Réindustrialisation : le gouvernement fera confiance aux élus locaux et... aux préfets

Lors de la présentation à la presse du projet de loi sur l'industrie verte ce 16 mai à Bercy, les ministres Bruno Le Maire, Roland Lescure et Christophe Béchu ont précisé le contour des enveloppes de la Banque des territoires et du programme « Territoires d'industrie » relancé par le président Macron. Toujours est-il que les projets d'intérêt national majeur font déjà réagir les élus locaux concernés, qui plus est à l'heure de la zéro artificialisation nette (ZAN) des sols... Décryptage.
César Armand
(Crédits : GILLES GUILLAUME)

Les élus locaux ont-ils crié victoire trop tôt ? Lors de son discours à l'Elysée le 11 mai dernier, le président de la République a promis de « territorialiser » la politique industrielle du pays, annonçant plus de 1 milliard d'euros de la Banque des territoires pour « dégager du foncier industriel disponible en exploitant mieux les friches » et 100 millions d'euros supplémentaires pour « Territoires d'industrie ». Pour les intercommunalités, qui co-pilotent ce programme, « le rôle moteur des territoires [est] enfin reconnu par Emmanuel Macron ».

« Les intercommunalités continueront à être aux avant-postes de la réindustrialisation qui dispose désormais d'une stratégie clairement établie. Il nous appartient désormais de les déployer dans les territoires », a déclaré alors à la presse Sébastien Martin, président de l'association d'élus Intercommunalités de France.

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1 milliard de la Banque des territoires sur cinq ans

Sauf que lors de la présentation à la presse du projet de loi sur l'industrie verte ce 16 mai à Bercy, les ministres de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté économique et industrielle Bruno Le Maire, de l'Industrie Roland Lescure et de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu et leurs cabinets ont davantage parlé du rôle des préfets que de celui desdits édiles. Dès la première mesure, il est ainsi question d' « offrir 50 sites ''France 2030''» et de « dépolluer les friches industrielles » et ce « en partenariat avec les collectivités territoriales ».

L'Etat part du principe que 2/3 des territoires refusent aujourd'hui l'implantation de nouveaux projets économiques faute de place alors que 170.000 hectares de friches sont prêts à être « reconquis et valorisés ». Pour ce faire, il co-financera des dépenses d'aménagement de sites clés en main à destination d'activités industrielles, auxquelles s'ajoutera la contribution de plus de 1 milliard d'euros de la Banque des territoires sur la période 2023-2027.

L'entité de la Caisse des Dépôts l'a déjà annoncé : elle mettra sur la table 600 millions d'euros pour « construire de l'immobilier industriel, dépolluer et revitaliser les friches » et 400 millions d'euros pour « pré-aménager et pré-équiper par anticipation 30 à 50 sites » pour environ 2.000 hectares.

Dans le sillage de la mission confiée au directeur de la Banque des territoires Olivier Sichel, les porteurs de projet et les élus locaux bénéficieront ainsi d'un portail national de « data visualisation » du foncier industriel. Tout comme il est prévu « un outil de financement en fonds propres et quasi-fonds propres » pour les projets de réhabilitation des friches co-financé par la Banque européenne d'investissement (BEI).

100 millions par an pour « Territoires d'industrie »

Le tout sous la houlette de la mission interministérielle pour la mobilisation du foncier industriel placée sous l'égide du préfet Rollon Mouchel-Blaisot, ex-directeur du programme « Action Cœur de ville » et ancien directeur général de l'association des maires de France (AMF).

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Ce n'est pas tout : conformément aux déclarations présidentielles de la semaine dernière d'« accélérer la dynamique de réindustrialisation dans les territoires », 100 millions d'euros seront investis chaque année d'ici à 2027 dans le programme « Territoires d'industrie » né fin 2018 à la suite de la crise des « Gilets jaunes » et co-piloté par les intercommunalités et les régions.

Cette enveloppe sera ainsi « mise à disposition » dès 2023 pour « appuyer » les investissements industriels dans lesdits territoires « dans une approche concertée » avec les conseils régionaux. De même que la carte de « Territoires d'industrie » sera actualisée « en lien étroit » avec les édiles concernés qui « co-financeront » avec l'Etat des postes de chefs de projet.

Vers une planification du foncier à l'échelle régionale ?

Le texte de l'exécutif instaure en outre « une planification du foncier industriel » à l'échelle régionale qui intègre le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), un document prescripteur qui s'impose aux schémas de cohérence territoriale (SCoT), aux plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) et aux plans locaux d'urbanisme (PLU).

Lorsque cette proposition était sortie début avril des groupes de travail entre les députés et les patrons, les intercommunalités n'étaient pas contre, mais « à condition qu'elle donne lieu à des partenariats approfondis » avec les régions. Il est aussi fait état d'une « mutualisation des projets d'aménagement pour la concertation du public » afin de réaliser un débat sur une même zone géographique.

« Sauf sur les projets d'intérêt national, le préfet sera chargé de la coordination des travaux sur le terrain, quelle que soit la région ou le département », a précisé le ministre de l'Industrie, Roland Lescure, interrogé par La Tribune sur l'« autorité organisatrice de l'industrie » localement.

