuters]

« On le dit direct, simple, pas "show off", sachant s'entourer », liste Les Echos, dans un article qui lui est dédié. Fin 2018, âgé de 51 ans, Bertrand Camus est choisi pour succéder à Jean-Louis Chaussade à la tête de Suez. « S['il] a été choisi [...] aux termes d'une compétition serrée pour prendre la tête de Suez, c'est à cause de l'excellence de ses qualités opérationnelles, une expérience internationale hors normes », poursuit le journal. En effet, après avoir officié, pour le compte de Suez, en Argentine, en Amérique du Nord, en Europe puis en France, Bertrand Camus est nommé, en mars 2018, directeur général adjoint en charge des zones Afrique, Moyen-Orient, Inde, Asie et Australie. Ce diplômé de l'École nationale des Ponts et Chaussées connaît donc très bien le groupe, lui qui l'a intégré en 1994.

Lire notre portrait au moment de sa nomination: Bertrand Camus, la consécration d'un Suez-made-man

  • Jean-Pierre Clamadieu, le « discret manoeuvrier » (actuel président du conseil d'administration d'Engie)

Engie: clamadieu serait designe president non-executif mardi, rapporte le figaro

[Crédits : Reuters]

Qualifié de « fin stratège et discret manoeuvrier » par L'Express dans un portrait qui lui est consacré, Jean-Pierre Clamadieu débute sa carrière dans l'administration française, « notamment au cabinet de la ministre du Travail de l'époque, Martine Aubry », précise l'hebdomadaire, où il croise le chemin de Muriel Pénicaud, ministre du Travail sous le gouvernement Philippe. En 1993, il intègre Rhône-Poulenc, un groupe chimique et pharmaceutique d'origine française avant d'être nommé, dix ans plus tard, directeur général de Rhodia, une émanation du groupe Rhône-Poulenc. En 2011, Rhodia fait l'objet d'une OPA lancée par le groupe Solvay et Jean-Pierre Clamadieu finit par prendre la tête du nouvel ensemble. Depuis 2018, année de sa nomination en tant que président du conseil d'administration d'Engie, Jean-Pierre Clamadieu est également président du conseil d'administration de l'Opéra national de Paris.

  • Antoine Frérot, le « stratège » (actuel PDG de Veolia)

Antoine Frérot, PDG de Veolia, le 26 février 2015

[Crédits : Reuters]

« Habile stratège » pour L'Obs, doué d'un « sens de la tactique » selon Les Echos, Antoine Frérot est à la tête du leader mondial de l'eau et des déchets depuis 11 ans. Embauché en 1990, quand l'entreprise portait encore le nom de Compagnie générale des Eaux, il a d'abord grandi dans l'ombre d'Henri Proglio, ex-président de Veolia, avant de s'en affranchir puis de se brouiller avec lui. « Ces dix dernières années, Frérot s'est attaché à réduire la dépendance du groupe au secteur public, en contractant davantage avec des clients privés », explique L'Obs, qui dépeint l'actuel PDG de Veolia comme « loin des canons classiques du patronat ». « Il a longtemps milité dans le vide pour que les grands groupes se dotent d'une "mission" qui ne soit pas seulement la création de valeur pour l'actionnaire, mais intègrent des objectifs sociaux ou environnementaux », précise le journal.

Lire: Veolia irrigue sa stratégie 2020-2023 de sa raison d'être

___

ZOOM

La question du monopole, un point de blocage ?

Veolia le sait : si l'opération se concrétise, elle sera passée au crible de la législation antitrust. Pour éviter tout blocage, le géant a donc pris les devants et a déjà proposé de revendre, à terme, l'activité Eau de Suez (qui représente 11.000 salariés) à un fonds d'infrastructure français, Meridiam. En réponse, Suez a décidé de placer sa filiale Eau France au sein d'une fondation, la rendant incessible pour une durée d'au moins quatre ans. Quant au fonds Meridiam, là encore, Suez n'a pas hésité à montrer les crocs. « [Ce dernier] n'a ni les compétences ni les capacités de gérer un actif de cette taille », a estimé son directeur général adjoint dans un entretien aux Echos, jeudi 17 septembre.

Lire aussi : Qui sont les géants de l'eau dans le monde ?

___

ENCADRÉ

Les salariés de Suez derrière leur président

Très tôt dans cette affaire, les salariés de Suez, qui disent craindre pour leur emploi, se sont mobilisés. Mardi 22 septembre, tandis que certains d'entre eux étaient réunis devant le siège de La Défense pour protester contre l'offre de rachat de Veolia, les syndicats de Suez ont annoncé avoir saisi en référé le tribunal de Paris pour obtenir "la suspension du projet". L'audience est fixée au 29 septembre. Plus tôt dans le mois déjà, mardi 8 septembre, des salariés s'étaient rendus devant le siège, et 60% à 70% des employés avaient débrayé pendant deux heures.

Lire aussi : Offre de Veolia: le président de Suez alerte sur "la menace de pertes d'emplois"

(Avec AFP)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 23/09/2020 à 12:29
Signaler
Il y avait un papier intéressant d'Elie Cohen dans un autre journal économique connu. Pour lui 1+1 ne fait pas forcément 2 surtout que dans le cas d'espèce, il s'agit de démantement Suez France et donc sa base arrière de R&D

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.