Comment les “magasins connectés“ réinventent le lèche-vitrine

Les pros du marketing déploient des trésors d’imagination digitale pour pousser les consommateurs à continuer à acheter en magasin, à l’heure où le e-commerce accroît la pression sur les boutiques physiques. Exemples en région parisienne.
Marina Torre
Le centre commercial Qwartz à Villeneuve-la-Garenne se veut "connecté" mais n'offre qu'une demi-heure de wifi gratuite par jour. Il ouvre ses portes au public le 9 avril 2014.

Une ménagère collée derrière son chariot de courses rempli, perdue au milieu des allées sans fin d'un hypermarché. Une image qui appartient définitivement au passé ? A en croire les pros du marketing et de la distribution, il faut désormais lui rajouter un smartphone entre les mains pour que le tableau soit transformé. 

Avec l'avènement du e-commerce, les modes de consommation connaissent une révolution. En témoigne l'explosion du nombre de "drive" en France, aujourd'hui plus nombreux que les hypermarchés. C'est sur ces transformations que surfe la galerie marchande Qwartz à Villeneuve-la-Garenne en région parisienne inaugurée ce 9 avril. Sur les quais de Seine, entre une friche industrielle et un chantier de logements, le centre commercial géré par Altarea-Cogedim se veut avant tout "connecté". Il l'affiche jusque sur l'écran tournant qui surplombe le bâtiment de cinq étages, dont trois de parking. Connecté, il l'est assez peu avec le réseau de transports en commun d'ailleurs. Même le directeur général délégué du groupe en charge du commerce, Gilles Boissonnet le reconnaît,

"Les transports sont relativement peu nombreux. La gare de tramway la plus proche est à 500 mètres, c'est beaucoup." 

Des échoppes virtuelles entre deux boutiques physiques

Mais c'est bien de connexion au monde virtuel dont il est question ici. Outre des installations un brin gadgets comme des écrans à réalité augmentée, des murs connectés aux réseaux sociaux, ou des lustres décorées avec des objets imprimés en 3D, le propriétaire de RueDuCommerce y propose des bornes d'achat en ligne. Objectif : donner accès à des produits et des marques introuvables dans le reste de la galerie. Sous un autre nom. En l'occurrence "Cité du Commerce" a été choisi pour ne pas "gêner les marques" potentiellement rebutées par "l'image du site" de commerce en ligne spécialiste des remises, pointe Gilles Boissonet. Les clients peuvent se les faire livrer chez eux ou dans de (petites) boîtes de consignes disposées dans le centre commercial. Ce qui oblige à s'y déplacer de nouveau quelques jours après la commande.

L'autre argument "digital" du lieu, c'est la carte de fidélité couplée avec un site et une application qui permet de repérer l'emplacement d'un produit dans la galerie et de savoir s'il est encore en stock ou pas.

L'emblème Carrefour

 Au cœur du dispositif, mais sans la carte de fidélité qui fait concurrence à la sienne, l'hypermarché Carrefour a développé sa propre appli "GPS" qui fonctionne sur le même principe. Le lieu sert d'ailleurs de faire-valoir à l'ensemble afin d'attirer la clientèle dans les boutiques de la galerie, avec comme les enseignes anglo-saxonnes Marks & Spencer et Primark pour la première fois réunies sous le même toit. Le troisième distributeur sur le marché français a fait de son nouvel "hyper" l'un des emblèmes de campagne 2.0.

Simplifier les courses

C'est cet espace de 11.300 m2 qui a en effet été choisi pour le lancement d'une application baptisée "C où", qui combine liste de course virtuelle, plan interactif et annonces de promos. Avec un terminal mobile doté de la technologie NFC, il suffit de glisser son appareil sur l'étiquette du produit pour voir s'afficher une série d'informations sur son écran. But affiché de l'opération : répondre à une demande de la part des consommateurs qui chercheraient avant tout à simplifier leurs courses. Sylvain Belkhiter, le directeur du magasin, affirme ainsi :

"Ce dont a besoin le client, c'est de pouvoir se repérer."

Géolocaliser son pot de crème

Seulement, plusieurs études l'ont démontré, les clients ayant déjà dressé leur liste de courses ont moins tendance à se laisser aller à l'achat compulsif. Dès lors, mâcher le travail en indiquant jusqu'au chemin à parcourir pour remplir son panier le plus rapidement possible reviendrait à se tirer une balle dans le pied… Evidemment les équipes marketing ont pris les devants. En premier lieu, l'application sert de support aux promotions diverses. Pire : lors d'une requête sur le moteur de recherches des produits, ce sont d'abord les promotions qui s'affichent. Il faut donc s'armer de patience avant de trouver le bon pot de crème…

Des promos qui surgissent entre deux rayons

A terme, les ambitions de Carrefour s'apparentent un peu à de la science-fiction. Avec un système de personnalisation des promotions, un peu comme dans le film Minority Report. A chaque passage devant un rayon spécifique, grâce à la géolocalisation et au Bluetooth par exemple, l'application enverrait un message au client. Le service est très sérieusement à l'étude, "dans une version 2", indique le patron de l'hypermarché.

Pour l'heure, elle se borne à proposer des recettes. Dans le magasin même, de nombreux écrans - 33 en tout - proposent également des idées de plats à réaliser chez soi. Un bon moyen de souffler l'idée d'achats supplémentaires aux clients sans qu'ils s'en aperçoivent. 