Des projets d'intérêt national majeur qui font déjà réagir les élus...

Le gouvernement entend en effet aussi bien diviser par deux les délais d'implantation industrielle que créer une procédure exceptionnelle simplifiée pour les projets d'intérêt national majeur. Cette procédure « spécifique, exceptionnelle et pilotée » par l'Etat pour « certains projets identifiés » par décret de la Première ministre fait déjà réagir les édiles concernés.

Sur le papier, cette dernière prévoit une mise en compatibilité « plus rapide » des documents locaux, type schéma de cohérence territoriale (SCoT) et plan local d'urbanisme (PLU), ceux de planification régionale comme le SRADDET, des procédures de raccordement électrique « accélérées » et un permis de construire délivré par l'Etat.

Sur le terrain, l'association d'élus qui représente les édiles des grandes villes et les présidents de métropole s'émeut de pouvoirs d'urbanisme des maires « injustement menacés ».

« France urbaine s'interroge sur l'article 7 qui remet en question la capacité des élus locaux à négocier l'implantation des projets sur leurs règles d'implantation. Il n'est pas acceptable que l'accélération des procédures se fasse au profit des préfets et au détriment des maires, qui sont les plus à même de connaître les besoins de leurs territoires et des citoyens », font savoir les élus concernés dans un communiqué.

... car à la main des préfets

Interrogé sur ce sujet ce 16 mai, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires rappelle qu'il existe déjà des procédures de mise en compatibilité des documents d'urbanisme « qui consistent à partir d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLui) ou d'un schéma de cohérence territoriale (SCoT) existant pour les modifier en même temps sur la base d'un projet ».

« Au lieu de cette initiative soit à la main des élus locaux, elle le sera à la main des préfets compte tenu de l'intérêt national du projet. D'où le champ limitatif évoqué : cela ne vaudra pas pour n'importe quel projet industriel, mais pour ceux qui s'inscrivent dans l'industrie verte. L'enjeu n'est pas de dessaisir les élus locaux mais de permettre d'aller beaucoup plus vite », a justifié Christophe Béchu.

Cette disposition est « inacceptable » selon l'association des maires de France (AMF). « Aucune dérogation au projet du territoire ne doit être autorisée sans l'accord des collectivités concernées. L'AMF estime que les maires et présidents d'intercommunalité doivent pouvoir décider des implantations industrielles qu'il convient de développer sur leur commune et de leur emplacement », vient-elle de réagir.

« A leur demande de simplification de l'action, de liberté d'initiative et de responsabilité, les élus locaux se voient au contraire opposer une recentralisation qui ne dit pas son nom. Tout ce qui est fait sans les maires est fait contre les maires », assène encore l'association présidée par le maire (LR) de Cannes David Lisnard.

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Quelle concurrence avec les autres fonciers à l'heure du ZAN ?

Et ce alors que le rythme d'artificialisation des sols devra avoir diminué de moitié d'ici à 2031 avant d'atteindre le zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050, quitte à mettre en concurrence l'industrie verte avec les entrepôts logistiques, la production de logements et de bureaux, ainsi que la relocalisation de toute autre activité économique...

« Le nombre d'hectares nécessaires à la réindustrialisation, c'est 10 à 20.000 hectares sur 170.000 hectares de friches disponibles. Sachant que nous mettons le paquet sur la dépollution et la préparation des terrains, nous arriverons à 15% de PIB sans provoquer ni une artificialisation massive ni de la concurrence avec les autres types de foncier », a rétorqué à La Tribune le cabinet de Bruno Le Maire peu après.

« Il ne faut pas oublier le rôle des élus locaux. Ils feront leurs choix en bonne intelligence. La réindustrialisation se fera dans les territoires avec l'autorisation du préfet. Faisons-leur confiance » a ajouté, dans la foulée, l'équipe de Christophe Béchu.

Lire aussiRéindustrialisation et zéro artificialisation nette (ZAN) des sols : une équation impossible ?

 
Cela tombe bien : le projet de loi, qui vient d'être présenté en Conseil des ministres, arrivera au Parlement d'abord au Sénat dès la semaine du 19 juin. Avec un tel texte, la Chambre des territoires n'a jamais aussi bien mérité son surnom...

César Armand

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Commentaires 4
à écrit le 17/05/2023 à 9:15
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Toujours la même méthode, on décentralise les responsabilités mais les moyens financiers, nerf de la guerre, sont centralisés ! Et, l'on fait de la com !;-)

à écrit le 16/05/2023 à 21:16
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Ce serait bien la première fois qu'un gouvernement français ferait confiance à qui que ce soit, mais pouvons-nous lui faire confiance?

à écrit le 16/05/2023 à 20:34
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Si nous voulons ne serait-ce qu'un minimum de décentralisation, il faut abolir les corps préfectoral, qui ne sont que des relais du pouvoir central dans les régions. Ils réduisent les libertés et concentrent les pouvoirs de la république dans l'exécu...

le 17/05/2023 à 6:10
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Absolument, et c'est pour cela que rien ne changera jamais en France. Tout est noyaute et aux mains de la mafia en col blanc. Seule possibilte une revolution, helas hautement improbable dans un pays de veaux.

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