"Instants de respiration"

Carrefour hyper Villeneuve-la-Garenne

Surtout, le fameux "parcours d'achat" a été étudié de près pour que consommer soit toujours aussi tentant. Comme dans les supérettes de proximité, le lieu est doté de tables à proximité de la boulangerie pour y consommer sandwiches et autres snacks.

A cela, s'ajoutent deux stands pour consommer sur place des sushis ou des tapas. Ces espaces décrits à grands renforts de périphrases comme des "instants de respiration" par Eric Bourgeois, le directeur exécutif des hypermarché du groupe, sont judicieusement placés au milieu du rayon fruits et légume, charcuterie, boucherie etc. Lesquels sont organisés par ilots de petite taille, mis en scène avec les incontournables brumisateurs pour garder les légumes au frais, ainsi que l'omniprésence de matériaux "nobles" comme le bois. Chaque rayon a bien sûr son vendeur spécialisé présent pour apporter ses conseils éclairés.

Une configuration censée rappeler une halle de marché… qui évoque surtout certaines grandes enseignes d'épiceries de luxe comme le Bon Marché à Paris ou les Galeries Lafayette Gourmet. Des lieux qui ne tiendraient pas la comparaison aux yeux de Noël Prioux, le directeur exécutif de la multinationale française qui vante :

"A part peut-être au Canada, je n'ai jamais vu un espace comme ça dans un hyper."

Comparer les prix ou pas?

Plus élaborée ou pas, la configuration des lieux invite donc à dépenser toujours plus tout en s'adressant à toutes les bourses. Un grand rayon low-cost avec des prix plus bas est ainsi présent au fond du magasin. Le comparateur de prix est d'ailleurs le grand absent de l'application développée par le groupe. Pourtant, ce dernier a bien lancé l'an dernier une campagne de communication sur les prix bas, le thème fétiche du grand rival E.Leclerc, le numéro un du marché en France.

Or, pouvoir comparer les prix reste l'un des premiers motifs de consultation d'information sur le web par les internautes, comme le démontrait déjà une étude du Credoc en 2005. Bien sûr, se résoudre à intégrer des comparaisons de prix représente un risque pour l'enseigne. Une enquête d'opinion menée en mars 2014 par DigitasLBi, agence spécialisée dans le e-commerce et filiale de Publicis, indique que près de la moitié des sondés iraient plutôt acheter leur produit ailleurs s'ils constatent un différentiel de prix de 5%. Un effet qui vaut surtout pour les produits non périssables comme le petit électroménager. 

Les consommateurs comparent de toutes façons

Pourtant, certains professionnels du secteur recommandent de jouer la carte de la transparence. C'est le cas de Vincent Druguet, directeur général adjoint de DigitasLBi qui affirme :

"Malgré tout, les consommateurs vont comparer les prix, autant jouer le jeu."

Cabine d'essayage virtuelle

Pour l'instant, le jeu se joue surtout avec de nouveaux outils digitaux. Son agence a ainsi développé pour Klepierre, un rival d'Altarea-Cogedim, une sorte de cabine d'essayage d'un nouveau genre qui grâce à un capteur Kinect détecte le sexe, la taille et le style vestimentaire du client pour lui proposer ensuite une tenue correspondant à ses goûts (potentiels) dont les éléments sont tirés des boutiques de la galerie marchande.

L'objet doit être testé en septembre dans la galerie des Passages de Boulogne-Billancourt, à l'Ouest de Paris. Ses concepteurs "réfléchissent au moyen" de monétiser l'appareil, soit par un abonnement souscrit par la société d'investissement immobilière, soit en faisant payer un droit d'entrée directement aux marques.

Précieuses données

Car la digitalisation revêt une autre vertu, de taille, pour les distributeurs : sous couvert de faciliter la vie des utilisateurs, elle permet de récolter de précieuses données sur leurs comportements d'achat. Celles-ci servent non seulement leur proposer en retour ces offres personnalisées qui permettent d'accroître encore plus la valeur des offres, mais aussi d'affiner les connaissances sur la demande, donc de pouvoir gérer les stocks au plus près.

Les développeurs de Carrefour affirment qu'ils ne conservent pas les données, et comme l'application ne demande de renseigner aucun profil, la réutilisation à des fins statistiques est limitée. Mais tout le monde ne passe à côté d'un tel enjeu. Vincent Druguet explique ainsi :

"Pour Klepierre c'était très important de réutiliser les données, notamment pour améliorer les personnalisation" du service aux clients.

 Le signe que si les commerces physiques se convertissent au digital, c'est surtout pour espérer profiter du "big business des big data".

Marina Torre

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Commentaires 3
à écrit le 09/04/2014 à 14:09
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Autant les principes sont intéressant, autant on voit bien comment ils vont d'entrée de jeu être dévoyés par les "commerçants" : géolocalisation, capture des données etc ... Pas sûr que ce soit si attirant que çà finalement.

à écrit le 09/04/2014 à 13:44
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Autant les principes sont intéressant, autant on voit bien comment ils vont d'entrée de jeu être dévoyés par les "commerçants" : géolocalisation, capture des données etc ... Pas sûr que ce soit si attirant que çà finalement.

à écrit le 09/04/2014 à 13:44
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Autant les principes sont intéressant, autant on voit bien comment ils vont d'entrée de jeu être dévoyés par les "commerçants" : géolocalisation, capture des données etc ... Pas sûr que ce soit si attirant que çà finalement.

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